La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/04/2024 | FRANCE | N°20NC01461

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 02 avril 2024, 20NC01461


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier de Vitry-le-François à lui verser la somme totale de 517 243,44 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis lors de sa prise en charge par cet établissement public de santé.



Par un jugement n° 1800687 du 23 mars 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champ

agne, d'une part, a condamné le centre hospitalier de Vitry-le-François à verser à M. B... la somme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier de Vitry-le-François à lui verser la somme totale de 517 243,44 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis lors de sa prise en charge par cet établissement public de santé.

Par un jugement n° 1800687 du 23 mars 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, a condamné le centre hospitalier de Vitry-le-François à verser à M. B... la somme de 10 197 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, d'autre part, a rejeté l'appel en garantie présenté par le centre hospitalier de Vitry-le-François à l'encontre du centre hospitalier universitaire de Reims et, enfin, a mis à la charge du centre hospitalier de Vitry-le-François les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 3 450 euros, ainsi que le versement à M. B... et au centre hospitalier universitaire de Reims d'une somme de 1 500 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 juillet 2020, M. A... B..., représenté par Me Ciper et Me Lopy, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1800687 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il s'est borné à condamner le centre hospitalier de Vitry-le-François à lui verser la somme de 10 191 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Vitry-le-François à lui verser la somme totale de 517 243,44 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Vitry-le-François aux entiers dépens et de mettre à sa charge la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Vitry-le-François est engagée en raison d'un retard de diagnostic et d'une absence de mise en œuvre, en temps utile, de soins adéquats ;

- cette responsabilité ne saurait être partagée avec celle du centre hospitalier universitaire de Reims dès lors qu'il n'est pas établi que cet établissement aurait manqué à son devoir de conseil auprès du centre hospitalier de Vitry-le-François ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'appel en garantie formé par le centre hospitalier de Vitry-le-François contre le centre hospitalier universitaire de Reims ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qui a fixé à 10 % le taux de perte de chance, cette notion ne correspond pas à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, mais constitue un chef de préjudice autonome, qui doit être réparé distinctement en appliquant au préjudice corporel total subi la fraction de l'ampleur de la perte de chance évaluée par l'expert à 50 % ;

- il est fondé à réclamer les sommes de 3 425 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 5 000 euros au titre des souffrances endurées, de 37 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 7 400 euros au titre du préjudice d'agrément, de 400 000 euros au titre de la perte de gains professionnels et de retraite, de 56 868,50 euros au titre de la perte de chance, de 4 099,94 euros au titre des frais divers restés à sa charge et 3 450 euros au titre des frais de l'expertise judiciaire.

Par un mémoire, enregistré le 16 octobre 2020, le centre hospitalier universitaire de Reims, représenté par Me Cariou, conclut à la confirmation du jugement de première instance en tant qu'il a rejeté l'appel en garantie formé à son encontre par le centre hospitalier de Vitry-le-François, au rejet des conclusions de cet établissement tendant à ce que sa responsabilité soit engagée à hauteur de 50 % des sommes versées à M. B... et à la mise à sa charge d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa responsabilité ne peut être engagée dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucune recommandation de la Haute autorité de santé, ne lui imposait une obligation de conseil des praticiens urgentistes du centre hospitalier de Vitry-le-François quant aux suites à donner à la prise en charge d'un patient victime d'un accident vasculaire cérébral ;

- en tout état de cause, quels qu'auraient été les conseils donnés, les praticiens urgentistes seraient demeurés seuls responsables des suites à donner à la prise en charge de M. B... en vertu du principe d'indépendance du médecin dans l'exercice de son art, rappelé à l'article R. 4127-5 du code de la santé publique ;

- enfin, le dommage de M. B... ayant été causé par la longueur des délais de prise en charge et par la mauvaise orientation du patient vers un établissement de santé ne disposant pas d'une unité neuro-vasculaire, il n'y a pas de lien de causalité entre le préjudice subi et le manquement qui lui est reproché.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 août 2021, le centre hospitalier de

Vitry-le-François, représenté par Me Le Prado, conclut par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement de première instance en tant qu'il a rejeté son appel en garantie, à la réformation du jugement de première instance en tant qu'il l'a condamné à indemniser M. B... au titre des pertes de gains professionnels et du déficit fonctionnel temporaire, au rejet des conclusions présentées à ce titre par M. B..., au rejet de sa requête d'appel et, subsidiairement, à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Reims à le garantir des sommes mises à sa charge.

