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25/09/2023 | FRANCE | N°21NC01098

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 25 septembre 2023, 21NC01098


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 à 2016, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1908163 du 16 février 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 avri

l 2021 et le 18 octobre 2021, Mme C..., représentée par la société Gagneux Cara avocats associés, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 à 2016, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1908163 du 16 février 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 avril 2021 et le 18 octobre 2021, Mme C..., représentée par la société Gagneux Cara avocats associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le premier juge a manqué à son devoir d'impartialité, en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dès lors que les motifs du jugement reprennent en termes similaires les arguments de l'administration ;

- l'administration a entaché la procédure d'imposition d'irrégularité en appliquant la procédure d'évaluation d'office prévue par l'article L. 73 du livre des procédures fiscales sans lui avoir adressé de mise en demeure préalable, faute de démontrer le caractère occulte de l'activité de détournement de fonds qui lui est reprochée, en méconnaissance des articles L. 68 et L. 169 du livre des procédures fiscales ; pour reconstituer les recettes et dès lors que l'administration disposait depuis le 6 novembre 2017 des documents obtenus auprès de l'autorité judiciaire par l'exercice d'un droit de communication, elle devait lui adresser une demande de justifications en application de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales ;

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée et comporte des motifs erronés ;

- la réponse aux observations du contribuable est insuffisamment motivée ; les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales étaient en l'espèce applicables dès lors que la proposition de rectification comportait la mention invitant le contribuable à présenter ses observations dans le délai de trente jours ;

- l'administration était tenue de l'informer de l'origine et de la teneur des documents obtenus de tiers et de lui communiquer la copie de ces pièces ; en l'espèce, l'information délivrée était partielle et erronée en ce que la notification ne mentionnait que le jugement correctionnel ; l'administration a manqué à son devoir de loyauté en se fondant sur le procès-verbal de première audition du 13 mars 2017 sans démontrer qu'elle l'a obtenu régulièrement par l'exercice d'un droit de communication ;

- le rejet implicite de la réclamation préalable entache la procédure d'imposition d'irrégularité dès lors qu'elle ne comporte aucune motivation et qu'elle ne précise pas les voies et délais de recours, en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, du principe du contradictoire et de celui des droits de la défense ;

- c'est à tort que l'administration lui a notifié des rehaussements dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au motif qu'elle aurait détourné des fonds alors que le juge pénal l'a condamnée pour des faits d'escroquerie et non de détournement de fonds ;

- la méthode de reconstitution des recettes est fondamentalement viciée ;

- c'est à tort que l'administration lui a assigné des bases imposables d'un montant total de 335 365 euros au titre des années 2012 à 2016 alors que le jugement correctionnel ne l'a reconnue coupable des faits reprochés que pour un montant global de 318 228,11 euros ; d'une part, le service méconnaît ainsi l'autorité de la chose jugée par le juge pénal en fixant un montant de recettes supérieur à celui retenu par le juge répressif ; d'autre part, le procès-verbal de première audition du 13 mars 2017 ne permet pas d'établir qu'elle aurait avoué avoir perçu des recettes d'un montant correspondant précisément aux bases imposables qui lui ont été notifiées au titre des années litigieuses ; l'administration ne démontre pas que la reconstitution de recettes est fondée dans son montant.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 9 août 2021 et le 14 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle ne consiste qu'en la reprise des moyens de la requête de première instance ;

