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21/02/2024 | FRANCE | N°22NC00866

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 21 février 2024, 22NC00866


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 11 août 2020 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de lui rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.



Par un jugement n° 2005612 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 5

avril 2022, Mme A... B..., représentée par Me Chebbale, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 11 août 2020 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de lui rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

Par un jugement n° 2005612 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 avril 2022, Mme A... B..., représentée par Me Chebbale, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 juin 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 11 août 2020 ;

3°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de la faire bénéficier sans délai des conditions matérielles d'accueil et notamment de l'allocation pour demandeur d'asile à compter du 12 décembre 2019, sous astreinte de 200 euros par jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la décision du 11 août 2020 n'est pas motivée ;

- le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- la décision du 11 août 2020 est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision révélée suspendant le bénéfice des conditions matérielles d'accueil intervenue au cours du mois de septembre 2018 ;

- la décision du 11 août 2020 repose sur des faits matériellement inexacts dès lors qu'elle n'a pas manqué aux obligations auxquelles elle a consenti lors de l'acceptation de l'offre de prise en charge ;

- la décision du 11 août 2020 méconnaît l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison de son état de santé ;

- la décision du 11 août 2020 méconnaît l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle remplit les conditions permettant le bénéfice des conditions matérielles d'accueil ;

- la décision du 11 août 2020 méconnaît l'article 20 de la 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la décision du 11 août 2020 méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sibileau, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante russe, née le 24 septembre 1969, est entrée en France afin de demander l'asile. Lors de l'enregistrement de sa demande, le 15 février 2018, Mme B... s'est vu remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure dite " Dublin " et a accepté l'offre de prise en charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Par une décision du 16 octobre 2018, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration l'a informée de son intention de lui suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil au motif que l'intéressée ne se serait pas présentée à la direction départementale de la police aux frontières. Par courrier daté du 20 novembre 2018, Mme B... a fait part de ses observations à l'Office puis a introduit un recours contre la décision révélée de suspension des conditions matérielles d'accueil dont les effets sont intervenus à compter du 1er septembre 2018 (ci-après " la décision révélée "). Par un jugement n° 2004792 du 19 janvier 2022 devenu définitif, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté en raison de leur tardiveté les conclusions à fin d'annulation de la décision révélée. La demande d'asile de l'intéressée a finalement été enregistrée en France en décembre 2019, en procédure normale. La requérante a alors sollicité le rétablissement des conditions matérielles d'accueil. Par une décision du 11 août 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a rejeté sa demande. Le tribunal administratif de Strasbourg par un jugement n° 2005612 du 17 juin 2021 dont Mme B... interjette appel, a rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision du 11 août 2020.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015, alors en vigueur : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : 1° Suspendu si, sans motif légitime, (...) n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités (...). / La décision de suspension, de retrait ou de refus des conditions matérielles d'accueil est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. / La décision est prise après que l'intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites dans les délais impartis. / Lorsque le bénéfice des conditions matérielles d'accueil a été suspendu, le demandeur d'asile peut en demander le rétablissement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration. ". Aux termes de l'article D. 744-38 du même code, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2019, alors en vigueur : " La décision de suspension, de retrait ou de refus de l'allocation est écrite, motivée et prise après que l'allocataire a été mis en mesure de présenter à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ses observations écrites dans le délai de quinze jours. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. / Lorsque le bénéfice de l'allocation a été suspendu, l'allocataire peut en demander le rétablissement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / La reprise du versement intervient à compter de la date de la décision de réouverture. ".

3. Si les termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été modifiés par différentes dispositions du I de l'article 13 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, il résulte du III de l'article 71 de cette loi que ces modifications, compte tenu de leur portée et du lien qui les unit, ne sont entrées en vigueur ensemble qu'à compter du 1er janvier 2019 et ne s'appliquent qu'aux décisions initiales, prises à compter de cette date, relatives au bénéfice des conditions matérielles d'accueil proposées et acceptées après l'enregistrement de la demande d'asile. Les décisions relatives à la suspension et au rétablissement de conditions matérielles d'accueil accordées avant le 1er janvier 2019 restent régies par les dispositions antérieures à la loi du 10 septembre 2018.

4. Il ressort des pièces du dossier que la décision en litige du 11 août 2020 cite les textes dont elle fait application et justifie le refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil par les manquements de Mme B... aux obligations auxquelles elle avait souscrit lors de son acceptation de l'offre de prise en charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et par l'absence de vulnérabilité ou de besoin particulier en matière d'accueil constatée lors de l'évaluation de la situation personnelle et familiale de l'intéressée. Cette décision énonce ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est par conséquent suffisamment motivée au regard des exigences du deuxième alinéa de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. De surcroît, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a procédé à un examen complet de la situation personnelle de Mme B.... Par suite, les moyens tirés du défaut de motivation et de l'absence d'examen particulier de la situation de l'intéressée manquent en fait et ils ne peuvent, dès lors, qu'être écartés.

