Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 13 février 2019 par laquelle le directeur général des douanes et droits indirects a rejeté sa demande tendant à l'attribution d'une indemnité de fin d'activité, en qualité de débitant de tabac.
Par un jugement n° 1900617 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 mai 2021 et 11 avril 2023, M. A..., représenté par Me Suissa (DSC Avocats), demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du directeur général des douanes et droits indirects du 13 février 2019 ;
3°) d'enjoindre à la direction générale des douanes et droits indirects de lui verser l'indemnité de fin d'activité dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou subsidiairement de réexaminer sa demande d'indemnité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le refus d'attribution fondé sur le chiffre d'affaires de son débit de tabac et sur l'évolution de ce chiffre d'affaires est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard des articles 4, 5 et 6 du décret n° 2017-977 du 10 mai 2017, qui lui sont applicables dès lors que son débit de tabac est implanté dans un département frontalier, alors qu'aucune de ces dispositions ne subordonne l'octroi de l'indemnité à l'évolution du chiffre d'affaires, seule la livraison de tabacs étant évoquée, et que l'évolution des livraisons devait seulement être prise en considération s'agissant de l'année 2002 à l'année précédant sa demande ; tous les critères énumérés à l'article 5 devaient être pris en considération ;
- il n'a pas été tenu compte des éléments spécifiques à sa situation, tenant à la faiblesse du nombre de commerces de proximité, à la faible superficie de son local y empêchant le développement d'activités complémentaires, à la proximité avec la Suisse, à son âge, à son état de santé et à la nécessité d'abandonner les activités en lien avec la pêche ;
- la demande de substitution de base légale présentée par le ministre doit être écartée ; les dispositions invoquées par l'administration ne sont pas de nature à fonder légalement la décision ; à les supposer invocables en l'espèce, elles auraient justifié un refus pour irrecevabilité, qui n'a ni le même objet ni la même portée que la décision litigieuse ; l'administration n'aurait pu prendre la même décision sans consulter la direction régionale des douanes et des droits indirects de Besançon et sans le mettre à même de produire tous les éléments nécessaires qui lui permettraient de justifier de la recevabilité de sa demande afin de permettre à l'administration de faire une exacte appréciation de sa situation individuelle ;
- que ce soit au stade de l'examen de la recevabilité de sa demande ou de l'éligibilité à l'indemnité, il n'a pas été procédé à un examen complet de sa situation et le rejet de sa demande est entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation.
Par deux mémoires enregistrés les 9 septembre 2021 et 2 mai 2023, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient :
- qu'il y a lieu de procéder à une substitution de base légale, la demande d'indemnité de M. A... étant irrecevable en vertu du 3° de l'article 4 du décret n° 2017-977 du 10 mai 2017 modifié, dès lors que la baisse du montant des livraisons de tabac du débit exploité par le requérant n'est pas cohérente par rapport à l'évolution constatée sur les autres points de vente en produits du tabac ; cette base légale lui aurait permis de prendre la même décision, faisant obstacle au versement de l'aide ; cette demande de substitution a été soumise au contradictoire ; il n'y avait pas lieu de porter une appréciation sur la situation personnelle de M. A... au regard de l'article 5 du décret, dès lors que cet article est inapplicable à une demande irrecevable ;
- qu'aucun des moyens invoqués par M. A... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2017-977 du 10 mai 2017 ;
- le décret n° 2018-560 du 29 juin 2018 ;
- l'arrêté du 30 novembre 2017 fixant les conditions d'application du décret n° 2017-977 du 10 mai 2017 relatif aux indemnités de fin d'activité en faveur des débitants de tabac ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Samson-Dye,
