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07/11/2023 | FRANCE | N°21NC02241

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 07 novembre 2023, 21NC02241


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Laquenexy et la caisse intercommunale d'assurances des départements de l'Est (CIADE) à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices occasionnés par une chute dans la chaufferie de la mairie et à lui verser une provision de 5 000 euros.

Par un jugement n° 1903383 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a ordonné une expertise, afin d'évaluer les préjudices de M. A....

Par un jugement

n° 1903383 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné la com...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Laquenexy et la caisse intercommunale d'assurances des départements de l'Est (CIADE) à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices occasionnés par une chute dans la chaufferie de la mairie et à lui verser une provision de 5 000 euros.

Par un jugement n° 1903383 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a ordonné une expertise, afin d'évaluer les préjudices de M. A....

Par un jugement n° 1903383 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné la commune de Laquenexy à verser à M. A... la somme de 127 885,90 euros, à verser à la mutualité sociale agricole (MSA) de Lorraine les sommes de 45 652,26 euros au titre des débours et de 1 098 euros au titre des frais de gestion et à supporter les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 080 euros. Il a également mis à la charge de la commune la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 août 2021, la commune de Laquenexy et la CIADE, représentées par Me Fady (SCP Racine Strasbourg), demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 juin 2021 en ce qu'il porte condamnation à verser à M. A... des indemnités au titre du déficit permanent, de l'assistance par tierce personne, des frais futurs, et en tant qu'il prévoit l'indemnisation de la MSA de Lorraine au titre des frais de transport et des frais médicaux ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... et la MSA de Lorraine, s'agissant de ces chefs de préjudice ;

3°) de mettre à la charge de M. A... et de la MSA de Lorraine le versement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au profit de la commune.

Elles soutiennent que :

- les premiers juges ont statué ultra petit en accordant à M. A... une indemnité de 25 300 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, évalué à 20 % conformément au rapport d'expertise, dès lors que, compte tenu du partage de responsabilité opéré par les premiers juges, cette indemnisation correspond à un montant de 1 897,50 euros par point, très largement supérieur au montant demandé par l'intéressé ;

- le tribunal aurait dû rejeter les conclusions tendant à l'indemnisation de l'assistance par tierce personne car elles n'étaient pas chiffrées, s'agissant de l'intervention de l'aide familiale, ni fondées, en l'absence de factures correspondant aux interventions d'aides à domicile et d'aides-soignantes entre la sortie du centre de rééducation et la date du jugement ;

- le tribunal a décidé de ne pas retenir les préconisations de l'expert judiciaire quant au nombre d'heures à retenir pour les frais futurs, sans motiver le jugement sur ce point ; les premiers juges n'ont pas motivé et expliqué leur calcul permettant d'aboutir à la somme de 52 293 euros en prenant en compte le partage de responsabilité ;

- c'est à tort que la MSA a été indemnisée de ses débours, alors qu'elle n'avait pas communiqué les justificatifs des frais de transport et des frais médicaux.

Par un mémoire enregistré le 6 octobre 2021, M. B... A..., représenté par la SCP Schmitzberger-Hoffer et Colette, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 1 500 euros soit mis à la charge de la commune de Laquenexy et de la CIADE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges peuvent faire une évaluation supérieure à celle du demandeur s'agissant de certains chefs de préjudice, pourvu que l'indemnité totale ne dépasse pas les conclusions dont ils sont saisis ;

- c'est à bon droit que le tribunal a indemnisé son besoin d'assistance par une tierce personne, qu'il avait chiffré, au regard des principes de réparation intégrale des préjudices, de l'évaluation de l'indemnisation en fonction des besoins de la victime, et non des dépenses, et de l'interdiction de réduire l'indemnisation en cas d'assistance familiale ; il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir isolé l'aide apportée par ses proches au sens de ses prétentions indemnitaires ;