Il soutient que :

- les documents comptables produits par M. B... ne permettent pas d'établir l'existence d'un lien direct et certain entre sa prise en charge au centre hospitalier de

Vitry-le-François au mois d'août 2014 et la baisse de ses revenus professionnels constatés en 2015 ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il n'est pas établi que M. B..., qui a repris son activité professionnelle dès septembre 2014, aurait subi un déficit fonctionnel temporaire de classe 2 du 17 septembre 2014 au 6 juin 2016 ;

- la perte de chance ne saurait donner lieu à une indemnisation complémentaire en sus du dommage corporel constaté, lequel est indemnisé proportionnellement au taux de perte de chance retenu ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu un taux de perte de chance de 10 % ;

- les prétentions indemnitaires de M. B... ne sont pas fondées ;

- sa responsabilité doit être partagée avec le centre hospitalier universitaire de Reims, dès lors que celui-ci est l'établissement référent en matière d'urgence neuro-vasculaire et qu'il a été contacté dès qu'un accident vasculaire cérébral a été détecté par les médecins urgentistes ;

- en se bornant à invoquer un manque de disponibilité pour refuser de prendre en charge M. B... et en s'abstenant d'orienter les praticiens du centre hospitalier de

Vitry-le-François vers l'unité neuro-vasculaire la plus proche, à même de pratiquer une IRM cérébrale et, si nécessaire, une thrombolyse, le centre hospitalier universitaire de Reims a commis une faute qui engage sa responsabilité.

La requête a été communiquée à la caisse d'assurance maladie BBK Securvita, qui n'a pas présenté d'observations dans la présente instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse,

- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,

- et les observations de Me Dagonat pour le centre hospitalier universitaire de Reims.

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 août 2014, aux alentours de 12h30, alors qu'il circulait avec son épouse sur une autoroute en direction de Reims, M. A... B..., ressortissant allemand né le 15 mars 1950, a été victime d'étourdissements avec de fortes céphalées et d'une dégradation de son champ visuel droit. Admis au service des urgences le plus proche, au centre hospitalier de Vitry-le-François, à 13h28, le requérant a fait l'objet d'un scanner à 14h31, qui n'a révélé aucune hémorragie cérébrale. Le centre hospitalier universitaire de Reims, contacté par le personnel médical, n'ayant pu l'accueillir faute de place disponible, l'intéressé a d'abord été transféré, à partir de 18h00, au centre hospitalier de Saint-Dizier, où une imagerie par résonnance magnétique encéphalique, réalisée à 19h00, a confirmé le diagnostic d'un accident vasculaire cérébral ischémique au niveau du cortex occipital interne gauche, avant d'être redirigé, aux alentours de 21h30, vers le centre hospitalier de Bar-le-Duc. Toutefois, alors que ce dernier établissement, situé à une cinquantaine de kilomètres du centre hospitalier de Vitry-le-François, était doté, à la différence du précédent, d'un service d'urgences neuro-vasculaires, où une thrombolyse en vue de l'évacuation de l'embolie vasculaire aurait pu être réalisée, M. B... y a été informé que, compte tenu du délai qui s'était écoulé depuis l'accident, il n'était plus possible de réaliser utilement une telle intervention. Pris en charge par le centre hospitalier de Bar-le-Duc du 13 au 16 août 2014, le requérant a regagné son domicile en Allemagne, où il est demeuré au repos pendant un mois, avant de reprendre son activité de médecin généraliste libéral le 17 septembre 2014. Si les céphalées et les sensations de vertige et d'instabilité ont rapidement diminué d'intensité, il conserve des séquelles d'hémianopsie latérale homonyme droite. Estimant que sa prise en charge par le centre hospitalier de Vitry-le-François avait été fautive, M. B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui, par une ordonnance n° 1501483 du 14 janvier 2016, a ordonné une expertise, dont le rapport définitif a été établi par l'expert le 27 février 2017 et remis le 8 mars suivant. Par un courrier du 10 octobre 2017, M. B... a adressé une réclamation préalable au centre hospitalier de Vitry-le-François qui, le 6 février 2018, a formulé une offre d'indemnisation à hauteur de 15 276 euros. Jugeant cette proposition insuffisante, le requérant a, le 30 mars 2018, saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement public de santé à lui verser la somme totale de 517 243,44 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis lors de sa prise en charge au service des urgences le 13 août 2014. Il relève appel du jugement n° 1800687 du 23 mars 2020 en tant qu'il s'est borné à l'indemniser à hauteur de 10 197 euros.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Vitry-le-François :

2. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

3. Il résulte du rapport d'expertise du 27 février 2017, et il n'est pas contesté, que les résultats du scanner dont M. B... a fait l'objet environ une heure après son admission au service des urgences du centre hospitalier de Vitry-le-François, ont permis d'écarter l'hypothèse d'une hémorragie cérébrale et rendaient indispensable la réalisation rapide d'une imagerie par résonnance magnétique encéphalique, qui ne pouvait se faire sur place en l'absence du matériel nécessaire, afin de confirmer, le cas échant, le diagnostic d'un accident vasculaire cérébral ischémique et de pratiquer en temps utile une thrombolyse. Dans ces conditions, alors que les thrombolyses doivent intervenir dans un délai compris entre trois heures et cinq heures après l'accident, le centre hospitalier de Vitry-le-François a commis une faute dans la mise en œuvre du parcours de soins du requérant en ne le transférant qu'à 18h30 en vue de réaliser cet examen complémentaire, alors que ses chances de récupération fonctionnelle étaient devenues pratiquement nulles, et avoir de surcroît effectué le transfert à destination d'un établissement dépourvu d'urgences neuro-vasculaires et n'étant pas autorisé à pratiquer ce type d'intervention. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Vitry-le-François était engagée.

En ce qui concerne la perte de chance :

4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

5. D'une part, contrairement aux allégations de M. B..., la perte de chance ne constitue pas un préjudice autonome donnant lieu à une indemnisation distincte, qui viendrait s'ajouter à celle accordée en réparation des autres chefs de préjudices subis par la victime du fait des agissements fautifs du centre hospitalier. Ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, lorsque la faute commise a fait perdre au patient une chance d'échapper aux séquelles dont il demeure atteint, la réparation qui incombe à l'hôpital doit être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. D'autre part, il résulte du rapport d'expertise du 27 février 2017 que, lors de la survenue d'un accident vasculaire cérébral ischémique atteignant la zone de l'artère cérébrale moyenne ou celle du tronc basilaire, la réalisation d'une thrombolyse permet un gain de récupération fonctionnelle dans 15,4 % ou dans 6,9 % des cas lorsque ce type d'opération est pratiqué respectivement dans un délai de trois heures ou de quatre heures après l'apparition des premiers symptômes. Selon l'expert, ces résultats sont transposables aux accidents ischémiques affectant, comme en l'espèce, la région de l'artère cérébrale postérieure. Dans ces conditions, alors que les premiers symptômes présentés par M. B... sont apparus vers 12h30 et que le scanner, qui a permis d'exclure l'hypothèse d'une hémorragie cérébrale, a été effectué à 14h31, c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé à 10 % le taux de perte de chance de M. B... d'échapper aux séquelles d'hémianopsie latérale homonyme droite dont il demeure atteint, compte tenu du délai incompressible pour transférer ce patient vers le centre hospitalier de Bar-le-Duc, y réaliser l'imagerie par résonnance magnétique encéphalique afin de confirmer le diagnostic et y pratiquer une thrombolyse.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

Quant aux pertes de gains professionnels et de retraite :

7. M. B... soutient, sans être sérieusement contredit, que la baisse de son acuité visuelle et l'augmentation de sa fatigue visuelle, engendrées par les séquelles d'hémianopsie latérale homonyme droite, sont à l'origine d'une baisse de ses revenus professionnels, qui s'explique par une réduction de douze heures hebdomadaires de ses horaires de consultation médicale en cabinet, par une impossibilité d'assurer le service de garde en 2015, compte tenu de la diminution de sa capacité à effectuer des opérations chirurgicales mineures, et par l'embauche à mi-temps d'un collaborateur du 15 juin 2015 au 30 juin 2016 pour l'accomplissement des interventions de microchirurgie. Il résulte de l'instruction, spécialement des avis d'imposition versés aux débats par M. B..., que le montant annuel total des revenus générés par son activité de médecin libéral a été de 120 930 euros en 2012, 136 568 euros en 2013, 141 785 euros en 2014, 75 371 euros en 2015, 146 398 euros en 2016 et 103 516 euros en 2017. Il suit de là que le montant total des revenus perçus par l'intéressé au titre des années 2012 à 2014 s'établit à 399 283 euros. Dans ces conditions, M. B..., qui n'a perçu que 325 285 euros au cours des trois années ayant suivi son accident, sans que les éléments du dossier puissent expliquer une telle baisse autrement que par les séquelles d'hémianopsie latérale homonyme droite qu'il a conservées, justifie avoir subi, du fait de sa prise en charge fautive par le centre hospitalier de Vitry-le-François, une perte de revenus totale de 73 998 euros. Par suite, il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi par M. B... en portant à 7 399,80 euros, après application du taux de perte de chance de 10 %, la somme de 4 400 euros allouée par les premiers juges.

