Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... et Mme B... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les arrêtés du 21 novembre 2022 par lesquels la préfète de l'Aube les a obligés à quitter le territoire français et a fixé leur pays de destination.
Par un jugement n° 2202838, 2202839 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
I.) Par une requête enregistrée le 10 février 2023, sous le n° 23NC00442, Mme A..., représentée par Me Lombardi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 janvier 2023 en ce qui la concerne ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 pris à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales quant à l'absence de contact dans son pays d'origine ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé en fait en ce qu'il comprend des formules stéréotypées ;
- il est entaché d'un vice de procédure en ce que son droit à être entendu a été méconnu puisqu'elle n'a pas pu présenter ses observations avant que l'arrêté ne soit adopté ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce qu'elle remplit les conditions pour se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité de " parent d'enfant étranger malade " en application des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle et son mari ont fait des efforts d'intégration en France ;
- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard aux menaces dont a fait l'objet son mari en raison de leur mariage ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où elle n'a pas plus de contact avec sa famille dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2023, la préfète de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens présentés par Mme A... ne sont pas fondés.
II.) Par une requête enregistrée le 10 février 2023, sous le n° 23NC00443, M. A..., représenté par Me Lombardi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 janvier 2023 en ce qui le concerne ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 pris à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soulève les mêmes moyens que ceux invoqués dans la requête n° 23NC00442.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2023, la préfète de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens présentés par M. A... ne sont pas fondés.
M. et Mme A... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., de nationalité albanaise, nés respectivement le 28 mars 1994 à Burrel (Albanie) et le 15 janvier 1998 à Cerrave (Albanie), sont entrés irrégulièrement en France le 26 juillet 2021 accompagnés de leur enfant mineur, né le 11 juin 2019 en Suède. Ils ont formé une demande d'asile qui été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 1er mars 2022. Le 11 février 2022, M. et Mme A... ont sollicité une autorisation provisoire de séjour en raison de l'état de santé de leur enfant qui a été refusée par arrêté du 26 septembre 2022. La légalité de cet arrêté a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 14 avril 2023. Le 21 novembre 2022, la préfète de l'Aube a pris à leur encontre des arrêts portant obligation de quitter le territoire français. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 24 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. M. et Mme A... soutiennent que les premiers juges n'ont pas statué sur le moyen tiré de l'absence de contact des requérants avec leur famille dans leur pays d'origine. Or il ne ressort pas des écritures de première instance que cette argumentation, assortie d'aucune précision quant à la méconnaissance d'un texte juridique et soulevée dans le cadre du moyen tiré du refus d'une demande d'autorisation provisoire de séjour " parent d'enfant étranger malade ", constituait un moyen à part entière. Dans ces conditions, alors que le tribunal administratif a suffisamment répondu au moyen relatif à la demande d'autorisation provisoire de séjour, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier en ce que le tribunal aurait omis de répondre à ce moyen.
Sur la légalité des arrêtés du 21 novembre 2022 :
3. En premier lieu, les arrêtés attaqués qui précisent les conditions d'entrée et de séjour sur le territoire des requérants ainsi que l'existence d'une demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade qui a été rejetée, comportent de manière non stéréotypée l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, la préfète de l'Aube qui n'avait pas à viser toutes les circonstances de fait de la situation de M. et Mme A..., a cité les éléments pertinents dont elle avait connaissance et qui fondent ses décisions. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
4. En deuxième lieu, le droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, le droit d'être entendu n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile ou de sa demande de titre de séjour.
5. En l'espèce, M. et Mme A... qui ne pouvaient raisonnablement ignorer qu'en cas de rejet de leur demande d'asile, ils étaient susceptibles de faire l'objet d'obligations de quitter le territoire français, ont pu présenter, dans le cadre de l'instruction de leur demande, leurs observations écrites ou orales. Ils n'établissent pas, ni même n'allèguent avoir sollicité en vain un entretien avec les services de la préfecture et ont d'ailleurs déposé une demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade. En outre, ils ne précisent pas en quoi ils disposaient d'informations pertinentes tenant à leur situation personnelle qu'ils ont été empêchés de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la mesure d'éloignement qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à la décision l'obligeant à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
6. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9, ou l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. (...) / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. / Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9. ". Aux termes de l'article L. 425-9 du même code : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article R. 425-9 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé ".
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9. L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
8. Dans le cadre de la demande d'autorisation provisoire de séjour en raison de l'état de santé de leur fils déposée par M. et Mme A... le 11 février 2022, le collège des médecins de l'OFII a estimé, dans un avis du 19 juillet 2022, que si l'état de santé de l'enfant nécessite une prise en charge médicale, son défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que son état de santé de santé lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que leur fils présente une surdité bilatérale et un retard psychomoteur. Toutefois, par les deux bilans médicaux et les documents qu'ils versent au dossier attestant notamment d'une prise en charge de l'enfant, à temps très partiel, dans un établissement médico-social, spécialisé en langue des signes, les requérants ne démontrent pas le caractère indispensable d'une prise en charge de sa surdité en France. La circonstance, à la supposée établie, selon laquelle il n'y aurait pas d'institution d'enseignement spécialisé en langue des signes en Albanie n'est pas à elle seule de nature à démontrer que l'enfant ne pourrait pas effectivement être pris en charge et scolarisé en Albanie. Dans ces conditions, M. et Mme A... ne remettent pas en cause l'appréciation portée par le collège des médecins et ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que la préfète de l'Aube aurait, en les obligeant à quitter le territoire français, méconnu les dispositions précitées des articles L. 425-9, L. 425-10 et le 9. de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En quatrième lieu, M. et Mme A... ne justifient pas avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, ils ne sauraient utilement se prévaloir de ces dispositions à l'encontre des arrêtés attaqués.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. M. et Mme A... sont présents depuis juillet 2021 sur le territoire français, soit depuis moins de trois ans à la date des arrêtés en litige. Dépourvus d'attache familiale sur le territoire français, ils ne démontrent pas, en se bornant à invoquer l'opposition de leurs familles à leur mariage, être isolés sur le territoire albanais où ils ont vécu respectivement jusqu'à l'âge de 27 et 23 ans. Les requérants ne justifient ni avoir développé des attaches personnelles sur le territoire français, ni qu'ils se seraient particulièrement intégrés au sein de la société française alors qu'ils sont pris en charge et hébergés dans le cadre du dispositif d'urgence S'ils se prévalent de la scolarité de leur enfant en France dans un établissement spécialisé, il n'est pas démontré, ainsi qu'il a été dit, que leur enfant ne pourrait pas être pris en charge et scolarisé en Albanie. Ainsi, compte tenu de la durée et des conditions de séjour de M. et Mme A... en France, la préfète de l'Aube n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales.
12. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants ".
13. En se bornant à faire état de menaces à la suite de leur mariage qui aurait été célébré en méconnaissance des traditions albanaises et alors qu'au demeurant leur demande d'asile a été rejetée, M. et Mme A... n'établissent pas être exposés personnellement et gravement à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans leur pays d'origine. Par suite, ce moyen doit être écarté comme manquant en fait.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande. Par suite, leurs conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Mme B... épouse A..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Lombardi.
Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
La rapporteure,
Signé : C. MosserLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 23NC00442, 23NC00443