- et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a exploité, à partir du 1er juillet 2000, un débit de tabac situé sur le territoire de la commune de Valentigney, dans le département du Doubs. Le 2 janvier 2019, il a sollicité l'attribution d'une indemnité de fin d'activité. Sa demande a été rejetée par une décision du directeur général des douanes et droits indirects en date du 13 février 2019. M. A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article 1er du décret du 10 mai 2017 relatif aux indemnités de fin d'activité en faveur des débitants de tabac, dans sa version modifiée par le décret du 29 juin 2018 : " Le débitant qui gère un débit de tabac ordinaire, au sens du 1° de l'article 1er du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 susvisé, peut bénéficier, sur sa demande, d'une indemnité de fin d'activité dénommée : 1° Indemnité de fin d'activité classique, sous réserve que le débit soit implanté dans un département où le montant annuel des livraisons de tabacs manufacturés de l'année civile précédant celle de sa demande est inférieur d'au moins 5 % à celui de 2012 ou dans un département frontalier et que le débitant remplisse les conditions définies aux articles 4, 5 et 6 du présent décret. (...)". L'article 4 du même décret dispose : " La demande d'indemnité de fin d'activité classique est recevable si le débitant : (...) 3° Démontre que le montant annuel des livraisons de tabacs manufacturés de son débit de tabac de l'année civile précédant celle de sa demande a baissé d'au moins 20 % par rapport à l'année de référence définie à l'article 3, en cohérence avec l'évolution du montant des livraisons annuelles de tabacs des débits avoisinants. ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " L'indemnité de fin d'activité classique est attribuée par le directeur général des douanes et droits indirects qui rend sa décision sur la base des critères suivants : a) Evolution du montant annuel des livraisons de tabacs manufacturés du débit de tabac entre l'année de référence définie à l'article 3 et l'année précédant celle de la demande ; b) Nombre de débits de tabac dans la commune concernée ou dans les communes limitrophes et le nombre de fermetures définitives de débits de tabac prononcées depuis l'année de référence ; c) Evolution du montant annuel des livraisons de tabacs manufacturés des débits en activité et fermés définitivement dans la commune concernée ou dans les communes limitrophes depuis l'année de référence ; d) Distance séparant le débit de tabac de la frontière et le temps de parcours en voiture pour se rendre du débit à la frontière. / La situation professionnelle et personnelle du débitant peut constituer un élément d'appréciation pour l'attribution de l'indemnité. ". Il ressort enfin de l'article 3 de ce décret que, pour les débitants ayant pris leur fonction avant le 1er janvier 2002, l'année de référence pour la prise en compte du montant annuel des livraisons de tabacs manufacturés est 2002.
3. En premier lieu, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.
4. Alors que la décision du 13 février 2019 refusant à M. A... le bénéfice de l'indemnité de fin d'activité classique était fondée sur l'article 5 du décret du 10 mai 2017, l'administration soutient, pour la première fois en appel, qu'elle aurait pu être édictée sur le fondement du 3° de l'article 4 du même décret.
5. La circonstance que l'article 4 amène à rejeter la demande d'indemnité pour irrecevabilité, à la différence de l'article 5, ne saurait faire obstacle à ce que les premières dispositions soient substituées aux secondes, dès lors qu'il ne ressort d'aucune disposition qu'un rejet pour irrecevabilité emporterait des conséquences distinctes d'un rejet au fond, les deux fondements étant de portée équivalente. Par ailleurs, aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit qu'un rejet pour irrecevabilité sur le fondement du 3° de l'article 4 du décret du 10 mai 2017 impliquerait le respect de règles procédurales particulières qui auraient été omises en l'espèce, en terme de consultation ou de demande de pièce, étant précisé que la direction régionale des douanes et des droits indirects, lors de l'instruction de la demande de l'intéressé, a produit un rapport procédant, notamment, à une étude comparative de l'évolution du montant annuel des livraisons de tabac s'agissant du débit de M. A... et des établissements avoisinants. Dans ces conditions, la substitution de base légale demandée ne prive M. A... d'aucune garantie. De plus, l'administration, qui avait initialement opposé son refus en se prévalant notamment du c) de l'article 5 du décret cité au point 2, dispose du même pouvoir d'appréciation pour opposer un refus sur l'une ou l'autre des dispositions dont elle s'est successivement prévalue. Les dispositions de l'article 4 ne sont donc pas insusceptibles d'être substituées à celles de l'article 5, contrairement à ce que soutient le requérant.
