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21/03/2024 | FRANCE | N°20NC03403

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 21 mars 2024, 20NC03403


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle opposée par le centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude et d'autre part, de condamner le centre hospitalier à lui verser une somme de 173 987 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.



Par un jugemen

t n° 1900524 du 24 septembre 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle opposée par le centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude et d'autre part, de condamner le centre hospitalier à lui verser une somme de 173 987 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1900524 du 24 septembre 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 novembre 2020 et un mémoire enregistré le 28 janvier 2022, M. A..., représenté par Me Landbeck, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 septembre 2020 ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

3°) de condamner le centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude à lui verser une somme de 70 000 euros majorés des intérêts moratoires et de leur capitalisation au titre du harcèlement moral et de la réparation de son préjudice de carrière ;

4°) de condamner le centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude à lui verser une somme de 81 787 euros majorés des intérêts moratoires et de leur capitalisation au titre de congés payés non pris ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier le versement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires au titre du harcèlement moral en considérant qu'il n'a pas été victime de harcèlement moral et il a entaché son jugement d'une erreur de droit ;

- le harcèlement moral dont il a été victime et la décision de refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle constituent une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier Louis Jaillon ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires en réparation des irrégularités commises dans la gestion de sa carrière et du refus de lui payer ses congés payés ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que le rejet opposé par le centre hospitalier Louis Jaillon à sa demande de protection fonctionnelle était fondé.

Par un mémoire en défense enregistré 30 avril 2021, le centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude, représenté par Me Lesné, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à titre principal, la requête de M. A... est irrecevable ;

- les conclusions indemnitaires de M. A... sont irrecevables ;

- à titre subsidiaire, c'est à bon droit que le tribunal administratif a considéré que les faits de harcèlement moral n'étaient pas établis et a rejeté la demande indemnitaire fondée sur le rejet de la demande de protection fonctionnelle ;

- les préjudices allégués par M. A... ne sont pas établis et les indemnisations sollicitées sont excessives.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guidi, présidente,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Oliveira substituant Me Landbeck, pour M. B... A..., ainsi que celles de Me Chenaoui, pour le centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., chirurgien praticien hospitalier, a été recruté au centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude au mois de septembre 2013, avant d'y être titularisé au mois de juillet 2014. En novembre 2015, il a été élu président de la commission médicale de cet établissement. De novembre 2017 à mai 2018, il a été placé en arrêt maladie, avant de solliciter une mise en disponibilité, qui lui a été accordée pour une durée de trois ans à compter du 7 mai 2018. Par une demande du 15 octobre 2018, il a sollicité sa réintégration, qui a été acceptée le 12 novembre 2018. Une nouvelle mise en disponibilité lui a été accordée pour une durée d'un an à compter du 13 avril 2019. Par un courrier du 3 décembre 2018, il a présenté une demande de protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral qu'il estimait subir ainsi qu'une demande indemnitaire en réparation des préjudices en résultant. M. A... relève appel du jugement du 24 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle et, d'autre part, à la condamnation du centre hospitalier Louis Jaillon à lui verser une indemnité de 173 987 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, codifié à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Aux termes de l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

3. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. D'une part, il résulte de l'instruction que M. A... a fait l'objet de multiples critiques émanant d'une partie du personnel du centre hospitalier consistant notamment en des demandes de démission publiques et répétées, en séance du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou dans des lettres ouvertes signées par des membres de l'équipe du bloc opératoire, dont les termes ont pu présenter un caractère vexatoire. Il résulte également de l'instruction que les plannings de consultations et d'interventions chirurgicales de M. A... ont été notablement allégés au cours de l'année 2017. S'il n'est pas établi que sa hiérarchie l'aurait par ailleurs menacé, ni qu'il aurait été l'objet de rumeurs désobligeantes, la mise à l'écart de M. A... et les nombreuses critiques qu'il a subies au cours de l'année 2017 sont susceptibles de faire naître une présomption de harcèlement moral.

5. Toutefois, il résulte d'autre part de l'instruction que les relations conflictuelles de M. A... avec d'autres médecins employés par le centre hospitalier Louis Jaillon, en particulier avec le docteur C..., ont dégradé les conditions de travail au sein du centre hospitalier. A cet égard, la commission de conciliation mise en œuvre par la direction de l'établissement pour apaiser les tensions existantes n'a pas pu résoudre les conflits en raison, notamment de l'opposition manifestée par M. A... à toute mesure d'apaisement. Cette situation de conflit a ainsi conduit le directeur général de l'agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté à proposer, le 30 mai 2017, au directeur du centre hospitalier Louis Jaillon de mettre fin à l'exercice des fonctions de M. A... et de M. C... au sein de cet établissement. Dans ces conditions, alors que la dégradation des relations et conditions de travail au sein du centre hospitalier ont pour origine des relations conflictuelles que M. A... entretenait et cultivait avec ses collègues et les autres membres du personnel soignant, il résulte de l'instruction que le centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude a mis en œuvre des mesures propres à mettre fin à cette situation de conflit et doit être regardé comme démontrant que les faits établis par M. A... sont justifiés par des considérations étrangères à un harcèlement moral dont il aurait été victime. Par conséquent, en l'absence de harcèlement moral, le refus de protection fonctionnelle qui a été opposé à M. A... n'est pas entaché d'une erreur d'appréciation, ni constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement. M. A... n'est pas davantage fondé à soutenir que le centre hospitalier Louis Jaillon aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à raison d'un harcèlement moral dont il aurait été victime.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... exerçait son activité une semaine sur deux au sein du centre hospitalier, tout en étant rémunéré pour une activité à temps plein. S'il soutient qu'il a été illégalement privé de son droit à congés payés, il n'apporte toutefois pas d'élément probant à l'appui de ces allégations en se bornant à produire des bulletins de salaires. Dans ces conditions, M. A... n'établit pas que le centre hospitalier Louis Jaillon aurait omis de lui payer les congés auxquels il avait droit.

7. En troisième lieu, si M. A... a soutenu devant le tribunal administratif de Besançon qu'il n'a plus perçu d'indemnité au titre de la présidence de la commission médicale de l'établissement à compter de la fin de l'année 2017, il s'est borné à produire un bulletin de paie de décembre 2017 mentionnant le versement de cette indemnité et ne réitère pas cette demande en appel.

8. En dernier lieu, le requérant n'établit par aucune pièce les manquements allégués relatifs à des arriérés de paiement de la part de son employeur. En particulier, s'il a fait valoir devant le tribunal administratif de Besançon qu'il a été privé à compter du 1er mai 2017 " de l'ensemble des astreintes " qu'il percevait, il ressort du bulletin de paie de décembre 2017 qu'il a été rémunéré au titre d'astreintes opérationnelles et ne reprend pas cette demande à hauteur d'appel.

9. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le centre hospitalier Louis Jaillon aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en raison d'irrégularités commises dans la gestion de sa carrière.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par le centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude que la requête de M. A... doit être rejetée.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Louis Jaillon, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande M. A... au titre des frais qu'il a exposé et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes frais.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... est condamné à verser une somme de 1 500 euros au centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au centre hospitalier Louis Jaillon de Saint-Claude.

Délibéré après l'audience du 21 février 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- Mme Barrois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024

La rapporteure,

Signé : L. GuidiLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. RobinetLa République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 20NC03403


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03403
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Laurie GUIDI
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : SELARL HOUDART ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;20nc03403 ?
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