- les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bourguet-Chassagnon,

- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... C... épouse B..., salariée de la société PR D..., exerçait des fonctions d'assistante de direction auprès du gérant et associé de cette société jusque 2016, lesquelles consistait, notamment, à prendre en charge la comptabilité des cinq sociétés détenues par son dirigeant, M. A..., ainsi que la gestion du pole syndic au sein de la société Sarreguemines immobilier dont M. A... était également l'associé et le dirigeant avant que le fils de ce dernier n'en devienne le gérant en 2012. Mme C... a été condamnée par un jugement définitif du tribunal correctionnel de Sarreguemines du 6 novembre 2017 pour des faits d'abus de confiance commis, au cours des années 2011 à 2016, contre son employeur et les clients de celui-ci, la société Sarreguemines immobilier ainsi que soixante-et-un syndics de copropriété gérés par le pôle syndic. A la suite de l'exercice d'un droit de communication auprès de l'autorité judiciaire et après avoir procédé à un contrôle sur pièces, le service a, par une proposition de rectification du 24 octobre 2018 établie selon la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, porté à la connaissance de Mme C... des rehaussements en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, pour les années 2012 à 2016 à raison des recettes issues de ces détournements de fonds. Les suppléments d'imposition, assortis de l'intérêt de retard et de pénalités, ont été mis en recouvrement les 31 décembre 2018 et 31 janvier 2019 pour un montant total, en droits et pénalités, de '363 842' euros en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales. Mme C... a présenté le 4 février 2019 une réclamation visant à obtenir la décharge de ces impositions supplémentaires. Cette réclamation a fait l'objet d'une décision de rejet implicite en l'absence de réponse du service dans un délai de six mois suivant sa réception. Elle relève appel du jugement du 16 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations et contributions supplémentaires mises à sa charge. ''''''''''''''''''''''

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la seule circonstance que les premiers juges aient pu reprendre dans les motifs du jugement les arguments développés en défense par l'administration ne saurait caractériser un manquement à leur devoir d'impartialité, en méconnaissance des principes énoncés par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel, au demeurant, n'est utilement invocable qu'à l'encontre des énonciations du jugement concernant les conclusions à fin de décharge des pénalités, à l'exclusion des conclusions à fin de décharge des impositions elles-mêmes. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité pour ce motif.

3. En deuxième lieu, à supposer que la requérante ait entendu invoquer le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par l'intéressée à l'appui de sa demande, a procédé à l'examen, avec une motivation suffisante, des moyens qu'elle a invoqués pour contester la régularité de la procédure d'imposition ainsi que le bien-fondé des rehaussements litigieux.

Sur les conclusions à fin de décharge :

En ce qui concerne le principe de l'imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ".

5. Après avoir consulté les pièces de la procédure pénale qui lui avaient été régulièrement communiquées par l'autorité judiciaire, l'administration a constaté que Mme C... avait été condamnée par un jugement définitif de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Sarreguemines du 6 novembre 2017 pour des faits d'abus de confiance commis au préjudice de la société PR D..., dont elle était la seule salariée, de la société Sarreguemines immobilier, dont elle avait la charge du pôle syndic et de soixante-et-un syndics de copropriété clients de cette société. Le service a relevé que l'intéressée avait détourné des fonds de ces sociétés à son profit, dans le cadre de l'exercice de ses fonctions d'assistante de direction au titre des années 2012 à 2016. En conséquence, les recettes issues de ces détournements de fonds, dont il est constant qu'ils ont été commis en sa qualité de préposée, doivent être regardées comme des revenus provenant d'une activité illicite, par nature, assimilables aux bénéfices non commerciaux mentionnés au 1.de l'article 92 du code général des impôts.

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

S'agissant de la mise en œuvre de la procédure d'évaluation d'office :

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être évalués d'office : (...) 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal (...) Les dispositions de l'article L. 68 sont applicables dans les cas d'évaluation d'office prévus aux 1° et 2°". Aux termes de l'article L. 68 de ce livre, dans sa rédaction applicable au litige : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : (...) 3° Si le contribuable s'est livré à une activité occulte, au sens (...) de l'article L. 169 ". Aux termes de l'article L. 169 du même livre, dans sa rédaction applicable : " (...) L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et (...) s'est livré à une activité illicite (...) ". Enfin, en vertu de l'article 97 du code général des impôts, les contribuables exerçant une activité qui génère des bénéfices non commerciaux et qui sont soumis, obligatoirement ou sur option, au régime de la déclaration contrôlée sont tenus de souscrire chaque année, dans des conditions et délais prévus aux articles 172 et 175 de ce code, une déclaration de résultats.

