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15/02/2024 | FRANCE | N°23NC00788

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 15 février 2024, 23NC00788


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2300314 du 3 février 2023, la magistrate désignée par le préside

nt du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté du 27 janvier 2023 et a enjoint au préfet de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2300314 du 3 février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté du 27 janvier 2023 et a enjoint au préfet de la Haute-Saône de réexaminer la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2023, le préfet de la Haute-Saône demande à la cour d'annuler ce jugement du 3 février 2023 et de rejeter les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy.

Il soutient que :

- M. B... n'ayant pas sollicité clairement l'asile lors de son audition par les services de police, l'arrêté en litige n'est donc pas entaché d'une erreur de droit au regard de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'étranger ne remplit pas les conditions pour se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le cadre de la protection temporaire en raison de la menace qu'il représente pour l'ordre public.

La requête a été communiquée à M. B... qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 ;

- la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... B..., ressortissant ukrainien né le 18 septembre 1980 à Nezhin (Ukraine), serait entré sur le territoire français le 25 janvier 2023 muni de son passeport en cours de validité et d'un visa touristique délivré par les autorités polonaises. Le 27 janvier suivant, il s'est présenté au guichet de la préfecture de la Haute-Saône afin de solliciter la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour délivrée aux ressortissants ukrainiens. A cette occasion, il est apparu qu'il avait fait l'objet d'un arrêté, le 23 octobre 2020, par lequel le préfet de la Loire Atlantique lui avait fait obligation de quitter sans délai le territoire français et lui avait interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un arrêté du 27 janvier 2023, le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a prolongé l'interdiction de retour sur le territoire prise à son encontre le 23 octobre 2020 pour une durée supplémentaire de trois ans et l'a placé en rétention administrative. Le préfet de la Haute-Saône relève appel, du jugement du 3 février 2023, par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté du 27 janvier 2023 et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nancy :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement ". Aux termes de l'article L. 521-7 du même code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile (...). Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2. ". Aux termes de l'article L. 541-2 du même code : " L'attestation délivrée en application de l'article L. 521-7, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile statuent ". Enfin, aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : (...) 2° Lorsque le demandeur : (...) c) présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; d) fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un État autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale ". Aux termes de l'article R. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'enregistrement de sa demande relève du préfet de département (...) ", et aux termes de l'article R. 521-4 du même code : " Lorsque l'étranger se présente en personne auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, en vue de demander l'asile, il est orienté vers l'autorité compétente. (...) ".

3. Par ailleurs, l'article L. 581-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Le bénéfice du régime de la protection temporaire est ouvert aux étrangers selon les modalités déterminées par la décision du Conseil de l'Union européenne mentionnée à l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 (...) ". L'article L. 581-4 du même code dispose : " Le bénéfice de la protection temporaire ne préjuge pas de la reconnaissance de la qualité de réfugié au titre de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Il ne peut toutefois être cumulé avec le statut de demandeur d'asile. / L'étranger bénéficiaire de la protection temporaire qui sollicite l'asile reste soumis au régime de la protection temporaire pendant l'instruction de sa demande. Si, à l'issue de l'examen de la demande d'asile, le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire n'est pas accordé à l'étranger bénéficiaire de la protection temporaire, celui-ci conserve le bénéfice de cette protection aussi longtemps qu'elle demeure en vigueur. ". L'article 2 de la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire dispose que la protection temporaire s'applique " aux catégories suivantes de personnes déplacées d'Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l'invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date : / a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022 ".

4. Les dispositions citées au point 2 ont pour effet d'obliger l'autorité de police à transmettre au préfet, et ce dernier à enregistrer, une demande d'admission au séjour lorsqu'un étranger, à l'occasion de son interpellation, formule une première demande d'asile. Hors les cas concernant l'hypothèse d'un ressortissant étranger formulant sa demande d'asile à la frontière ou en rétention, et hors les cas prévus aux c et d du 2° de l'article L. 542-2 précité, le préfet saisi d'une première demande d'asile est ainsi tenu de délivrer au demandeur l'attestation mentionnée à l'article L. 521-7 précité. Ces dispositions font donc nécessairement obstacle à ce que l'autorité administrative prenne une mesure d'éloignement à l'encontre de l'étranger qui, avant le prononcé d'une telle mesure, a clairement exprimé le souhait de former une demande d'asile devant les services de police lors de son interpellation, même s'il ne s'est pas volontairement présenté devant eux, et sans égard au caractère éventuellement dilatoire d'une telle demande.

