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13/02/2024 | FRANCE | N°23NC02263

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 13 février 2024, 23NC02263


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 7 février 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités polonaises et l'a assignée à résidence dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2300609 du 9 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy l'a admise, à titre provisoire, au bénéfice

de l'aide juridictionnelle et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.





Procédure dev...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 7 février 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités polonaises et l'a assignée à résidence dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2300609 du 9 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy l'a admise, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Levi-Cyferman, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les arrêtés de la préfète du Bas-Rhin du 7 février 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de l'autoriser à déposer sa demande d'asile en France ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75-I de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les arrêtés sont entachés d'incompétence ;

- l'arrêté décidant son transfert aux autorités polonaises a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été mise à même de présenter des observations écrites ou orales en étant éventuellement assistée par un avocat ou une autre personne, en méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la préfète du Bas-Rhin a méconnu les articles 4 et 5 du règlement du 26 juin 2013 ; en particulier l'entretien qui a été mené s'est déroulé de manière particulièrement succincte sans lui permettre de s'exprimer complètement sur sa situation ;

- la décision portant transfert n'est pas suffisamment motivée ;

- la préfète du Bas-Rhin a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 17 de la convention de Dublin ;

- il existe des défaillances systémiques dans le traitement des demandes d'asile en Pologne, la préfète du Bas-Rhin a méconnu les articles 3-2 et 17 du règlement Dublin III ;

- la décision portant assignation à résidence sera annulée en raison de l'illégalité de la décision de transfert ;

- elle est dans l'impossibilité de se déplacer au commissariat.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 septembre 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable en l'absence de moyens nouveaux et en raison de sa tardiveté ;

- aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Samson-Dye a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., de nationalité russe, est entrée sur le territoire français en vue de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. A l'occasion de l'enregistrement de sa demande d'asile, la consultation du fichier Eurodac a révélé que Mme A... avait, auparavant, sollicité l'asile auprès des autorités polonaises. Le 16 janvier 2023, la France a saisi les autorités de ce pays d'une demande de prise en charge. Les autorités polonaises ont fait explicitement connaître leur accord par une décision du 23 janvier 2023. Par un arrêté du 7 février 2023, la préfète du Bas-Rhin a ordonné le transfert de l'intéressée aux autorités polonaises. Par un arrêté du même jour, la préfète a prononcé à l'encontre de Mme A... une assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Cette dernière relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'il y a lieu d'écarter les moyens invoqués à l'encontre de la décision portant remise aux autorités polonaises et tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte, du défaut de motivation et de la méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge, aux points 4 à 6 du jugement attaqué.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".

4. La requérante soutient que l'entretien prévu par les dispositions citées au point précédent n'a pas été conduit par une personne qualifiée au sens de cet article. Aucune disposition n'impose que le document portant compte-rendu de l'entretien comporte des indications ou justifications de la qualification de l'agent ayant conduit l'entretien. En outre, en l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point, il n'est pas établi que l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien n'aurait pas été mandaté à cet effet après avoir bénéficié d'une formation appropriée et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point précédent. Contrairement à ce que soutient la requérante, qui critique le caractère succinct de l'entretien, il ressort des termes du compte rendu de cet entretien qu'elle a été mise à même de s'exprimer complètement sur sa situation. Pour le surplus, les allégations générales relatives à la méconnaissance des articles 4 et 5 du règlement du 26 juin 2013 ne sont pas assorties des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit donc être écarté dans toutes ses branches.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 572-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable. ". Enfin, aux termes de l'article 17 de ce même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

6. Mme A... soutient que la Pologne se caractériserait par l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Toutefois, les articles de presse dont elle se prévaut ne sont pas de nature à démontrer de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Pologne des défaillances systémiques dans le traitement des demandes d'asile que les autorités de ce pays ont accepté de prendre ou de reprendre en charge lorsqu'elles en ont été requises par les autorités d'un autre Etat membre.

7. En quatrième lieu, si la requérante soutient que sa mère et son frère résident en France, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée a vécu de nombreuses années séparée des membres de sa famille. Elle ne justifie en outre de la présence effective et régulière sur le territoire français qu'au sujet de son frère. Ni leur présence en France, à la supposer même établie s'agissant de sa mère, ni les allégations de la requérante quant aux menaces qui pèseraient sur elle en Pologne ou aux troubles de santé de sa mère ou des siens, à défaut de production de tout élément probant sur ces trois derniers points, ne permettent d'établir que la préfète du Bas-Rhin aurait entaché sa décision de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. La requérante se prévaut de la présence en France de sa mère et de son frère. Toutefois elle a vécu de nombreuses années séparée de ces derniers et ne justifie pas avoir conservé avec eux des liens d'une particulière intensité. Elle ne justifie pas des difficultés de santé dont elle-même et sa mère seraient atteintes. De plus, il est constant qu'elle vit en France depuis moins d'un an à la date de la mesure de transfert litigieuse. Dans ces conditions, cette décision n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des objectifs de la mesure. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

10. En sixième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que Mme A... n'établit pas que la décision portant transfert aux autorités polonaises prise à son encontre serait illégale. Dès lors, l'exception d'illégalité de cette décision, soulevée à l'appui des conclusions dirigées contre la décision l'assignant à résidence, n'est en tout état de cause pas fondée et doit être écartée.

11. En septième et dernier lieu, Mme A... allègue qu'elle est dans l'impossibilité de se rendre au commissariat, ainsi que l'y oblige l'arrêté portant assignation à résidence. Toutefois, elle n'assortit cette allégation d'aucun élément probant, de nature à établir le caractère manifestement inapproprié des mesures de contrôle assortissant l'assignation à résidence.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète du Bas-Rhin, que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés de la préfète du Bas-Rhin du 7 février 2023, ni à soutenir que c'est à tort que le premier juge a rejeté sa demande. Sa requête ne peut, dès lors, qu'être rejetée, dans toutes ses conclusions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B..., à Me Levi-Cyferman et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024

La rapporteure,

Signé : A. Samson-DyeLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 23NC02263


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02263
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : ANNIE LEVI-CYFERMAN - LAURENT CYFERMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;23nc02263 ?
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