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13/02/2024 | FRANCE | N°21NC02342

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 13 février 2024, 21NC02342


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner la commune de Moffans-et-Vacheresse à lui verser la somme de 18 000 euros en réparation des dommages qu'elle estime avoir subi du fait de la construction, à proximité immédiate de sa propriété immobilière, d'emplacements publics de stationnement, d'enjoindre à la commune de Moffans-et-Vacheresse de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser définitivement le dommage dans un délai

d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner la commune de Moffans-et-Vacheresse à lui verser la somme de 18 000 euros en réparation des dommages qu'elle estime avoir subi du fait de la construction, à proximité immédiate de sa propriété immobilière, d'emplacements publics de stationnement, d'enjoindre à la commune de Moffans-et-Vacheresse de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser définitivement le dommage dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et enfin de mettre à la charge de la commune la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2000042 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Besançon après avoir reconnu la responsabilité sans faute de la commune de Moffans-et-Vacheresse, a condamné cette dernière à verser à Mme B... A... la somme de 1 500 euros au titre du préjudice de jouissance subi et a enjoint à la commune de Moffans-et-Vacheresse de faire réaliser des ouvrages de type muret ou bordure pour conserver les emplacements de stationnement tout en permettant l'accès piéton à la maison de Mme B... A..., dans un délai de 6 mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 août 2021 et 16 août 2022, Mme B... A..., représentée par Me Braillard, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Besançon en tant que celui-ci a uniquement condamné la commune de Moffans-et-Vacheresse à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des préjudices subis et n'a pas fait droit à sa demande de mesures visant à faire cesser les nuisances résultant des emplacements de stationnement ;

2°) de condamner la commune de Moffans-et-Vacheresse à lui verser les sommes de 8 000 euros et 12 000 euros au titre respectivement de son préjudice de jouissance et de la dépréciation de la valeur vénale de son bien ;

3°) d'enjoindre à la commune de Moffans-et-Vacheresse de prendre toutes les mesures de nature à faire cesser définitivement les nuisances existantes dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et notamment de supprimer les emplacements de stationnement litigieux et de mettre en place des dispositifs rétractables anti-stationnement devant les emplacements de stationnement actuels et également devant le garage de sa maison ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Moffans-et-Vacheresse la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux entiers dépens.

Elle soutient que :

- les premiers juges n'ont pas répondu explicitement aux mesures qu'elle a sollicitées dans ses conclusions à fin d'injonction : elle demandait de supprimer les emplacements de stationnement litigieux et de mettre en place des dispositifs rétractables anti-stationnement devant les emplacements de stationnement actuels mais également devant le garage de sa maison ;

- les mesures prescrites par les premiers juges pour faire cesser le dommage sont insuffisantes ;

- elle subit un préjudice de jouissance qui doit être estimé à la somme de 8 000 euros ;

- contrairement aux affirmations de la commune, elle avait bien sollicité en première instance l'indemnisation de son préjudice de jouissance ;

- la perte de valeur vénale de son bien est imputable à la présence des emplacements litigieux et au fait qu'elle ne dispose plus désormais que d'une place de parking devant sa maison.

Par deux mémoires enregistrés le 16 décembre 2021 et le 27 décembre 2022, la commune de Moffans-et-Vacheresse, représentée par Me Lazzarin puis par Me Tadic, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête de Mme B... A... ;

2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 1er du jugement n° 2000042 du tribunal administratif de Besançon par lequel elle a été condamnée à verser à Mme B... A... une somme de 1 500 euros au titre de son préjudice de jouissance ;

3°) à ce que soit mis à la charge de Mme B... A... le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont statué ultra petita en retenant un préjudice de jouissance dont la requérante ne faisait pas état dans ses écritures : Mme B... A... contestait non pas la configuration de l'ouvrage public mais l'existence même de l'ouvrage public litigieux ;

- les éléments produits par Mme B... A... ne permettent pas de caractériser une perte de valeur vénale de son bien imputable à l'ouvrage public litigieux ;

- les prétentions indemnitaires de Mme B... A... au titre du préjudice de jouissance ne sont pas justifiées : elle ne dispose d'aucun droit à bénéficier de l'occupation exclusive du domaine public ;

- sa responsabilité ne saurait être engagée en l'absence d'un dommage anormal et spécial imputable à l'ouvrage public ;

- la requérante ne démontre aucun lien de causalité entre l'ouvrage public et les dommages subis, tels que le vol dans son garage ou la dégradation de son état de santé ;

- les conclusions de Mme B... A... à fin d'injonction ne pourront qu'être rejetées dès lors qu'elles impliquent une privatisation du domaine public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public ;

- les observations de Me Tadic, représentant la commune de de Moffans-et-Vacheresse.

Considérant ce qui suit :