- l'indemnisation des frais futurs s'est effectuée sur une base de 365 jours ; les premiers juges n'étaient pas tenus par l'estimation proposée par l'expert, ils ont retenu le même besoin horaire pour toute la période, en l'absence d'évolution de son état de santé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Payet-Blondet, du cabinet Racine, pour la commune de Laquenexy et la CIADE.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., alors âgé de 83 ans, a chuté dans les escaliers menant à la chaufferie de l'hôtel de ville de la commune de Laquenexy le 14 mars 2018. Par un jugement avant dire droit du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a reconnu que cet accident engageait la responsabilité de la commune, à la hauteur des deux-tiers, compte tenu du comportement de la victime, et ordonné avant dire droit une expertise, portant sur l'évaluation des préjudices de la victime. Par un jugement du 8 juin 2021, le tribunal a condamné la commune de Laquenexy à verser à M. A... la somme de 127 885,90 euros, et à verser à la mutualité sociale agricole (MSA) de Lorraine les sommes de 45 652,26 euros au titre des débours et de 1 098 euros au titre des frais de gestion. La commune et la CIADE, son assureur, font appel de ce dernier jugement en tant qu'il condamne la commune à indemniser certains chefs de préjudice.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, les premiers juges n'ont pas accordé à M. A... une indemnité globalement supérieure à celle qu'il avait sollicitée dans ses écritures. La commune et son assureur ne sont donc pas fondés à soutenir que le tribunal aurait statué ultra petita, quand bien même les premiers juges ont indemnisé le préjudice lié au déficit fonctionnel permanent sur une base retenant une réparation par point de déficit supérieure à celle qu'avait invoquée le demandeur.

3. En second lieu, les premiers juges n'étant pas liés par les conclusions du rapport d'expertise, l'obligation de motiver leur jugement ne leur imposait pas d'expliquer spécifiquement pour quels motifs ils avaient décidé de s'en écarter. En outre, pour déterminer la somme que la commune a été condamnée à verser à M. A... au titre de l'indemnisation de son besoin d'assistance par une tierce personne, s'agissant de la période postérieure au jugement, le tribunal a mentionné le nombre d'heures qu'il entendait indemniser ainsi que les montants horaires, soit dix heures hebdomadaires à 18 euros, cinq heures mensuelles à 18 euros, et une heure par jour à 13 euros, avant de préciser le coefficient de capitalisation qu'il utilisait et son origine. Par suite, ce calcul est, d'un point de vue formel, suffisamment motivé. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement doit donc être écarté, dans ses deux branches.

Sur l'indemnisation des préjudices de M. A... :

4. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

5. En premier lieu, la commune et son assureur reprochent aux premiers juges d'avoir accordé à M. A..., au titre de la période antérieure au jugement, une indemnité pour son besoin d'assistance par une tierce personne, alors qu'il n'avait pas chiffré précisément le poste correspondant à l'intervention d'une aide familiale et qu'il n'avait pas produit de factures d'aides spécialisées pour les aides à domicile et aides-soignantes intervenues après sa sortie du centre de rééducation. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le montant de l'indemnité doit être déterminé en fonction des besoins de la victime et qu'il n'est pas lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier, de sorte que le défaut de production de factures ne faisait pas obstacle à l'indemnisation d'un besoin en aide spécialisée. En outre, il résulte de l'instruction que le requérant avait chiffré globalement l'indemnité qu'il sollicitait au titre de ce chef de préjudice, en mentionnant le volume horaire correspondant à chaque période et le montant horaire sollicité, qui était de 20 euros. Aucune circonstance ne faisait obstacle à ce que le tribunal distingue, pour déterminer l'indemnité due, les différents types de besoin de l'intéressé, selon qu'ils nécessitent une aide spécialisée ou non, puis qu'il détermine le coût horaire spécifique à chacun de ces besoins. Le tribunal a donc pu, à bon droit, accorder une indemnité correspondant à un besoin en aide non spécialisée, en plus d'une indemnité recouvrant le besoin d'aide spécialisée. Les moyens invoqués ne sont donc pas de nature à mettre en cause la pertinence de l'évaluation par les premiers juges de ce chef de préjudice, pour la période précédant le jugement.

6. En second lieu, s'agissant de la période postérieure au jugement, la commune et son assureur font grief au tribunal d'avoir indemnisé le besoin en assistance par une tierce personne de M. A... en retenant des besoins de dix heures par semaine et cinq heures par mois, pour un montant horaire de 18 euros dans les deux cas, ainsi qu'un besoin supplémentaire d'une heure, pour 13 euros, alors que l'expert désigné à l'issue du jugement avant dire droit avait retenu un besoin de quatre heures par semaines seulement, pour la période postérieure à la consolidation, intervenue le 20 août 2020.

