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26/09/2023 | FRANCE | N°23NC00367

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 26 septembre 2023, 23NC00367


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme D... B... et sa fille, Mme A... B..., ont demandé, chacune, au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, l'annulation de l'arrêté du 4 novembre 2022 par lequel le préfet des Ardennes lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour en France pendant un an, d'autre part, la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement prise

à son encontre.

Par un jugement n° 2202799-2202800 du 23 janvier 2023, le...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme D... B... et sa fille, Mme A... B..., ont demandé, chacune, au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, l'annulation de l'arrêté du 4 novembre 2022 par lequel le préfet des Ardennes lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour en France pendant un an, d'autre part, la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre.

Par un jugement n° 2202799-2202800 du 23 janvier 2023, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ces demandes.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 2 février 2023, sous le n° 23NC00367, Mme A... B..., représentée par Me Segaud-Martin, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2202799-2202800 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 janvier 2023 en tant qu'il rejette sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Ardennes du 4 novembre 2022 la concernant ;

3°) de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que, bénéficiant d'une attestation de demande d'asile valable jusqu'au 18 janvier 2023, elle avait le droit de se maintenir en France jusqu'à cette date ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été régulièrement communiquée au préfet des Ardennes, qui n'a pas défendu dans la présente instance.

Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 2 février 2023, sous le n° 23NC00368, Mme C..., représentée par Me Segaud-Martin, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2202799-2202800 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 janvier 2023 en tant qu'il rejette sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Ardennes du 4 novembre 2022 la concernant ;

3°) de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que, bénéficiant d'une attestation de demande d'asile valable jusqu'au 18 janvier 2023, elle avait le droit de se maintenir en France jusqu'à cette date ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été régulièrement communiquée au préfet des Ardennes, qui n'a pas défendu dans la présente instance.

Mme D... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 23NC00367 et n° 23NC00368, présentées respectivement pour Mme A... B... et pour Mme D... B..., concernent la situation de membres d'une même famille d'étrangers au regard de leur droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme D... B... et sa fille, Mme A... B..., sont des ressortissantes russes, nées respectivement les 20 avril 1960 et 20 décembre 1999. Elles ont déclaré être entrées en France le 29 octobre 2019. Les 24 et 25 novembre 2020, les requérantes ont présenté chacune une demande d'asile, qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 18 novembre 2021, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 3 novembre 2022. Par deux arrêtés du 4 novembre 2022, pris en application du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet des Ardennes leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de leur éventuelle reconduite d'office à la frontière et leur a interdit le retour en France pendant un an. Mme D... B... et Mme A... B... ont saisi chacune le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 4 novembre 2022 la concernant, d'autre part, à la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre. Elles relèvent appel du jugement n° 2202799-2202800 du 23 janvier 2023, qui rejette leurs demandes respectives.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...) ". Aux termes de l'article L. 613-1 du même code : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que les arrêtés en litige énoncent, dans leurs visas et motifs, pour chacune des décisions qu'ils comportent, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ils sont ainsi suffisamment motivés au regard des exigences de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes, d'une part, de l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français. ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci. ".

6. Aux termes, d'autre part, du premier alinéa de l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article L. 541-2 du même code : " L'attestation délivrée en application de l'article L. 521-7, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile statuent. ". Aux termes de l'article L. 542-3 du même code : " Lorsque le droit au maintien sur le territoire français a pris fin dans les conditions prévues aux articles L. 542-1 ou L. 542-2, l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé. / Les conditions de refus, de renouvellement et de retrait de l'attestation de demande d'asile sont fixées par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article L. 542-4 du même code : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 542-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article R. 541-1 du même code : " L'attestation de demande d'asile est renouvelée jusqu'à ce que le droit au maintien prenne fin en application des articles L. 542-1 ou L. 542-2. ".

7. Il ressort des pièces du dossier que les demandes d'asile, présentées respectivement par les requérantes les 24 et 25 novembre 2020, ont été définitivement rejetées par deux décisions de la Cour nationale du droit d'asile lues en audience publique le 3 novembre 2022. Dans ces conditions, le droit des intéressées de se maintenir sur le territoire français ayant pris fin à cette date, conformément au second alinéa de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet des Ardennes a pu légalement, par les arrêtés en litige du 4 novembre 2022, procéder à l'abrogation de leurs attestations de demande d'asile et prendre à leur encontre, en application du 4° de l'article L. 611-1 du même code, une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

8. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

9. Il est constant que les requérantes, qui se déclarent célibataires et sans enfant à charge, sont arrivées en France le 29 octobre 2019, à l'âge respectivement de cinquante-neuf et de dix-neuf ans. Résidant gratuitement dans des établissements d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile, elles ne versent au débat contradictoire aucun élément permettant d'apprécier leurs efforts d'intégration dans la société française. En dehors d'une cousine de Mme D... B..., titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 28 avril 2023, elles ne justifient d'aucune attache familiale ou personnelle en France. Elles ne sont pas isolées dans leur pays d'origine, où vivent notamment leur époux et père, leur fils et frère, ainsi qu'une sœur et tante. Si Mme D... B... fait valoir qu'elle souffre d'une pathologie oncologique et d'un syndrome anxio-dépressif sévère, qui affectent ses facultés mentales et physiques et son autonomie, il ne ressort pas des pièces du dossier, spécialement des certificats médicaux produits, que l'intéressée, qui peut se faire accompagner par sa fille, ne pourrait pas voyager sans risque à destination de la Russie, ni y bénéficier effectivement d'une prise en charge médicale. Par suite et alors que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu qu'il estime le plus approprié pour y développer une vie privée et familiale, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations en cause.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des arrêtés du préfet des Ardennes du 4 novembre 2022, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président de tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes respectives.

Sur les conclusions à fin de suspension :

11. Aux termes de l'article L. 542-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des b, c ou d du 1° de l'article L. 542-2, l'étranger peut demander la suspension de l'exécution de la décision d'éloignement. / Cette demande est présentée dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 752-5 à L. 752-12 lorsque le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2. / (...) ". Aux termes de l'article L. 752-5 du même code : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. ". Aux termes de l'article L. 752-11 du même code : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné, saisi en application des articles L. 752-6 ou L. 752-7, fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile. ".

12. Il ressort des pièces du dossier que les requérantes ne font valoir aucun élément sérieux susceptible de justifier leur maintien sur le territoire français. Par suite et alors d'ailleurs que leurs demandes d'asile respectives ont été définitivement rejetées par des arrêts de la Cour nationale du droit d'asile lus en audience publique le 3 novembre 2022, leurs conclusions à fin de suspension ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

Sur les frais de justice :

13. Les dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, les sommes réclamées par les consorts B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par suite, les conclusions présentées par les intéressées sur le fondement de ces dispositions ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes des consorts B... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Ardennes.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

Le président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC00367 et 23NC00368 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00367
Date de la décision : 26/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : SEGAUD JULIE

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-09-26;23nc00367 ?
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