7. Il est constant que Mme C... n'a souscrit aucune des déclarations que les dispositions de l'article 97 du code général des impôts imposent aux titulaires de bénéfices non commerciaux de souscrire chaque année. Il ne saurait être sérieusement contesté que l'activité de détournement de fonds à laquelle s'est livrée l'intéressée présentait un caractère illicite, ces faits, pour lesquels elle a été condamnée à deux ans d'emprisonnement assortis du sursis avec mise à l'épreuve, ayant été qualifiés d'abus de confiance par le juge pénal. En conséquence, une telle activité doit être regardée comme présentant un caractère occulte, au sens des dispositions précédemment citées de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales. Dès lors, après avoir constaté que Mme C... n'avait pas souscrit les déclarations annuelles de résultats, à raison de l'exercice de cette activité occulte, l'administration n'était pas tenue d'adresser à l'intéressée une mise en demeure de régulariser sa situation avant de lui notifier, selon la procédure d'évaluation d'office prévue au 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, les compléments d'imposition litigieux dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.

8. Dans ces conditions, la requérante n'est pas davantage fondée à soutenir que l'administration aurait dû lui adresser une demande de justifications, en application de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, afin de procéder à la reconstitution des recettes tirées de cette activité occulte.

S'agissant des autres moyens relatifs à la régularité de la procédure de rectification :

9. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée. ".

10. Mme C... soutient que la proposition de rectification du 24 octobre 2018 comporte une motivation insuffisante quant au détail des sommes détournées et que certains motifs sont erronés.

11. D'une part, à supposer ce moyen soulevé, Mme C..., dont les bénéfices non commerciaux ont été régulièrement imposés selon une procédure d'office, ne peut utilement invoquer la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales dont les dispositions relatives aux propositions de rectification adressées dans le cadre de la procédure contradictoire ne lui étaient pas applicables.

12. D'autre part, si, en vertu de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, la réponse par laquelle l'administration rejette les observations du contribuable doit être motivée, cette disposition, qui s'insère dans la partie de ce livre qui concerne la procédure de rectification contradictoire, ne trouve pas à s'appliquer dans le cas où, comme en l'espèce, les impositions et contributions en litige ont été établies d'office. Alors que le vérificateur a indiqué dans la proposition de rectification que les bases imposables étaient notifiées dans le cadre de la procédure d'évaluation d'office et a longuement exposé les motifs justifiant l'application de cette procédure, la seule circonstance que la faculté ouverte au contribuable de présenter ses observations dans le délai de trente jours n'ait pas été supprimée des mentions figurant en première page de la notification ne saurait avoir eu pour effet, contrairement à ce que soutient la requérante, d'ouvrir le dialogue entre l'administration et le contribuable avant la mise en recouvrement des suppléments d'imposition contestés. En tout état de cause, cette omission, qui n'a pas induit en erreur la contribuable, n'a pas eu pour effet de la priver d'une garantie dont elle était en droit de bénéficier. Par suite, Mme C... ne peut utilement soutenir que l'administration aurait entaché d'irrégularité la procédure d'imposition en refusant expressément, le 7 décembre 2018, de répondre aux observations sur la proposition de rectification qu'elle lui avait adressées le 23 novembre précédent.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 76 de ce livre : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions (...) ".

14. A supposer que la requérante ait entendu se prévaloir de la garantie prévue par les dispositions de l'article L. 76 de ce livre, il résulte de l'instruction que la proposition de rectification adressée à Mme C... mentionnait les impôts concernés et les années d'imposition, indiquait les montants, en bases et en droits, des rehaussements envisagés ainsi que le montant des pénalités, et après avoir rappelé l'application de la procédure d'évaluation d'office, détaillait suffisamment les modalités de reconstitution des recettes en cause. Le vérificateur a également précisé que l'exercice d'un droit de communication auprès de l'autorité judiciaire avait permis d'obtenir le jugement du 6 novembre 2017 de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Sarreguemines ainsi que le procès-verbal n° 2016/000634 du 13 mars 2017 de première audition. Il suit de là que la requérante n'est pas fondée à invoquer le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.