7. Il résulte de l'instruction qu'alors que M. A..., né le 4 novembre 1934, demeurait autonome pour les gestes de la vie courante avant l'accident litigieux, et intervenait même comme aidant au profit de son épouse, les séquelles de sa chute, qui ont engendré un déficit fonctionnel permanent de 20 %, impactent sa capacité à utiliser son bras et sa jambe gauches, l'intéressé se déplaçant en fauteuil roulant ou, à l'intérieur, à l'aide d'un déambulateur. Alors même que des travaux réalisés à son domicile, indemnisés par le jugement attaqué, lui permettent de retrouver un degré d'autonomie supérieur, il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expert, ainsi que des commentaires de l'ergothérapeute, qu'il nécessite toujours une assistance pour des gestes de la vie quotidienne, et notamment pour la toilette et l'habillement. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de son besoin d'assistance en l'évaluant à deux heures par jour pour la période postérieure au jugement attaqué, cette assistance non spécialisée devant être indemnisée au coût horaire de 15 euros, et sur la base d'une année de 412 jours afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés. Le besoin total de l'intéressé est ainsi de 12 360 euros par an, de sorte que la commune a vocation à être condamnée à payer les deux-tiers de cette somme, compte tenu du partage de responsabilité, soit 8 240 euros par an. Pour la période de 29 mois séparant la date du jugement de celle du présent arrêt, la commune aurait ainsi vocation à payer 19 913,33 euros, puis, pour l'avenir, et par application du coefficient de capitalisation de la Gazette du Palais pour 2022, applicable à un homme âgé de 89 ans, soit 4,234, une somme de 34 888,16 euros, de sorte que la somme que la commune aurait vocation à lui verser s'établit à 54 801,49 euros. Cette somme s'avère toutefois supérieure à celle que la commune a été condamnée à verser par les premiers juges au titre de ce chef de préjudice, pour la période postérieure au jugement, qui s'élève à 52 293 euros. La commune de Laquenexy et la CIADE ne sont donc pas fondées à demander que le montant de cette condamnation soit revu à la baisse.

8. Il résulte de ce qui précède que la commune de Laquenexy et la CIADE ne sont pas fondées à contester le jugement attaqué, s'agissant des indemnités dues à M. A..., sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions d'appel de la CIADE.

Sur l'indemnisation des débours de la MSA de Lorraine :

9. L'appel doit être regardé comme portant sur la seule condamnation de la commune à rembourser à l'organisme social ses débours s'agissant des frais médicaux et des frais de transport. En dépit de la contestation formulée sur ce point par la commune de Laquenexy, et de la demande de pièce qui lui a été adressée par la cour, la MSA de Lorraine n'a pas produit d'éléments précisément chiffrés et détaillés permettant de justifier des sommes qu'elle demandait sous l'appellation de frais de transport et de frais médicaux, qui ont été indemnisés au point 29 du jugement. La commune de Laquenexy est donc fondée à demander l'annulation du jugement en tant qu'il met à sa charge les sommes de 12 157,40 euros et 9 359,77 euros à ce titre, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête d'appel en tant qu'elle émane de la CIADE, dès lors qu'elle est recevable en tant qu'elle émane de la commune. Il suit de là que la somme que la commune de Laquenexy est condamnée à verser à la MSA de Lorraine doit être ramenée de 45 652,26 euros à 24 135,09 euros.

Sur les frais de l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée au profit de la commune de Laquenexy soit mise à la charge de M. A... qui n'a pas la qualité de partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Laquenexy une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le même fondement.

11. La MSA de Lorraine ayant, en revanche, la qualité de partie perdante à l'encontre de la commune de Laquenexy, il y a lieu de mettre à la charge de l'organisme social la somme de 1 000 euros à verser à la commune, sur le même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La somme que la commune de Laquenexy est condamnée à verser à la mutualité sociale agricole de Lorraine au titre des débours est ramenée de 45 652,26 euros à 24 135,09 euros.

Article 2 : L'article 7 du jugement n° 1903383 du tribunal administratif de Strasbourg du 8 juin 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Laquenexy versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La mutualité sociale agricole de Lorraine versera à la commune de Laquenexy la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Laquenexy, à la caisse intercommunale d'assurances des départements de l'Est, à M. B... A... et à la mutualité sociale agricole de Lorraine.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Samson-Dye

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : S. Roussaux

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 21NC02241


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02241
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CABINET RACINE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-11-07;21nc02241 ?
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