1. En 2016, le maire de la commune de Moffans-et-Vacheresse a cédé à titre onéreux le local adjacent à la propriété de Mme B... A..., afin de permettre l'installation d'un salon de coiffure à compter de 2017. Le 14 juin 2018, deux emplacements de stationnement publics ont été aménagés sur le domaine public communal situé devant la maison de Mme B... A.... La place située devant la porte de garage de Mme B... A... lui a été réservée. Par lettre recommandée, reçue le 26 octobre 2019, Mme B... A... a adressé au maire de Moffans-et-Vacheresse une demande préalable indemnitaire afin d'obtenir réparation des préjudices subis du fait des emplacements de stationnement litigieux. Par un jugement n° 2000042 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Besançon a condamné la commune de Moffans-et-Vacheresse à verser à Mme B... A... la somme de 1 500 euros au titre du préjudice de jouissance subi et lui a enjoint de faire construire des ouvrages permettant l'accès piéton de Mme B... A... à sa propriété tout en conservant les places de stationnement. Mme B... A... relève appel de ce jugement en tant que celui-ci a limité son indemnisation à la somme de 1 500 euros au titre des préjudices subis et n'a pas fait droit à sa demande de mesures visant à faire cesser les nuisances résultant de cette implantation. Par la voie de l'appel incident, la commune de Moffans-et-Vacheresse sollicite l'annulation de l'article premier de ce jugement par lequel elle a été condamnée à verser à Mme B... A... une somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice de jouissance.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ressort des termes du jugement que le seul préjudice de jouissance retenu par le tribunal résulte du fait que la configuration des emplacements de stationnement créés par la commune de Moffans-et-Vacheresse au droit de la maison d'habitation de la requérante amenait les véhicules à stationner à environ une trentaine de centimètres de sa porte d'entrée. Pour mettre fin à ce trouble, il a enjoint à la commune de Moffans-et-Vacheresse de procéder à la réalisation d'ouvrages de nature à permettre le libre accès de la requérante à sa maison, en dégageant le perron de sa porte de l'éventualité de la présence de véhicules. Ils ont ainsi répondu aux conclusions à fin d'injonction de la demande de Mme B... A... en prescrivant les mesures propres à mettre fin au préjudice que le tribunal a reconnu qui n'impliquait pas la suppression des emplacements litigieux. Mme B... A... n'est par suite pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité au motif que les premiers juges auraient omis de statuer sur ses conclusions présentées à fin d'injonction.

3. En second lieu, il résulte de l'instruction que Mme B... A... a sollicité en première instance la condamnation de la commune de Moffans-et-Vacheresse sur le fondement des dommages permanents causés par un ouvrage public et faisait valoir les différents préjudices de jouissance subis du fait de cet ouvrage public. La commune de Moffans-et-Vacheresse n'est par suite pas davantage fondée à soutenir que le jugement est irrégulier au motif que non saisis de conclusions tendant à la réparation d'un préjudice de jouissance les premiers juges auraient statué ultra petita.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le principe de responsabilité :

4. La responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers. Il appartient toutefois au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général. Si en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique.

5. Il résulte de l'instruction qu'à la date du jugement litigieux la configuration des emplacements de stationnement créés sur le domaine public par la commune de Moffans-et-Vacheresse au droit de la maison d'habitation de la requérante permettait aux véhicules de stationner à environ une trentaine de centimètres de sa porte d'entrée ou sous sa fenêtre, comme l'ont souligné à juste titre les premiers juges au point 3 du jugement litigieux. Une telle configuration des emplacements de stationnement à proximité immédiate de sa maison d'habitation est de nature à créer un dommage grave et spécial à Mme B... A.... Il suit de là que la responsabilité de la commune est engagée en raison de la configuration de l'ouvrage public ainsi créé. Par suite, la commune de Moffans-et-Vacheresse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu sa responsabilité sans faute en raison de la configuration de cet ouvrage public permanent.

En ce qui concerne les préjudices :

6. Si la requérante se prévaut de nuisances visuelles, olfactives et sonores ainsi que d'une perturbation dans sa vie quotidienne en raison des nombreux usagers du salon de coiffure qui se garent sur les places de stationnement, ces nuisances sont imputables à l'usage des places de stationnement par les clients du salon de coiffure et non à l'aménagement desdites places à proximité immédiate de son habitation. Le seul préjudice de jouissance de la requérante du fait de l'ouvrage public retenu par le tribunal confirmé au point 5 du présent arrêt se limite uniquement au fait que les places de stationnement étaient situées à une proximité trop proche de sa maison, ce qui n'est plus le cas depuis la réalisation de murets. Dans ces conditions, Mme B... A... n'est pas fondée à demander une indemnité supplémentaire au titre d'une part, des nuisances visuelles, olfactives et sonores et d'autre part, d'une perturbation dans sa vie quotidienne, ni par suite le remboursement des frais exposés pour les constats d'huissier, qui ne sont pas des dépens.

7. Si la requérante se prévaut également d'une perte de la valeur vénale de sa maison, il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise immobilière du 16 février 2022 produite par la requérante que la baisse de la valeur vénale de son bien est due à la présence du salon de coiffure et non à la configuration des places de parking à proximité immédiate de son habitation. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de ses conclusions d'appel en ce qui concerne le nouveau montant de ce chef de préjudice, la requérante n'est pas fondée à solliciter une indemnisation de ce chef de préjudice, ni par suite le remboursement des frais exposés pour son expertise, qui ne sont pas des dépens.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

8. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

9. Il résulte de l'instruction que le tribunal administratif a enjoint à la commune, dans l'article 2 du jugement litigieux, " de réaliser ou faire réaliser des ouvrages de type muret ou bordure, afin de conserver les emplacements existants et permettre l'accès piéton à la maison de la requérante ". Cette injonction à réaliser des ouvrages permet donc un dégagement du perron devant la porte et fait obstacle à ce qu'une voiture se gare à proximité immédiate de sa porte d'entrée et de l'une des fenêtres du rez-de-chaussée. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les injonctions telles que définies par le tribunal administratif sont insuffisantes pour supprimer le seul préjudice retenu résultant de l'aménagement de places de stationnement trop proche de sa maison d'habitation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon, a uniquement condamné la commune de Moffans-et-Vacheresse à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des préjudices subis et n'a pas fait droit à sa demande de mesures visant à faire cesser les nuisances résultant des emplacements de stationnement.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Moffans-et-Vacheresse qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... A... la somme demandée par la commune de Moffans-et-Vacheresse, au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de la commune de Moffans-et-Vacheresse sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... A... et à la commune de Moffans-et-Vacheresse.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet du Doubs en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 21NC02342


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02342
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SCP AVO ACT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;21nc02342 ?
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