16. Il résulte de l'instruction, d'une part, que Mme C... a été tenue expressément informée de la teneur et de l'origine des documents obtenus de l'autorité judiciaire dans le cadre de l'exercice d'un droit de communication, par la proposition de rectification du 24 octobre 2018. Le service y mentionne, outre le jugement du tribunal correctionnel de Sarreguemines du 6 novembre 2017, le procès-verbal de première audition de l'intéressée du 13 mars 2017. La notification vise par ailleurs la référence exacte de cette pièce de la procédure pénale avant d'en citer un extrait. D'autre part, dès lors que Mme C... n'a pas demandé à l'administration de lui transmettre les pièces de la procédure pénale obtenues auprès de l'autorité judiciaire, l'administration fiscale n'était pas tenue de les lui communiquer spontanément. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales doit être écarté.

S'agissant des vices affectant la décision statuant sur la réclamation préalable :

17. En sixième lieu, les irrégularités qui entachent la décision par laquelle l'administration statue sur la réclamation du contribuable sont sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition. Dès lors, la requérante ne peut utilement invoquer les moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision de rejet implicite de sa réclamation, de la méconnaissance du principe du contradictoire, de celui des droits de la défense ni celui, en tout état de cause, tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dont serait entachée cette décision. Enfin, la circonstance que la décision née du silence conservé pendant six mois par l'administration sur la réclamation préalable que Mme C... lui avait adressée le 4 février 2019 ne lui a pas permis de bénéficier de l'indication des voies et délais de recours est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition comme sur le bien-fondé des impositions en litige et ne l'a, au demeurant et en l'espèce, pas privée de la faculté de saisir valablement le tribunal administratif dans le délai de recours prévu par les dispositions de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

18. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Aux termes de l'article R. 193-1 du même livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ".

19. Les recettes issues de l'activité illicite de détournement de fonds exercée par Mme C... ayant été, en vertu du 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, évaluées d'office au titre des années 2012 à 2016, celle-ci supporte la charge de démontrer le caractère exagéré des impositions mises à sa charge.

En ce qui concerne la légalité des moyens de preuve :

20. Mme C... reprend en appel les moyens qu'elle avait invoqués en première instance et tirés de ce que les aveux contenus dans le procès-verbal ne seraient pas recevables et de ce que l'administration aurait manqué à son obligation de loyauté. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à juste titre par le tribunal administratif de Strasbourg aux points 6 et 7 de son jugement.

En ce qui concerne la reconstitution des bénéfices :

21. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, pour reconstituer le bénéfice imposable, après avoir relevé l'absence de comptabilité tenue par la requérante, l'administration s'est fondée sur les documents obtenus auprès de l'autorité judiciaire à la suite de l'exercice d'un droit de communication, desquels il ressortait que Mme C... avait, par des jeux d'écritures, par l'établissement de fausses factures, par l'encaissement de chèques détournés et par des virements détournés portés au crédit du compte bancaire qu'elle avait ouvert à son nom auprès de la Banque populaire en 2011, exercé une activité de détournement de fonds au préjudice de son employeur et des clients de ce dernier, lui ayant permis d'obtenir de manière illicite des recettes d'un montant de 70 249,60 euros au titre de l'année 2012, de 90 684,04 euros au titre de l'année 2013, de 85 974,87 euros au titre de l'année 2014, de 73 396,62 euros au titre de l'année 2015 et de 14 571 euros au titre de l'année 2016. Le service a reconstitué les montants des sommes détournées au cours de chacune des années en litige à partir des données issues du tableau annexé au procès-verbal de première audition du 13 mars 2017 récapitulant, mensuellement et par modalité d'appréhension, les sommes inscrites au crédit et au débit du compte bancaire ouvert par Mme C... auprès de la Banque populaire en 2011 dans le cadre de son activité de détournement de fonds, corroborées, pour l'essentiel, par les déclarations de l'intéressée consignées dans ce procès-verbal d'audition ainsi que par l'évaluation du montant global des détournements de fonds retenue contre la prévenue. Le vérificateur a reconstitué les recettes issues de l'activité illicite exercée par Mme C... au titre des années 2012 à 2016 en ne retenant que les montants des sommes portées au crédit de son compte bancaire, obtenues au moyen de chèques falsifiés de son employeur ou des clients de ce dernier et de virements détournés frauduleusement. Le service a pris soin de ne pas prendre en compte les sommes inscrites au débit de ce compte correspondant aux retraits d'espèces, aux règlements par carte bancaire et aux chèques émis par l'intéressée pour le règlement de ses dépenses personnelles. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, cette méthode de reconstitution des recettes ne saurait être regardée comme radicalement viciée dans son principe.

