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19/10/2023 | FRANCE | N°21NC01391

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 19 octobre 2023, 21NC01391


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices liés à l'exploitation de la carrière à ciel ouvert de roches massives sur le territoire de la commune d'Epeugney.

Par un jugement n° 1900463 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 mai 2021, M. et Mme B..., représentés par Me Devevey, demandent à la cour :

1

°) d'annuler le jugement n° 1900463 du 16 mars 2021 ;

2°) de déclarer l'Etat responsable du fait de m...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices liés à l'exploitation de la carrière à ciel ouvert de roches massives sur le territoire de la commune d'Epeugney.

Par un jugement n° 1900463 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 mai 2021, M. et Mme B..., représentés par Me Devevey, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900463 du 16 mars 2021 ;

2°) de déclarer l'Etat responsable du fait de multiples carences dans l'exercice de ses pouvoirs de police des installations classées ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 100 000 euros, augmentée des intérêts moratoires à compter du 27 novembre 2018 en réparation de l'ensemble des préjudices subis ;

4°) d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors que le tribunal administratif n'a pas examiné les carences de l'Etat dans l'exercice de son pouvoir de police en matière de surveillance et de contrôle du site après l'arrêt de l'exploitation de la carrière ;

- l'Etat est responsable des préjudices qu'ils ont subis dès lors que le préfet du Doubs s'est abstenu après l'expiration de l'autorisation d'exploitation du 14 mai 1984, survenue le 30 mai 2014, de mettre en demeure la société Carrières de l'Est de cesser la poursuite de l'exploitation de la carrière sans autorisation ; ils ont subi des troubles et des nuisances ;

- l'Etat est responsable des préjudices qu'ils ont subis dès lors que le préfet du Doubs n'a pas utilisé ses pouvoirs de police des installations classées pour contrôler l'exploitation actuelle de la carrière ; ils subissent des troubles et des nuisances ;

- ils sont fondés à obtenir l'indemnisation de leurs préjudices à hauteur de 20 000 euros au titre de la réparation des préjudices matériels, de 30 000 euros au titre des troubles de jouissance et de 50 000 euros au titre du préjudice moral et psychologique.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 mai 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les carences fautives de l'Etat ne sont pas établies ;

- les préjudices invoqués ne sont pas établis ;

- aucun lien de causalité n'est établi avec les préjudices allégués.

Par ordonnance du 14 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 9 mai 2023.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 80-331 du 7 mai 1980 portant règlement général des industries extractives ;

- l'arrêté du 22 septembre 1994 relatif aux exploitations de la carrière ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guidi, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Devevey, pour M. et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... sont propriétaires depuis 1995 d'une maison au lieudit " La ferme des Prés ", située 108 route de Besançon à Epeugney. Ils sont les voisins immédiats d'une carrière de calcaire à ciel ouvert dont l'exploitation par la Société nouvelle de carrières a été autorisée par un arrêté du préfet du Doubs du 14 mai 1984, pour une durée de trente ans. Au terme de cette autorisation, la Société des carrières de l'Est a été autorisée à exploiter le site par un arrêté du préfet du Doubs du 18 aout 2017. Estimant que les services de l'Etat ont insuffisamment contrôlé le respect par la Société nouvelles des carrières des prescriptions contenues dans l'arrêté du 14 mai 1984 tant pendant la durée de l'autorisation qu'après son terme, M. et Mme B... ont présenté une demande indemnitaire tendant à la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison de la faute commise par les services de l'Etat dans l'exercice de sa mission de police des carrières et des installations classées pour la protection de l'environnement. Par un jugement du 16 mars 2021, dont M. et Mme B... interjettent appel, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande indemnitaire.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement applicable dans sa version en vigueur : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. Les dispositions du présent titre sont également applicables aux exploitations de carrières au sens des articles L. 100-2 et L. 311-1 du code minier ". Également aux termes aux termes de l'article L. 511-2 du code de l'environnement dans sa version applicable : " Les installations visées à l'article L. 511-1 sont définies dans la nomenclature des installations classées établie par décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du ministre chargé des installations classées, après avis du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques. Ce décret soumet les installations à autorisation, à enregistrement ou à déclaration suivant la gravité des dangers ou des inconvénients que peut présenter leur exploitation ". Par ailleurs aux termes de l'article L. 512-8 du même code dans sa version applicable : " Sont soumises à déclaration les installations qui, ne présentant pas de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1, doivent néanmoins respecter les prescriptions générales édictées par le préfet en vue d'assurer dans le département la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1. ". Enfin aux termes de l'article 171-7 du même code : " Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application des dispositions du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine. Elle peut édicter des mesures conservatoires et suspendre le fonctionnement des installations et ouvrages ou la poursuite des travaux, opérations ou activités jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification. Si, à l'expiration du délai imparti, il n'a pas été déféré à la mise en demeure, ou si la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification est rejetée, ou s'il est fait opposition à la déclaration, l'autorité administrative compétente peut : 1° Faire application des dispositions du II de l'article L. 171-8 ; 2° Ordonner la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation définitive des travaux, opérations ou activités ainsi que la remise en état des lieux ".

