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06/02/2024 | FRANCE | N°23NC01591

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 06 février 2024, 23NC01591


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2201734 du 21 décembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administra

tif de Besançon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2022 par lequel le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2201734 du 21 décembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 mai 2023, M. A..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Saône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, à renouveler jusqu'à ce qu'il ait été statué sur son droit au séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté en litige est entaché d'incompétence de son auteur ;

- il n'a pas été invité à présenter des observations écrites ou orales avant l'intervention de l'obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de retour sur le territoire français, en méconnaissance de l'article 41, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination sont entachées d'erreur de droit, le préfet s'étant estimé lié par les décisions relatives à l'asile ;

- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2023, le préfet de la Haute-Saône conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Brodier, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant pakistanais né en 1984, est entré irrégulièrement en France le 5 septembre 2019. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 8 mars 2022, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 19 août 2022. Par un arrêté du 6 octobre 2022, le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. M. A... relève appel du jugement du 21 décembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la compétence du signataire de l'arrêté en litige :

2. Aux termes de l'article R. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente pour édicter la décision portant obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le délai de départ volontaire et l'interdiction de retour sur le territoire français est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police ". Aux termes de l'article L. 721-3 du même code : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, (...) ".

3. Par un arrêté du 26 octobre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet de la Haute-Saône a donné délégation à M. Michel Robquin, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer en son nom tous arrêtés et décisions relevant de sa compétence, parmi lesquels figurent, ainsi qu'il ressort des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les arrêtés portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et faisant interdiction de retour sur le territoire français. L'arrêté du 26 octobre 2021, qui excluait par ailleurs de la délégation de signature consentie au secrétaire général certaines catégories d'actes au nombre desquels ne figure pas l'arrêté en litige, était suffisamment complet et précis. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige manque en fait et doit être écarté.

Sur le droit d'être entendu :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". L'article L. 122-1 du même code dispose : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. (...) ". Aux termes de l'article L. 121-2 : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : (...) 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ; (...) ".

5. Il résulte des dispositions du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions portant obligation de quitter le territoire français et des décisions pouvant les assortir, parmi lesquelles les interdictions de retour sur le territoire français. Ainsi, le requérant ne saurait utilement invoquer les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration à l'encontre des décisions par lesquelles le préfet de la Haute-Saône lui a fait obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français.

6. D'autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'adresse pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. M. A... ne saurait ainsi utilement soutenir que l'obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de retour sur le territoire français prises à son encontre méconnaissent ces dispositions.

7. En tout état de cause, il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, le droit d'être entendu n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile ou de sa demande de titre de séjour.

8. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

9. M. A..., qui ne pouvait raisonnablement ignorer qu'en cas de rejet de sa demande d'asile, il était susceptible de faire l'objet d'obligation de quitter le territoire français, a pu présenter, dans le cadre de l'instruction de sa demande, des observations écrites ou orales, tant devant l'OFPRA puis la CNDA. Il n'établit pas, ni même n'allègue avoir sollicité un entretien avec les services de la préfecture. En outre, il ne précise pas en quoi il disposait d'informations pertinentes tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la mesure d'éloignement qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à la décision l'obligeant à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu ne peut qu'être écarté.

Sur les risques invoqués :

10. En premier lieu, M. A... ne saurait utilement se prévaloir, pour contester l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet, des risques qu'il allègue courir dans son pays d'origine. Les moyens tirés de ce que la mesure d'éloignement méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés comme inopérants.

11. En deuxième lieu, il ressort de la motivation de la décision fixant le pays de destination que le préfet de la Haute-Saône ne s'est pas estimé lié par les décisions par lesquelles l'OFPRA et la CNDA avaient rejeté sa demande d'asile. Par suite, le moyen tiré d'une erreur de droit doit être écarté.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; (...). / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants ".

13. M. A... indique que son mariage avec sa cousine paternelle en 2017, en dépit de l'opposition du père de celle-ci, a conduit à des représailles de la part de la famille de son épouse qui, après avoir incendié sa maison et tué son frère en juin 2017, a porté plainte contre lui, faisant en sorte qu'il soit arrêté et détenu et dont les menaces continuent de faire courir un risque pour sa vie. Toutefois, s'il n'est pas contesté qu'il avait présenté devant l'OFPRA un acte de mariage original et les photocopies de dépôts de plainte à son encontre, il ne produit, pas plus en appel qu'en première instance, d'élément de nature à conforter son récit qui n'est, contrairement à ce qu'il soutient, pas suffisamment circonstancié pour permettre de tenir les faits relatés comme établis. Le requérant, qui indique que son épouse et leur fils ainsi que sa mère résident toujours au Pakistan qu'il a quitté en février 2018, ne produit aucune pièce pour établir qu'il serait toujours recherché par la famille de son épouse. Ainsi, il ne démontre pas, par son seul récit, qu'il serait personnellement exposé à un risque réel, direct et sérieux pour sa vie ou sa liberté en cas de retour dans son pays d'origine. L'OFPRA puis la CNDA ont d'ailleurs rejeté sa demande d'asile en retenant que ses déclarations relatives à sa rencontre avec son épouse, à l'opposition de la famille de celle-ci, à l'attaque subie et à son incarcération pendant plus de six mois n'étaient ni convaincantes, ni crédibles. La circonstance que, n'ayant jamais été scolarisé, il n'aurait pas été en mesure de répondre de manière convaincante aux questions posées lors de son entretien à l'OFPRA est sans incidence sur l'appréciation par la cour des risques actuels qu'il soutient courir en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination méconnaîtrait les dispositions et stipulations précitées.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 octobre 2022. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Bertin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Saône.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bauer, présidente,

- Mme Brodier, première conseillère,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 février 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier La présidente,

Signé : S. Bauer

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 23NC01591


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01591
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BAUER
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;23nc01591 ?
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