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06/02/2024 | FRANCE | N°23NC00189

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 06 février 2024, 23NC00189


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 31 mai 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné.



Par un jugement n° 2205101 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
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Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 19 janvier 2023, M. A..., rep...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 31 mai 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné.

Par un jugement n° 2205101 du 11 octobre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Andreini, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 11 octobre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 31 mai 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le même délai et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur le refus de séjour :

- la préfète du Bas-Rhin en se fondant exclusivement sur l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;

- le tribunal a " dénaturé " les pièces du dossier en ne tenant pas compte des pièces produites sur l'existence d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;

- la préfète du Bas-Rhin a estimé à tort qu'elle était en situation de compétence liée ;

- dès lors qu'il apporte des éléments permettant de contredire l'avis du collège des médecins de l'OFII, il incombait au préfet d'apporter la preuve de la disponibilité du traitement au Tchad ;

- le principe du contradictoire et le droit à un procès équitable sont méconnus en l'absence de communication des éléments sur lesquels s'est fondé le collège des médecins de l'OFII et notamment la fiche MedCoi ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la disponibilité des soins dans le pays d'origine ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

- l'illégalité du refus de séjour prive de base légale l'obligation de quitter le territoire français ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article L. 611-3-9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la fixation du pays de renvoi :

- l'illégalité de la précédente décision prive de base légale la décision fixant le pays de destination.

La préfète du Bas-Rhin n'a pas présenté de mémoire en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant tchadien né le 5 octobre 1944, est entré en dernier lieu en France le 23 mai 2021 sous couvert d'un visa de court séjour à entrées multiples valable du 22 décembre 2017 au 21 décembre 2021. Le 5 octobre 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé. Par un arrêté du 31 mai 2022, la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination. M. A... fait appel du jugement du 11 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Le moyen tiré de la " dénaturation des pièces du dossier " qui se rapporte au bien-fondé du jugement attaqué est, en tout état de cause, sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

3. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. A... avant d'édicter la décision attaquée, ni qu'elle se serait crue tenue d'édicter cette décision. Par suite, les moyens tirés du défaut d'examen particulier et de ce que la préfète se serait estimée à tort en compétence liée sont écartés.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".

5. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. Dans son avis du 4 février 2022, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a précisé que l'état de santé de M. A... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'il pouvait, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de son pays d'origine, y bénéficier effectivement d'un traitement adapté et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, il pouvait voyager sans risque.

7. Le requérant soutient que les pièces produites suffisent à contredire l'avis de l'OFII de sorte qu'il incombe à la préfète du Bas-Rhin d'apporter la preuve de la disponibilité de son traitement médical au Tchad en communiquant les éléments sur lesquels s'est fondé le collège des médecins de l'OFII et notamment la fiche MedCoi.

8. Toutefois, aucune disposition légale ou réglementaire applicable n'impose de communiquer au demandeur d'un titre de séjour la documentation relative aux traitements disponibles dans les pays d'origine, à laquelle se réfèrent les médecins de l'OFII pour rendre leur avis. Au demeurant, les données dont M. A... revendique la communication figurent, ainsi qu'il l'indique lui-même, dans la bibliothèque d'information santé sur les pays d'origine (BISPO), sous la rubrique " ressources documentaires internationales de santé " en accès libre sur le site internet de l'OFII, qui recense les sites internet comportant des informations sur l'accès aux soins dans les pays d'origine et sur les principales pathologies, et doit ainsi être regardée comme ayant fait l'objet d'une diffusion publique. S'agissant de la base de données " Medical Origin of Information (MedCOI) ", son accès est réservé aux employés désignés et dûment formés par les autorités de l'Union européenne, ou aux organismes mandatés par un pays de l'Union européenne pour y effectuer des recherches.

9. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune obligation légale ou réglementaire ni que le collège des médecins de l'OFII doive regrouper dans un document l'ensemble des recherches effectuées sur chacun des cas qui lui est soumis pour avis, ni que l'administration soit tenue d'élaborer un tel document en vue de sa communication. Il n'est pas plus démontré que l'OFII disposerait à ce sujet de documents d'information confidentiels ou secrets à caractère non public, dont l'inaccessibilité au justiciable mettrait celui-ci dans l'incapacité de se défendre ou créerait à son détriment une inégalité contraire au principe d'égalité des armes applicable devant les juridictions ou méconnaitrait le principe du contradictoire.

10. D'autre part, il ressort des certificats médicaux produits que M. A... a pu bénéficier d'une prise en charge médicale antérieure dans son pays d'origine pour ses pathologies, respectivement à partir de 2018 pour une hyper-tension artérielle pour laquelle il bénéficie d'un traitement par Atenolol 50 complété avec de l'Amlor 5mg en mars 2022, et depuis 2022 pour un diabète de type 2 pour lequel lui sera prescrit de la Metformine. S'il est constant que le requérant est entré régulièrement sur le territoire en raison d'une prise en charge défaillante au Tchad en mai 2021 d'une pathologie initialement assimilée à une bronchopneumopathie et finalement diagnostiquée en France comme une pneumopathie à SARS Cov2, il n'est pas contesté que son hospitalisation et le traitement mis en place assorti d'une vaccination contre la Covid le 2 octobre 2021, ont permis son rétablissement intégral. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le diagnostic de cardiopathie hypertrophique posé le 30 mars 2022 nécessiterait un traitement particulier qui ne serait pas accessible au Tchad. Enfin, si le requérant se prévaut du coût prohibitif des traitements médicaux dans son pays d'origine, il ne fournit aucun élément relatif à son absence alléguée de ressources, alors, ainsi qu'il a été indiqué, que son pays d'origine dispose, selon les indications du ministère français des affaires étrangères d'une infrastructure hospitalière correspondant aux normes européennes au sein de laquelle il a déjà été hospitalisé, et qu'il a pu y bénéficier antérieurement des traitements médicamenteux requis par son état de santé.

11. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du contradictoire et du droit à un procès équitable ainsi que celui tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation de la disponibilité des soins dans son pays d'origine sont écartés.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Si M. A... se prévaut de la présence en France de sa fille, de son gendre et de ses trois petits enfants, tous de nationalité française et de celle de son frère, en situation régulière, qui est hémiplégique et nécessite une assistance particulière et qu'il fait également valoir qu'il a effectué une dizaine d'allers/retours depuis 2018 pour leur rendre visite, le requérant, âgé de 77 ans à la date de la décision litigieuse, a toujours vécu dans son pays d'origine, et n'établit pas y être dépourvu de toute attache. Ainsi, compte tenu des conditions et de la durée du séjour en France du requérant, la décision contestée n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées est écarté. Pour ces mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la préfète du Bas-Rhin aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. A... est écarté.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français:

14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la voie de l'exception de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour est écarté.

15. En second lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". Pour les motifs exposés au point 10, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par la préfète du Bas-Rhin dans l'application de ces dispositions est écarté.

S'agissant la décision fixant le pays de renvoi :

16. Pour les motifs exposés ci-dessus, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision obligeant M. A... à quitter le territoire doit être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bauer, présidente,

- Mme Brodier, première conseillère,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 février 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : S. Bauer

La greffière,

Signé : S.RobinetLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 23NC00189


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00189
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BAUER
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : ELEOS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;23nc00189 ?
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