5. D'une part, si M. B... s'est, après avoir déclaré avoir quitté l'Ukraine, présenté à la préfecture le 27 janvier 2023, il n'est pas contesté qu'il n'entendait pas y solliciter l'asile mais demander le bénéfice de la protection temporaire ouverte aux Ukrainiens en application de l'article 2 de la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 cité au point 3. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal d'audition de l'intéressé par les services de police du 27 janvier 2023 aux fins de vérification du droit de circulation ou de séjour, que M. B... a répondu à la question de savoir le but de son voyage qu'il voulait " échapper à la guerre et (...) travailler en France " et a la question de savoir s'il avait entrepris des démarches pour régulariser sa situation en France ou dans un autre pays d'Europe, il a indiqué qu'il a uniquement fait des démarches en France et qu'il s'est présenté ce jour à la préfecture afin de régulariser sa situation sur le territoire français. S'il indique enfin qu'il ne veut pas retourner dans son pays d'origine en raison de la guerre, il ajoute à nouveau qu'il veut travailler en France. A aucun moment au cours de cet entretien, il n'exprime clairement le souhait de solliciter l'asile en France ni n'indique les raisons pour lesquelles il serait personnellement en danger en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, M. B... ne peut être regardé comme ayant exprimé, de manière non équivoque, son intention de solliciter l'asile avant que le préfet de la Haute-Saône ne prenne à son encontre la mesure d'éloignement contestée.

6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Saône est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 27 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a estimé que cet arrêté était entaché d'une erreur de droit pour défaut de délivrance de l'attestation de demande d'asile.

7. Il y a lieu toutefois pour cette cour de statuer sur les autres moyens invoqués par M. B... à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué.

Sur la légalité des arrêtés du 27 janvier 2023 :

En ce qui concerne les moyens communs aux décisions contestées :

8. Par un arrêté du 6 janvier 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 70-2023-004 du 10 janvier 2023 de la préfecture de Haute-Saône, le préfet de la Haute-Saône a donné délégation de signature à M. A... C..., directeur de la citoyenneté, de l'immigration et des libertés à compter du 10 janvier 2023, à l'effet de signer les décisions relevant des attributions de sa direction, notamment dans les matières suivantes : les refus de séjour, les obligation de quitter le territoire français, les refus d'accorder un délai de départ volontaire, les interdictions de retour sur le territoire français et les décision fixant le pays de renvoi. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.

9. L'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, le préfet de la Haute-Saône qui n'avait pas à viser toutes les circonstances de fait de la situation de B..., a cité les éléments pertinents dont il avait connaissance et qui fondent ses décisions. Il indique ainsi que l'étranger a déclaré être entré en France le 25 janvier 2023 afin de solliciter la protection temporaire ouverte aux Ukrainiens et que s'étant présenté au guichet de la préfecture de Haute-Saône, il est apparu qu'il avait fait l'objet le 23 octobre 2020 d'une précédente obligation de quitter le territoire français assorti d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions en litige doit être écarté.

10. Il ne ressort ni des pièces du dossier, ni des termes de l'arrêté dans lequel le préfet de la Haute-Saône précise que l'étranger ne sera pas renvoyé dans un pays où celui-ci serait soumis à des traitements inhumains ou dégradants en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le préfet aurait entaché d'un défaut d'examen individuel et sérieux de sa situation.

11. Si M. B... se prévaut de l'irrégularité de la notification des décisions en litige en ce qu'elle lui aurait été faite en français, langue qu'il ne comprendrait pas, cette circonstance, à la supposée établie, est postérieure à leur édiction et est donc sans incidence sur leur légalité. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier et en particulier du procès-verbal du 27 janvier 2023 faisant état de la fin de la retenue et de la notification de l'obligation de quitter le territoire français que cette mesure lui a été notifiée par le truchement d'une interprète en langue ukrainienne, jointe par téléphone.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. B... qui a été condamné à trois reprises pour des faits de vol entre 2012 et 2019, pour des faits de violation de domicile et menaces en 2014 et pour conduite en état d'ivresse en 2019 ne dispose d'aucune attache familiale, personnelle ou professionnelle en France. Au contraire, il a déclaré, au cours de sa retenue le 27 janvier 2023, que son ex-épouse et leur fille vivent toutes deux à Milan en Italie. Dans ces conditions, compte tenu de la durée et des conditions de séjour de M. B... en France, le préfet de la Haute-Saône n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire :

14. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; (...) /

8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. ".

15. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est connu défavorablement des services de police et a été notamment condamné à trois reprises pour des faits de vol par le tribunal correctionnel de Nantes en 2012, 2014 et 2019, pour conduite en état d'ivresse en 2019 et pour des faits de violation de domicile et menaces par la cour d'appel d'Orléans en 2014. Renvoyé dans son pays d'origine le 26 janvier 2020, il est revenu en France le 25 janvier 2023 en dépit de l'interdiction de revenir sur le territoire français dont il faisait l'objet. Il ressort en outre du procès-verbal d'audition du 27 janvier 2023 qu'il ne dispose d'aucune ressource, subvient à ses besoins grâce à de l'argent envoyé par des proches, ne dispose d'aucune adresse stable et qu'il refuse de quitter le territoire français en cas de mesure d'éloignement. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public et qu'il ne présente pas de risque de fuite. Par suite, le préfet a pu, sans méconnaître les dispositions précitées, refuser de lui octroyer un délai de départ volontaire.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

16. Dans la décision contestée, le préfet de la Haute-Saône a retenu que M. B... n'établit pas être exposé à des peines ou des traitements dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Pologne, pays dans lequel l'étranger dispose, à la date de la décision en litige, d'un visa C valable 90 jours ou de dans tous autre pays où il serait légalement admissible. Ce faisant, le préfet, qui n'a pas usé de formules stéréotypées, a suffisamment motivé sa décision.

17. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.

18. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

19. Le préfet de la Haute-Saône a décidé que M. B... sera reconduit à destination de la Pologne où il était légalement admissible à la date de la décision en litige ou de tout autre pays où il établira être légalement admissible sous réserve qu'il n'y soit pas exposé à des peines ou des traitements dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si l'étranger soutient qu'en cas de renvoi en Pologne, il serait renvoyé, par ricochet, en Ukraine à l'expiration de son visa Schengen, l'intéressé ne fait l'objet à la date de la décision en litige d'aucune mesure d'éloignement prise par les autorités polonaises qui, de surcroît, présenterait un caractère définitif et il n'établit pas, ni même n'allègue que les autorités polonaises ne lui accorderaient pas la protection temporaire ou l'asile. En tout état de cause, à supposer qu'il puisse être renvoyé en Ukraine, s'il estime qu'il encourrait des risques en cas de retour dans son pays d'origine en raison du conflit russo-ukrainien, il existe des disparités régionales en termes d'étendue ou de niveau de violence ainsi que d'impact sur les populations civiles. En l'espèce, M. B... ne précise pas sa région d'origine ni même n'établit qu'il résidait en Ukraine préalablement à l'invasion de son territoire. Dans ces conditions, alors qu'il doit apporter tous les éléments relatifs à sa situation personnelle permettant de penser qu'il encourrait personnellement un tel risque, il n'apporte aucun élément probant permettant de démontrer qu'il serait personnellement et individuellement menacé en cas de retour en Ukraine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

20. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'interdiction de retour sur le territoire français.

21. D'une part, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". D'autre part, aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

22. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

23. Il ressort des termes de l'arrêté en litige que pour motiver l'interdiction de retour sur le territoire français le préfet de la Haute-Saône a retenu que la présence de M. B... constitue une menace à l'ordre public et qu'il a fait l'objet d'une première mesure d'éloignement le 23 octobre 2020, assortie d'une interdiction de retour d'une durée de trois ans, qui a été exécutée le 26 octobre suivant. Il souligne également que l'étranger a fait le choix volontaire de revenir sur le territoire français en méconnaissance de l'interdiction de retour et qu'il ne justifie pas d'attaches familiale ou personnelle forte en France. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Saône a suffisamment motivé son interdiction de retour sur le territoire français.

24. Ainsi qu'il a été dit, M. B..., est entré récemment sur le territoire français à la date de la décision en litige, est connu défavorablement des services de police notamment pour des faits de vol, de conduite en état d'ivresse et de violation de domicile et de menaces commis lors d'un précédent séjour en France. Ces faits qui ont abouti à des condamnations prononcées entre 2012 et 2019, eu égard à la gravité et leur répétition, sont de nature à démontrer que la présence de M. B... en France constitue une menace pour l'ordre public. Si l'étranger se prévaut du conflit russo-ukrainien et de l'absence de prise en charge de manière effective en cas de retour en Ukraine alors qu'il souffre d'une hépatite C, de diabète et de douleurs au thorax, d'une part, la décision contestée n'a ni pour objet, ni pour effet de le renvoyer en Ukraine et d'autre part, il ne démontre pas que son état de santé nécessiterait une prise en charge dont le défaut entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité alors qu'au demeurant, examiné par un médecin le 27 janvier 2023, ce dernier a estimé que son état de santé était compatible avec le maintien en rétention administrative. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation quant aux circonstances humanitaires, que le préfet a pu édicter une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.

25. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préfet de la Haute-Saône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 27 janvier 2023.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 3 février 2023 du tribunal administratif de Nancy est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Haute-Saône.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, vice-président,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

La rapporteure,

Signé : C. MosserLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 23NC00788


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00788
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Cyrielle MOSSER
Rapporteur public ?: Mme STENGER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;23nc00788 ?
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