22. En deuxième lieu, l'autorité de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges répressifs devenues définitives s'attache à la constatation des faits mentionnés dans les jugements et arrêts, support nécessaire du dispositif, et à leur qualification au regard de la loi pénale. En revanche, elle ne s'attache pas à l'appréciation de ces mêmes faits au regard de la loi fiscale, notamment en ce qui concerne l'évaluation des bases d'imposition.

23. D'une part, si Mme C... soutient que l'administration fiscale ne pouvait qualifier de détournement de fonds les faits d'abus de confiance pour lesquels elle a été condamnée par le jugement définitif de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Sarreguemines du 6 novembre 2017 sans méconnaître l'autorité de la chose jugée par le juge pénal, il résulte de ce qui vient d'être dit au point précédent que la qualification juridique des faits au regard de la loi pénale retenue par le juge pénal ne s'impose ni à l'administration ni au juge de l'impôt s'agissant de la qualification juridique des faits au regard de la loi fiscale.

24. D'autre part, Mme C... soutient que l'administration fiscale ne pouvait, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée par le juge pénal, rehausser les bases imposables en litige pour un montant supérieur au montant global des dissimulations retenu par le jugement correctionnel pour la période en cause. Toutefois, cette décision du juge pénal, qui n'avait pas pour objet d'établir le montant des revenus imposables de l'intéressée mais seulement de caractériser l'infraction d'abus de confiance, n'est pas à cet égard, revêtue de l'autorité de la chose jugée. Si le jugement du 6 novembre 2017 a reconnu Mme C... coupable des faits requalifiés d'abus de confiance, représentant un montant global évalué à la somme de 318 228,11 euros pour la période du 29 juillet 2011 au 30 avril 2016, l'administration pouvait, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée par le juge répressif, se fonder sur les éléments relatifs aux montants détournés tels qu'ils résultaient du tableau annexé au procès-verbal de première audition de l'intéressée pour établir les bases imposables à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de chacune des années en litige.

25. En troisième et dernier lieu, l'administration fiscale a arrêté, pour l'ensemble des années en litige, un montant total de recettes de 335 665,69 euros. En se bornant à soutenir que ce montant est excessif au regard du montant retenu par le jugement correctionnel du 6 novembre 2017, la requérante n'établit pas le caractère exagéré des impositions mises à sa charge, alors, au demeurant, qu'il résulte de l'instruction que les rehaussements des bases imposables correspondent aux montants arrondis des détournements de fonds calculés à partir du tableau annexé au procès-verbal de première audition.

26. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande visant à obtenir la décharge des compléments d'imposition mis à sa charge au titre des années 2012 à 2016. Par suite, ses conclusions à fin de décharge doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... épouse B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2023.

La rapporteure,

Signé : M. Bourguet-ChassagnonLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N°21NC01098


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01098
Date de la décision : 25/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Mariannick BOURGUET-CHASSAGNON
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : MARTIAL GAGNEUX FANNY CARA

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-09-25;21nc01098 ?
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