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02/04/2024 | FRANCE | N°24NC00131

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 02 avril 2024, 24NC00131


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.





Par un jugement n° 2308887 du 21 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du t

ribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2023.





Procédures...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2308887 du 21 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2023.

Procédures devant la cour :

I/ Par une requête enregistrée le 18 janvier 2024, sous le numéro 24NC00131, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2308887 du 21 décembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs et d'une erreur de fait : le jugement mentionne que les " comportements caractéristiques d'une délinquance d'habitude " n'ont plus été réitérés depuis 2020 par M. A..., alors que ce dernier a été condamné en 2021 à une peine de 4 mois d'emprisonnement pour violences sans incapacité sur des personnes dépositaires de l'autorité publique ;

- le jugement a fait une inexacte application des dispositions applicables au cas d'espèce : alors que son arrêté préfectoral est notamment fondé sur le 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui permet de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger qui constitue une menace à l'ordre public, la magistrate désignée a utilisé les termes " d'ancrage dans la délinquance " et de " comportements caractéristiques d'une délinquance d'habitude " qui sont des termes non repris dans l'article précité ;

- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit : alors que l'arrêté préfectoral litigieux est également fondé sur le 1° et le 2° de l'article L. 611-1 du code précité, la magistrate désignée n'a pas apprécié le bien-fondé de celui-ci au regard de ces dispositions, ni motivé son jugement au regard de celles-ci ;

- le jugement est entaché d'un " défaut d'examen du dossier ", d'une motivation insuffisante et d'une " erreur manifeste d'appréciation " car il ne fait pas mention des précédentes mesures d'éloignement et précise que son parcours pénal a fait obstacle à sa régularisation ;

- la présence de M. A... constitue une menace pour l'ordre public, ce qui justifie la mesure d'éloignement litigieuse ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés :

. la décision portant obligation de quitter le territoire français est suffisamment motivée, elle ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

. la décision portant refus de délai de départ volontaire est suffisamment motivée et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

. la décision fixant le pays de renvoi est suffisamment motivée, elle ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

. la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est suffisamment motivée et n'est pas entachée d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 février 2024, M. A..., représenté par Me Durgun, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est régulier ;

- son comportement ne constitue pas un trouble actuel à l'ordre public ;

- l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2023 méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. A... a été admis à l'aide juridictionnelle totale pour cette requête par une décision du 29 février 2024.

II/ Par une requête enregistrée le 18 janvier 2024, sous le numéro 24NC00132, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement du 21 décembre 2023 qui a annulé son arrêté préfectoral du 11 décembre 2023 pris à l'encontre de M. A....

Elle soutient qu'il existe des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement et soulève les mêmes moyens que ceux invoqués dans sa requête n° 24NC00131.

La requête a été communiquée à M. A... le 26 janvier 2024, lequel n'a pas produit.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant kosovar né le 20 mars 1995, a été interpelé et placé en retenue pour vérification du droit au séjour par les services de police le 10 décembre 2023. Par un arrêté du 11 décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. M. A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cet arrêté. La préfète du Bas-Rhin par deux requêtes distinctes, relève appel du jugement du 21 décembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg qui a annulé cet arrêté préfectoral et demande le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La préfète du Bas-Rhin ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de fait, de droit ou d'appréciation ou de contradiction des motifs, qu'aurait commis le premier juge pour demander l'annulation du jugement attaqué.

3. En second lieu, aux termes de l'article 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

4. Contrairement à ce que soutient la préfète du Bas-Rhin, le premier juge, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments, a suffisamment motivé son jugement quant au moyen qu'il a retenu pour annuler l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2023, tiré de la méconnaissance non de l'article L. 611-1 5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait insuffisamment motivé au motif que la magistrate désignée n'a pas examiné si la mesure d'éloignement pouvait légalement être fondé sur les autres fondements de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile visés par l'arrêté en litige.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Aux termes des dispositions des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...).2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est arrivé en France en 2010 avec ses parents, son frère et sa sœur, alors qu'il était âgé de 15 ans. Ses parents chez qui il vit, sont titulaires d'une carte de séjour pluriannuelle, son frère est titulaire d'une carte de séjour temporaire et sa jeune sœur a obtenu la nationalité française. S'il est constant que M. A... a fait l'objet de nombreuses condamnations pénales entre 2018 et 2021, pour notamment des faits de vol, conduite sans permis et usage et détention de stupéfiants, qu'il a été incarcéré d'avril 2018 à mars 2020 pour des faits de trafic de stupéfiants et d'août 2021 à novembre 2021 pour des faits de violence sur personne dépositaire de l'autorité publique sans incapacité et dégradation de bien dans le cadre de la mise à exécution d'une mesure d'éloignement, il n'a plus commis de faits répréhensibles depuis 2021, bénéficie depuis le 10 novembre 2021 d'un contrat à durée indéterminée. Enfin, et alors que ses parents, frère et sœur résident régulièrement en France, aucune pièce du dossier n'est de nature à démontrer qu'il aurait encore de la famille au Kosovo, pays qu'il a quitté à l'âge de 15 ans. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, et aussi regrettable soit le comportement du requérant pour les faits pour lesquels il a été condamné pénalement entre 2018 et 2021, il ressort des pièces du dossier qu'en prononçant à l'encontre de M. A... l'arrêté préfectoral litigieux, la préfète du Bas-Rhin a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise et qui excède celle nécessaire à la défense de l'ordre public. C'est par suite, et comme l'a jugé à bon droit la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg, par une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés que la préfète du Bas-Rhin a pris à l'encontre de M. A... l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

7. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué du 21 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2023.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué :

8. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel de la préfète du Bas-Rhin. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés à l'instance n° 24NC00131 :

9. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Durgun, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Durgun de la somme de 1 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24NC00132 de la préfète du Bas-Rhin à fin de sursis à exécution du jugement n° 2308887 du 21 décembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg.

Article 2 : La requête n° 24NC00131 de la préfète du Bas-Rhin est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Durgun une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Durgun renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et à Me Durgun.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

Nos 24NC00131, 24NC00132


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00131
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : DURGUN AYSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;24nc00131 ?
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