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les opérations de remise en état de la carrière impliquent la présence et fonctionnement d'installations de concassage-criblage fonctionnant sur une période unique inférieure ou égale à six mois ainsi que la présence d'une station de transit de produits minéraux dont la superficie de l'aire de transit est supérieure à 5 000 mètres carrés mais inférieure ou égale à 10 000 mètres carrés. Il est constant que ces deux activités relèvent des rubriques 2515.2 et 2517.3 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement.

4. En second lieu, à l'appui de leur demande indemnitaire M. et Mme B... ont notamment fait valoir que la Société nouvelle des carrières avait poursuivi l'exploitation de la carrière après le 14 mai 2014, date du terme de l'autorisation préfectorale délivrée le 14 mai 1984, que les services de l'Etat n'avaient pas procédé aux contrôles requis ni procédé à une mise en demeure de cesser toute exploitation. En omettant de se prononcer sur ce fait générateur de responsabilité, le tribunal a entaché son jugement d'une irrégularité.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes indemnitaires de M. et Mme B... présentée devant le tribunal administratif de Besançon.

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

6. M. et Mme B... demandent la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices résultant de l'exploitation de la carrière d'Epeugney résultant des fautes qu'aurait commises le préfet du Doubs, consistant en un défaut de surveillance et de contrôle de l'arrêt de l'exploitation de la carrière en 2014, une reprise de l'exploitation sans autorisation à compter de juin 2015, ainsi qu'une absence de contrôle du respect des normes environnementales à la suite de la délivrance de l'autorisation du 18 août 2017.

S'agissant de la carence fautive dans l'exercice des pouvoirs de police après l'arrêt de l'exploitation :

7. D'une part, il résulte de l'instruction que le 6 août 2014 la Société nouvelle des carrières a présenté une demande de nouvellement de l'autorisation d'exploiter une carrière délivrée le 14 mai 1984 dont le terme avait été fixé au 30 mai 2014. Par la suite, la Société des carrières de l'Est a informé l'autorité préfectorale, par un courrier du 21 juillet 2015, qu'elle projetait de reprendre l'exploitation de ce site en y joignant le contrat de location gérance signé le 3 juillet 2015, par lequel elle s'est engagée à remettre le site en état conformément aux prescriptions de l'arrêté du 14 mai 1984, ainsi que des documents décrivant son projet de réaménagement. La société des Carrières de l'Est a ensuite adressé une déclaration d'installation classée au préfet du Doubs le 13 octobre 2015. Eu égard au délai dans lequel ces démarches ont été entreprises par la société des Carrières de l'Est et en l'absence d'urgence à prévenir une pollution imminente, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que les services de l'Etat auraient fait preuve d'une carence fautive dans l'exercice du pouvoir de police des installations classées pour la protection de l'environnement en ne mettant pas la Société nouvelle des carrières en demeure de procéder à la mise en œuvre des mesures de remise en état du site prescrites par l'arrêté du 14 mai 1984 au terme de l'autorisation initiale d'exploitation.

8. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que la Société nouvelle des carrières aurait poursuivi l'exploitation de la carrière au-delà du terme de l'autorisation qui lui avait été accordée par l'arrêté du préfet du Doubs du 14 mai 1984, les engins de chantiers et les gravats dont la présence a été constatée par les requérants sur le site résultant seulement des extractions et travaux nécessaires à la mise en sécurité du site. Dans ces conditions, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que les services de l'Etat auraient fait preuve d'une carence fautive dans l'exercice du pouvoir de police des installations classées pour la protection de l'environnement en ne verbalisant pas la poursuite d'une activité d'extraction après le terme de l'autorisation d'exploitation du site par l'arrêté du préfet du Doubs du 14 mai 1984.

S'agissant de la carence fautive dans l'exercice des pouvoirs de police relatifs à l'exploitation actuelle :

9. Aux termes de l'article 14, chapitre V " Mise en œuvre des explosifs " du décret n°80-331 du 7 mai 1980 modifié portant règlement général des industries extractives : " Les cas et les conditions dans lesquels le plan de tir peut être modifié sont définis par l'exploitant ".

10. Il résulte de l'instruction que le préfet du Doubs a assorti de prescriptions suffisantes l'exploitation de la carrière d'Epeugney pour prévenir les risques de nuisances qu'elle était susceptible de créer. Il a par ailleurs diligenté des contrôles sur place une fois la carrière en cours d'exploitation. Les contrôles effectués sur les niveaux sonores le 9 novembre 2015 et le 19 avril 2018 ont constaté que les bruits émis par l'exploitation de la carrière en fonctionnement normal étaient conformes à la réglementation en vigueur et aux prescriptions de l'arrêté du 14 mai 1984. Par ailleurs, une étude de mesures des retombées de poussières a été diligentée par la société des Carrières de l'Est en décembre 2018, qui a conclu à l'existence de faibles retombées de poussières, inférieures aux prescriptions de l'arrêté du 18 aout 2017. Il résulte également de l'instruction que l'inspection des installations classées a procédé à deux visites sur site afin de s'assurer du respect des prescriptions de l'arrêté du 18 août 2017. Si les contrôles ont révélé quelques manquements sans gravité, tenant notamment à l'absence de raccordement de la carrière au réseau d'eau collectif, l'exploitant a rapidement procédé aux corrections requises. Il est également ressorti des contrôles et des mesures vibratoires que la totalité des tirs de mine était conforme aux prescriptions préfectorales concernant leur impact sur la propriété des requérants. Seuls trois tirs ont mis en évidence une non-conformité des vibrations perçues sur la propriété des voisins des requérants, immédiatement corrigée par l'exploitant. Au surplus, il est constant que les seuils fixés par l'arrêté du 18 août 2017, qui prévoit que les tirs de mines d'ouverture côté Ouest ne doivent pas engendrer de vitesses particulaires supérieures à 5 mm/s et que les tirs d'extraction ne doivent pas générer de vitesses particulaires supérieures à 2,5 mm/s, sont inférieurs au seuil de 10 mm/s prévu par l'arrêté du 22 septembre 1994 relatif aux exploitations de carrières. Enfin, si les requérants allèguent qu'il appartenait au préfet de contrôler le plan de tirs de mines au motif qu'il diverge du plan de tirs figurant au sein de l'étude d'impact, il résulte des dispositions précitées de l'article 14, chapitre V " Mise en œuvre des explosifs " du décret n° 80-331 du 7 mai 1980 modifié portant règlement général des industries extractives qu'il appartient seulement à l'exploitant de réaliser et modifier le plan de tirs prévus. Le contrôle du positionnement et de la position de ces tirs ne relève pas du contrôle de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement, à moins qu'ils ne portent une atteinte manifeste aux intérêts mentionnés aux articles L. 511-1 et L. 211-1 du code de l'environnement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par suite, aucune faute dans le suivi et le contrôle de l'exploitation de la carrière par la société des Carrières de l'Est ne peut être retenue à l'encontre de l'Etat.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à demander la condamnation de l'Etat pour carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. et Mme B..., au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1900463 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Besançon est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- Mme Barrois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2023.

La rapporteure,

Signé : L. GuidiLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 21NC01391


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01391
Date de la décision : 19/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Laurie GUIDI
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : SELARL JEAN PHILIPPE DEVEVEY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-10-19;21nc01391 ?
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