8. Par ailleurs, si M. B... fait valoir qu'il aurait subi une perte de retraite, il n'établit pas la réalité du préjudice qu'il invoque alors qu'il est constant que les revenus annuels générés par son activité de médecin libéral ont été en 2016 supérieurs à ceux des années ayant précédé son accident vasculaire cérébral ischémique.

Quant aux frais divers :

9. M. B... justifie avoir exposé des frais de traduction d'un montant total de 1 137,10 euros et des frais d'expertise de son médecin-conseil d'un montant de 1 190 euros. En revanche, il n'établit pas, par les éléments qu'il verse au dossier, avoir acquitté une somme de 1 772,84 euros au titre de sa " contribution personnelle aux coûts des séjours hospitaliers ". Par suite, le tribunal administratif a fait une exacte appréciation du préjudice subi par l'intéressé en lui allouant la somme de 2 327,10 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

10. D'une part, il résulte de l'instruction que l'hospitalisation de M. B... au centre hospitalier de Bar-le-Duc du 13 au 16 août, puis son arrêt de travail total du 17 août au 16 septembre 2014, peuvent s'expliquer exclusivement par l'accident vasculaire cérébral ischémique dont il a été victime le 13 août 2014 et ne présentent donc pas de lien direct et certain avec les fautes commises par le centre hospitalier de Vitry-le-François. Dans ces conditions et en l'absence de contestation du jugement concernant le déficit fonctionnel temporaire au titre de ces deux périodes par le centre hospitalier de Vitry-le-François, le requérant n'est pas fondé à se plaindre de ce que les premiers juges ont condamné le centre hospitalier de Vitry-le-François à indemniser successivement un déficit fonctionnel temporaire de 100 % puis seulement de 50 % au titre des périodes considérées.

11. D'autre part, il résulte notamment du rapport d'expertise du 27 février 2017 que M. B... a conservé, à l'issue de son arrêt de travail, des séquelles d'hémianopsie latérale homonyme droite, qui sont la cause d'une importante fatigabilité et qui l'ont notamment empêché de reprendre la conduite automobile pendant un an. Eu égard aux troubles ainsi occasionnés et alors que, au demeurant, l'expert a fixé à 25 % le taux du déficit fonctionnel permanent de l'intéressé, il y a lieu également de retenir, pour la période allant du 17 septembre 2014 au 9 juin 2016, date de consolidation de son état de santé, un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 %.

12. Dans ces conditions, sur la base d'un déficit fonctionnel temporaire total de 20 euros par jour, il y a lieu de porter à 350 euros, après application du taux de perte de chance de 10 %, la somme de 270 euros allouée au titre de ce chef de préjudice par les premiers juges.

Quant aux souffrances endurées :

13. Il résulte du rapport d'expertise du 27 février 2017 que les fortes céphalées ressenties par M. B... sont la conséquence de l'accident vasculaire cérébral ischémique dont il a été victime le 13 août 2014 et qu'elles ont progressivement diminué. Le requérant n'établit pas que ces céphalées auraient persisté postérieurement à son arrêt de travail. S'il fait valoir que son incapacité à exercer correctement son activité professionnelle constituerait pour lui une douleur morale, il ne démontre pas davantage la réalité de son préjudice. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ne l'ont pas indemnisé pour ce chef de préjudice.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

14. Il résulte du rapport d'expertise du 27 février 2017 et il n'est pas contesté que la consolidation de l'état de santé de M. B... doit être fixée au 9 juin 2016 et que, à cette date, l'intéressé, alors âgé de soixante-six ans, présentait un déficit fonctionnel permanent de 25 %. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, après application du taux de perte de chance de 10 %, en portant la somme de 3 200 euros, allouée par les premiers juges, à 3 360 euros.

