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06/02/2024 | FRANCE | N°23NC01592

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 06 février 2024, 23NC01592


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler, d'une part, l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Aube lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel le préfet de la Haute-Saône l'a assigné à résidence dans ce département.



Par un jugement n° 2202070 du 28 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal ad...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler, d'une part, l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Aube lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel le préfet de la Haute-Saône l'a assigné à résidence dans ce département.

Par un jugement n° 2202070 du 28 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 mai 2023, M. A..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces arrêtés ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Saône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et jusqu'au réexamen de son droit au séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision en litige est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité du refus de délai de départ volontaire :

- elle est entachée de contradiction de motifs, le préfet ayant motivé l'assignation à résidence par la circonstance qu'il présentait des garanties propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision en litige est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :

- elle est entachée de contradiction de motifs avec la décision lui refusant un délai de départ volontaire ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2023, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Brodier, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen ayant déclaré être né le 21 août 1999, serait entré irrégulièrement sur le territoire français en 2015 ou en 2016. Il s'est présenté le 8 février 2016 au commissariat de police d'Orléans. Il a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance du département du Cher à compter du 30 août 2016. Par un arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 6 novembre 2017, il a été condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis et à une peine d'interdiction de territoire français pour une durée de deux ans pour faux et usage de faux. Il aurait, le 10 juillet 2018, sollicité la délivrance d'un titre de séjour et a bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'au 9 octobre 2018, qu'il n'a toutefois pas fait renouveler. A la suite de son interpellation le 20 décembre 2022, le préfet de l'Aube lui a, par un arrêté du 20 décembre 2022, fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un arrêté du même jour, le préfet de la Haute-Saône a prononcé son assignation à résidence dans ce département. M. A... relève appel du jugement du 28 décembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Si M. A... établit être entré sur le territoire français au plus tard le 8 février 2016, il ne produit aucune pièce permettant de justifier de sa présence entre octobre 2018, date à laquelle il n'a pas fait procéder au renouvellement de son autorisation provisoire de séjour, et le 10 juin 2022, date à partir de laquelle il a été hébergé par la communauté Emmaüs de Vesoul. A supposer même qu'il réside en France depuis quasiment sept ans à la date de la décision en litige, il ne se prévaut d'aucune attache familiale ou personnelle sur le territoire. En dépit de l'accompagnement dont il a bénéficié en qualité de mineur isolé, notamment par son inscription en " action de remobilisation à temps plein français langue étrangère " en 2016/2017, il n'allègue pas avoir suivi de formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Son statut de compagnon dans la communauté Emmaüs de Haute-Saône depuis six mois à la date de la décision en litige ne permet pas d'établir qu'il serait inséré professionnellement ou socialement en France. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la mesure d'éloignement prise à son encontre porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

4. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Sur la légalité de la décision fixant le délai de départ volontaire :

5. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) ; 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) ; 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5 ".

6. En premier lieu, il ressort de la décision par laquelle le préfet de l'Aube a refusé d'accorder un délai de départ volontaire à M. A... que le risque qu'il se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français a été considéré comme établi, en application du 1° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif qu'il n'avait effectué aucune démarche pour régulariser sa situation depuis 2017. Le préfet n'a pas retenu l'application des dispositions du 8° de l'article L. 612-3 du même code. Dans ces conditions, M. A... ne saurait sérieusement soutenir que la motivation du refus de lui accorder un délai de départ volontaire serait en contradiction avec la motivation de l'arrêté décidant son assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré d'une contradiction de motifs ne peut qu'être écarté.

7. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu de sa situation personnelle sur le territoire français, le préfet de l'Aube aurait fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

9. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 3 du présent arrêt, le préfet de l'Aube n'a pas fait une inexacte application des dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. De même, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :

10. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ". Aux termes de l'article L. 741-1 du même code : " L'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision. / Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3 ".

11. En premier lieu, pour décider d'assigner M. A... à résidence plutôt que de prononcer à son encontre une mesure de rétention administrative, le préfet de la Haute-Saône a retenu que l'intéressé, qui justifiait d'un domicile stable, présentait des garanties propres à prévenir le risque, au sens et pour l'application des dispositions précitées, qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement prise à son encontre. Ainsi qu'il a été dit au point 6 du présent arrêt, le refus de lui accorder un délai de départ volontaire n'est pas motivé par la circonstance qu'il ne présenterait pas de garanties de représentation suffisantes au sens des dispositions du 8° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré d'une contradiction de motif ne peut qu'être écarté.

12. En second lieu, le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation de la décision d'assignation à résidence n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 20 décembre 2022. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Bertin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bauer, présidente,

- Mme Brodier, première conseillère,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 février 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier La présidente,

Signé : S. Bauer

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 23NC01592


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01592
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BAUER
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;23nc01592 ?
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