Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler d'une part, l'arrêté du 19 juillet 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une période d'un an et d'autre part, l'arrêté du 19 juillet 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a assigné à résidence.
Par un jugement n°2204727 du 29 juillet 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ce recours.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 octobre 2022, M. A... B..., représenté par Me Snoeckx, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 29 juillet 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 19 juillet 2022 par laquelle la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'annuler la décision du 19 juillet 2022 par laquelle la préfète du Bas-Rhin l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- la préfète du Bas-Rhin n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation dès lors qu'elle n'a pas tenu compte de la circonstance qu'il vit depuis plus de deux ans en concubinage avec une ressortissante française ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la préfète du Bas-Rhin a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
- la préfète a méconnu les dispositions du a) et du f) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car M. B... est titulaire d'un passeport ;
- la décision porte atteinte à ses droits élémentaires ;
- son exécution est impossible ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité affectant l'obligation de quitter le territoire français et le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire ;
S'agissant de l'interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité affectant l'obligation de quitter le territoire français ;
- la préfète a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par une ordonnance du 13 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 janvier 2023.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 15 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Sibileau, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant géorgien né le 20 juin 1981, est entré en France selon ses dires le 27 mai 2019. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté le 26 décembre 2019 sa demande d'admission au statut de réfugié. Le 7 décembre 2021 la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a confirmé la décision de l'OFPRA. Le 18 juillet 2022 il a été interpellé par les services de la direction départementale de la sécurité publique du Bas-Rhin et placé en retenue administrative pour vérification de son droit au séjour. Par un premier arrêté du 19 juillet 2022, la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une période d'un an. Par un second arrêté du 19 juillet 2022, la préfète a également assigné l'intéressé à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. B... relève appel du jugement du 29 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des deux décisions du 19 juillet 2022.
Sur la légalité de l'arrêté du 19 juillet 2022 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, l'arrêté litigieux, qui n'avait pas à reprendre tous les éléments de la situation personnelle du requérant, précise les dispositions légales sur lesquelles il s'appuie et rappelle de manière non stéréotypée les principales considérations relatives à la situation de M. B..., notamment ses conditions d'entrée et de séjour en France et ses propres déclarations relatives à sa situation familiale. Par suite le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision doit être écarté. En outre, il ressort des termes mêmes de l'arrêté litigieux que la préfète a procédé à un examen sérieux de la situation individuelle de l'intéressé en prenant notamment en compte sa situation administrative et familiale, mais également la formation suivie.
3. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. M. B... soutient vivre depuis plus de deux ans en concubinage avec une ressortissante française avec laquelle il s'est déjà marié religieusement. Il verse à l'appui de ses affirmations une attestation de concubinage fondée sur ses seules déclarations et de celle qu'il présente comme étant sa compagne, un dossier de mariage non daté et ne comportant aucun élément relatif à l'intéressé. Il verse également des témoignages de celle qu'il présente comme sa compagne et des frère et sœur de cette dernière. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la relation dont M. B... se prévaut est de seulement deux ans selon les déclarations de l'intéressé qui ne pouvait ignorer la précarité de sa situation administrative. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B..., qui s'est d'ailleurs présenté comme étant célibataire et résidant en structure de premier accueil des demandeurs d'asile lors de son audition par la police, ait entrepris de quelconques démarches en vue de son mariage ou qu'il ait un enfant en France. Par suite, compte tenu des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de séjour de l'intéressé en France, l'arrêté litigieux du 19 juillet 2022 n'a pas porté au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Ainsi, la préfète du Bas-Rhin n'a ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé.
En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / [...] / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / [...] / 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; / [...] 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5 ".
6. Pour refuser à M. B... un délai de départ volontaire, la préfète s'est fondée sur la circonstance que l'intéressé n'a pas pu présenter aux services de police un justificatif de domicile et qu'il se maintenait irrégulièrement sur le territoire. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal de l'audition tenue le 18 juillet 2022, signé par M. B..., que ce dernier s'est présenté comme étant sans domicile fixe et sans emploi. S'il affirme être titulaire d'un passeport, il n'en produit aucune copie. Ainsi la préfète n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées, que M. B... doit être vu comme invoquant, en prenant la décision attaquée.
7. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la décision attaquée porterait atteinte aux droits fondamentaux de M. B... doit être écarté pour les motifs exposés au point 4 ci-dessus.
8. En troisième lieu, M. B... ne conteste pas utilement la décision en faisant valoir la circonstance, postérieure à son édiction, tirée de ce que son exécution serait impossible.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination et tiré de l'exception d'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et tiré de l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
11. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
12. Une décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
13. Il ressort des termes des décisions contestées que la préfète du Bas-Rhin a édicté une mesure d'interdiction de retour à l'encontre de M. B... sur le fondement des dispositions précitées, en procédant à un examen particulier de sa situation telle qu'elle ressort notamment de ses déclarations à la police lors de son audition et en prenant en compte les critères mentionnés à l'article L. 612-10 précité, notamment au regard de son entrée irrégulière en France, de ce qu'il ne démontre pas l'intensité de ses liens avec la France et de ce qu'il n'est ni allégué ni justifié de circonstances humanitaires justifiant que ne soient pas prononcées à son encontre des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français. Dans ces conditions, la préfète, qui a pris en compte les critères prévus par les dispositions précitées, n'a pas entaché ses décisions d'erreur de droit.
14. Eu égard à ce qui a été exposé notamment aux points 1 et 4 ci-dessus, et alors que M. B... s'était irrégulièrement maintenu sur le territoire après l'examen de sa situation par les autorités chargées de l'asile les 26 décembre 2019 et 7 décembre 2021, la préfète pouvait légalement, en application des dispositions précitées, prendre à l'encontre de l'intéressé une interdiction de retour sur le territoire français. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, la préfète, en adoptant la décision attaquée, n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles liées aux frais du litige.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Snoeckx et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Agnel, président de chambre,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023.
Le rapporteur,
Signé : J.-B. SibileauLe président,
Signé : M. Agnel
Le greffier,
Signé : J.-Y. Gaillard
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
J.-Y. Gaillard
2
N° 22NC02568