5. En deuxième lieu, Mme B... soutient que l'illégalité de la décision révélée prive de base légale la décision du 11 août 2020 mais également que cette dernière doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision révélée de suspension des conditions matérielles d'accueil dont les effets sont intervenus à compter du 1er septembre 2018. Il ressort toutefois des pièces du dossier que par un jugement n° 2004792 du 19 janvier 2022 devenu définitif, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision révélée. De surcroît, Mme B... n'articule aucun moyen de nature à établir l'illégalité de la décision révélée. Par suite, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

6. En troisième lieu, pour refuser de rétablir le droit aux conditions matérielles d'accueil de Mme B..., le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressée ne s'était pas présentée aux autorités de police. Il ressort des pièces du dossier et notamment des mentions du procès-verbal de police du 5 avril 2018, versé au dossier, que Mme B... ne s'est pas présentée les 28 mars et 4 avril 2018 à la direction interdépartementale de la police aux frontières de Strasbourg pour son pointage hebdomadaire. Si Mme B... soutient être atteinte d'une hépatite C et que les contraintes liées à son traitement ne lui permettaient pas de se déplacer les 28 mars et 4 avril 2018, cette circonstance ne ressort nullement des mentions de l'unique certificat médical qu'elle verse à l'appui de ses affirmations. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision du 11 août 2020 repose sur des faits matériellement inexistants.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au litige : " A la suite de la présentation d'une demande d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d'asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d'asile et pendant toute la période d'instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables. / L'évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier à identifier (...) les personnes atteintes de maladies graves (...) ". Aux termes de l'article R. 744-14 du même code, alors en vigueur : " L'appréciation de la vulnérabilité des demandeurs d'asile est effectuée par les agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en application de l'article L. 744-6, à l'aide d'un questionnaire dont le contenu est fixé par arrêté des ministres chargés de l'asile et de la santé. / Si le demandeur d'asile présente des documents à caractère médical, en vue de bénéficier de conditions matérielles d'accueil adaptée à sa situation, ceux-ci seront examinés par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui émet un avis. ".

8. Il résulte des dispositions précédemment citées que les conditions matérielles d'accueil sont proposées au demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile auquel il est procédé en application de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si, par la suite, les conditions matérielles proposées et acceptées initialement peuvent être modifiées, en fonction notamment de l'évolution de la situation du demandeur ou de son comportement, la circonstance que, postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'examen de celle-ci devienne de la compétence de la France n'emporte pas l'obligation pour l'office de réexaminer, d'office et de plein droit, les conditions matérielles d'accueil qui avaient été proposées et acceptées initialement par le demandeur. Dans le cas où les conditions matérielles d'accueil ont été suspendues sur le fondement de l'article L. 744-8, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015, le demandeur peut, notamment dans l'hypothèse où la France est devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile, en demander le rétablissement. Il appartient alors à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, pour statuer sur une telle demande de rétablissement, d'apprécier la situation particulière du demandeur à la date de la demande de rétablissement au regard notamment de sa vulnérabilité, de ses besoins en matière d'accueil ainsi que, le cas échéant, des raisons pour lesquelles il n'a pas respecté les obligations auxquelles il avait consenti au moment de l'acceptation initiale des conditions matérielles d'accueil.

9. Pour justifier de sa vulnérabilité, Mme B... ne saurait se prévaloir du seul avis du médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 6 août 2020 aux termes duquel elle est prioritaire pour un hébergement mais sans caractère d'urgence, que son traitement médical est terminé depuis mars 2019 et qu'aucun argument médical ne s'oppose à son transfert. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées aux points 7 et 8 ci-dessus.

10. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que la décision du 11 août 2020 méconnaît l'article 20 de la directive susvisée dès lors que l'état de santé de Mme B... est incompatible avec les conditions de vie causée par la décision attaquée doit en tout état de cause être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9 ci-dessus, tout comme le moyen tiré de ce que l'intéressée remplirait les conditions imposées pour bénéficier des conditions matérielles d'accueil.

11. En sixième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Ces stipulations n'excluent pas la possibilité que la responsabilité de l'État soit engagée sous l'angle de l'article 3 par un traitement dans le cadre duquel un requérant totalement dépendant de l'aide publique serait confronté à l'indifférence des autorités alors qu'il se trouverait dans une situation de privation ou de manque à ce point grave qu'elle serait incompatible avec la dignité humaine.

12. Toutefois, Mme B... n'établit par ses seules allégations et la production du seul certificat médical du 6 août 2020, ni que l'administration aurait été indifférente à sa situation ni qu'elle se serait trouvée, du seul fait du refus de rétablissement des conditions matérielles d'accueil dans une situation qui atteindrait le seuil de gravité propre aux stipulations précitées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, les conclusions présentées à fin d'injonction et celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 février 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 22NC00866


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NC00866
Date de la décision : 21/02/2024
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste SIBILEAU
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : DE FROMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-21;22nc00866 ?
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