Quant au préjudice d'agrément :

15. En se bornant à faire valoir que, du fait de la fatigue visuelle provoquée par l'hémianopsie latérale homonyme droite dont il reste atteint, il ne peut plus, pendant ses loisirs, s'adonner à la lecture de la littérature médicale et effectuer des travaux sur l'ordinateur, M. B... n'établit pas la réalité d'un préjudice d'agrément spécifique, distinct du déficit fonctionnel permanent déjà indemnisé. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires présentées à ce titre par l'intéressé.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 10 197 euros, que le centre hospitalier de Vitry-le-François a été condamné par le tribunal administratif

de Châlons-en-Champagne à verser à M. B... en réparation de ses préjudices, doit être portée à 13 436,90 euros.

En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :

17. C'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que M. B... avait droit aux intérêts au taux légal à compter du 6 février 2018 et que ces intérêts devaient être capitalisés le 6 février 2019, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

En ce qui concerne l'appel en garantie du centre hospitalier de Vitry-le-François :

18. Le centre hospitalier de Vitry-le-François fait valoir que, lors de la prise en charge de M. B... le 13 août 2014, le centre hospitalier universitaire de Reims, pourtant sollicité par le personnel médical, a manqué au devoir de conseil qui lui incombait en sa qualité d'établissement public de santé de référence et a ainsi contribué à la survenance du dommage subi par la victime.

19. Il résulte de l'instruction que le dossier médical concernant le passage aux urgences du patient fait état d'un " avis téléphonique " de l'interne de permanence auprès de l'unité neuro-vasculaire du centre hospitalier universitaire de Reims et d'une absence de place disponible au sein de cette structure. Toutefois, ces seules mentions ne suffisent pas à établir que cet établissement aurait été saisi d'une demande d'assistance des médecins urgentistes du centre hospitalier de Vitry-le-François en vue d'orienter au mieux le patient, ni, à plus forte raison, qu'il aurait refusé de prêter le concours qui aurait été ainsi sollicité. Au surplus, aucune disposition législative ou règlementaire ne soumet les centres hospitaliers universitaires, en leur qualité d'établissements publics de santé de référence et indépendamment de toute sollicitation en ce sens, à un devoir de conseil ou d'information auprès du personnel médical d'autres établissements quant à la prise en charge des patients de ceux-ci. Dans ces conditions et alors que le personnel médical chargé de M. B... ne pouvait raisonnablement ignorer l'urgence à pratiquer une thrombolyse, ni les hôpitaux les plus proches susceptibles d'effectuer ce type d'intervention à bref délai, le centre hospitalier de Vitry-le-François n'est pas fondé à demander que le centre hospitalier universitaire de Reims soit condamné à le garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre. Par suite, c'est à bon droit que son appel en garantie a été rejeté par les premiers juges.

Sur les dépens :

20. D'une part, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 621-13 et de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a mis à la charge du centre hospitalier

de Vitry-le-François les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 3 450 euros par l'ordonnance n° 1501483 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 13 avril 2017. Le défendeur n'ayant pas contesté le jugement de première instance sur ce point, il n'y a pas lieu pour la cour de modifier la dévolution des dépens effectuée par les premiers juges.

21. D'autre part, la présente instance d'appel n'ayant pas généré de dépens, les conclusions présentées par le requérant en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de justice :

22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Vitry-le-François le versement à M. B... et au centre hospitalier universitaire de Reims des sommes respectives de 1 500 et de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 10 197 euros, mise à la charge du centre hospitalier de Vitry-le-François par les premiers juges, est portée à 13 436,90 euros. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 6 février 2018 et de leur capitalisation à compter du 6 février 2019, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Le jugement n° 1800687 du tribunal administratif

de Châlons-en-Champagne du 23 mars 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier de Vitry-le-François versera à M. B... et au centre hospitalier universitaire de Reims les sommes respectives de 1 500 et de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au centre hospitalier de Vitry-le-François, au centre hospitalier universitaire de Reims et à la caisse d'assurance maladie BBK Securvita.

Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

Le président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 20NC01461 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC01461
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;20nc01461 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award