6. Il ressort du 3° de l'article 4 du décret n° 2017-977 du 10 mai 2017, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que la recevabilité de la demande d'indemnité de fin d'activité dite classique est conditionnée à la double démonstration que le montant annuel des livraisons de tabacs manufacturés du débit de tabac concerné au cours de l'année civile précédant celle de la demande d'indemnité a baissé d'au moins 20 % par rapport à l'année de référence définie à l'article 3, mais aussi que cette baisse a été cohérente avec l'évolution du montant des livraisons annuelles de tabacs des débits avoisinants. Contrairement à ce que soutient M. A..., la circonstance qu'une baisse de 20 % s'inscrirait dans une tendance incohérente par rapport à l'évolution connue par les débits voisins est donc de nature à justifier un rejet pour irrecevabilité de la demande d'indemnité, sans qu'il appartienne à l'administration de s'interroger sur d'éventuelles justifications tenant à la particularité de la situation du demandeur.
7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et en particulier du tableau réalisé par la direction régionale des douanes et droits indirects de Besançon, produit devant les premiers juges, que le débit exploité par M. A... a connu une évolution des livraisons de tabac de - 51% entre 2002, qui constitue l'année de référence en vertu de l'article 3 du décret cité au point 2, et 2018, année précédant sa demande d'indemnité, alors que les quatre autres débits situés entre 500 mètres et 1 500 mètres de cet établissement ont connu, au cours de la même période, qui doit seule être prise en considération au regard de la rédaction de l'article 4 du décret, une évolution de - 0,27 %, + 55,31 %, + 64,52 % et + 170,20 %. L'évolution connue par le débit de M. A... entre 2002 et 2018 est donc incohérente par rapport à celle des établissements avoisinants s'agissant des livraisons de tabac au cours de la même période, tel qu'indiqué dans la décision litigieuse. Si la décision évoque aussi, dans d'autres passages, la notion de " chiffre d'affaires tabac ", cette expression ne renvoie pas aux revenus d'exploitation du débit, susceptibles de porter sur d'autres activités que la vente de tabac, comme le soutient le requérant, mais aux livraisons de tabac, sous réserve d'éventuelles reprises de ces produits, ainsi que cela est explicité dans le document joint au premier mémoire en défense produit en appel. Il ne saurait donc être reproché à l'administration de s'être prononcée au regard d'éléments étrangers aux livraisons de tabac pour apprécier le respect du critère mentionné au 3° de l'article 4 du décret du 10 mai 2017.
8. Il suit de là que la demande d'indemnité de fin d'activité classique présentée par M. A... était irrecevable sur le fondement du 3° de l'article 4 du décret n° 2017-977 du 10 mai 2017, qui peut être substitué comme base légale du refus litigieux.
9. En deuxième lieu, il ne ressort ni du décret du 10 mai 2017, ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que l'administration pourrait passer outre les critères de recevabilité pour accorder l'indemnité à un demandeur qui ne les satisfait pas, en se fondant sur les spécificités de sa situation professionnelle et personnelle. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en omettant de se prononcer sur ces éléments, le refus d'indemnité serait entaché d'un défaut d'examen ou d'une erreur de droit.
10. En troisième lieu, au regard de la substitution de base légale opérée, les moyens tirés de l'erreur d'appréciation et de l'erreur de droit qui auraient été commises au regard de l'article 5 du décret n° 2017-977 du 10 mai 2017 sont inopérants.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre du rejet de sa demande par les premiers juges. Sa requête doit donc être rejetée dans toutes ses conclusions.
D E C I D E:
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 29 août 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.
La rapporteure,
Signé : A. Samson-DyeLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 21NC01293