Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner la région Bourgogne Franche-Comté à lui verser la somme totale de 151 500 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis à la suite de la chute dont elle a été victime le 2 mars 2010 au sein du lycée Pergaud à Besançon, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2018, date de sa demande préalable d'indemnisation.
Par un jugement n° 1900486 du 10 novembre 2020 le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 8 janvier 2021 et le 20 juin 2022, Mme A..., représentée par Me Devevey, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon n° 1900486 du 10 novembre 2020 ;
2°) de condamner la région Bourgogne Franche-Comté à lui payer, en réparation des préjudices subis, la somme totale de 151 500 euros ;
3°) de dire et juger que l'ensemble des sommes allouées porteront intérêt au taux légal, à compter de la date de sa demande préalable d'indemnisation ;
4°) d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
5°) de mettre à la charge de la région de Bourgogne Franche Comté le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la chute dont elle a été victime trouve son origine dans le défaut d'entretien normal du trottoir par la région Bourgogne Franche-Comté : le trottoir s'élève depuis le niveau du chemin goudronné jusqu'à une hauteur de 1,20 mètres, aucune barrière ne vient protéger des chutes, l'éclairage est défaillant et était en panne le soir de son accident ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu une imprudence à l'origine de sa chute, en raison de sa prétendue connaissance des lieux, pour écarter la responsabilité de la région de Bourgogne Franche-Comté :
. elle n'a commis aucune faute ;
. si elle avait l'habitude d'animer un atelier de théâtre, son cheminement habituel ne la conduisait pas à passer par la porte d'entrée de l'internat des filles du lycée, pour rejoindre son véhicule ;
. ayant commencé à 10 heures du matin sa journée de travail, son état de vigilance était nécessairement moindre à 20 h30 au moment de sa chute ;
- elle est fondée à solliciter la réparation de ses préjudices, pour un montant total de 151 500 euros, réparti comme suit :
. 10 000 euros, sauf à parfaire, en réparation de l'incapacité permanente totale de 14 mois ;
. 2 000 euros, sauf à parfaire, en réparation de l'incapacité temporaire de travail ;
. 59 500 euros, sauf à parfaire, au titre du déficit fonctionnel permanent ;
. 20 000 euros, sauf à parfaire, en réparation des souffrances endurées et du préjudice esthétique ;
. 10 000 euros en réparation du préjudice d'agrément ;
. 10 000 euros, sauf à parfaire, au titre de l'assistance d'une tierce personne ;
. 40 000 euros, en réparation du préjudice moral.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 mai 2022 et le 7 juillet 2022, la région Bourgogne Franche-Comté conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme A... le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucun défaut d'entretien normal de l'ouvrage ne pourra être retenue à son encontre :
. les seules circonstances selon lesquelles qu'aucun garde-corps n'existait au moment de l'accident, que des barrières aient été installées par la suite et que l'éclairage aurait été défaillant ce soir-là ne suffisent à établir un défaut d'entretien normal ou de signalisation :
. les attestations produites en appel par la requérante ne permettent pas d'attester du défaut d'entretien normal de l'ouvrage, ces dernières étant notamment produites plus de dix ans après la chute ;
. les photographies de mauvaises qualités ne permettent pas d'attester de la dangerosité des lieux ;
- il n'y a aucun lien de causalité entre le dommage subi par Mme A... et le prétendu défaut d'entretien normal de l'ouvrage ;
- la requérante a commis une faute :
. elle a fait preuve d'imprudence car elle empruntait régulièrement ce passage afin de se rejoindre son véhicule ;
. il lui appartenait de prendre en compte les précautions nécessaires ;
- les conclusions indemnitaires ne sont pas justifiées et doivent par suite être rejetées.
La procédure a été communiquée au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports qui a répondu dans un courrier du 9 juin 2023 que seule la rectrice de l'académie de Besançon était compétente pour présenter des observations dans cette affaire.
La rectrice de l'académie de Besançon, à qui la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône, à qui la procédure a été communiquée, a précisé dans son mémoire enregistré le 9 avril 2021, ne pas souhaiter se constituer partie civile dans cette instance.
Les parties ont été informées le 7 juin et le 12 juin 2023, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office et tiré de l'irrégularité du jugement, pour ne pas avoir appelé à la cause le ministre de l'éducation nationale, employeur public de Mme A..., conformément aux dispositions de l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques, en vigueur à la date du jugement et désormais codifié à l'article L. 825-6 du code général de la fonction publique.
Des observations au moyen d'ordre public ont été présentées par la rectrice de l'académie de Besançon le 15 juin 2023 et enregistrées au greffe de la cour le 19 juin 2023. Elles ont été communiquées aux parties.
Par une ordonnance du 7 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 juillet 2023 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,
- et les observations de Me Devevey, représentant Mme A... ainsi que celles de Me Santana, représentant la région Bourgogne Franche-Comté.
Une note en délibéré présentée par Mme A... a été enregistrée le 1er septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... était professeur de lettres affectée au lycée à Besançon. Le 2 mars 2010, aux alentours de 20h30, elle a été victime d'une chute d'une voie en surplomb située dans l'enceinte de l'établissement alors qu'elle se rendait au parking pour rejoindre son véhicule. Elle est tombée sur son épaule, puis s'est rendue plus tard dans la soirée au centre hospitalier régional et universitaire de Besançon. Une fracture de son humérus droit ayant été constatée par radiologie, elle a subi une ostéosynthèse le 3 mars suivant. Les suites opératoires ayant été marquées par diverses complications, elle a subi deux autres interventions chirurgicales le 18 mars 2010 et le 17 janvier 2012. Imputant son accident à un défaut d'entretien de la voie, Mme A... a alors formé une demande préalable indemnitaire le 28 novembre 2018 à l'encontre de la région Bourgogne Franche-Comté, laquelle a rejeté sa demande par une décision du 22 janvier 2019. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner la région Bourgogne Franche-Comté à lui verser la somme totale de 151 500 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis à la suite de cet accident. Par un jugement n° 1900486 du 10 novembre 2020 le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Madame A... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué:
2. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques, en vigueur à la date du jugement et désormais codifié à l'article L. 825-6 du code général de la fonction publique, les agents de l'Etat ou d'une personne publique mentionnée à l'article 7 de cette ordonnance ou leurs ayants droit qui demandent en justice la réparation d'un préjudice qu'ils imputent à un tiers " doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci ". Cette obligation, dont la méconnaissance est sanctionnée par la possibilité reconnue à toute personne intéressée de demander pendant deux ans l'annulation du jugement, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des personnes publiques susceptibles d'avoir versé ou de devoir verser des prestations à la victime ou à ses ayants droit.
3. La qualité d'agent public de l'Etat détenue par Mme A... ressortait des pièces du dossier. En ne communiquant pas la requête de Mme A... à son employeur, le tribunal administratif de Besançon a entaché son jugement d'irrégularité. Ce dernier doit, par suite, être annulé.
4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Mme A... devant le tribunal administratif de Besançon.
Sur les conclusions indemnitaires :
5. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
6. Il résulte de l'instruction que Mme A... est tombée le 2 mars 2010, aux alentours de 20h30, alors qu'il faisait nuit, d'une voie interne à l'enceinte du lycée qui en longeant les bâtiments descend vers le parking du lycée. A son point le plus haut, la voie est en surplomb d'une hauteur d'environ 1,20 mètres. A la date des faits, elle n'était pas pourvue d'un garde-corps. Il résulte des attestations concordantes produites par la requérante que les enseignants connaissaient tous la configuration des lieux qu'ils estimaient dangereux. Au regard de la largeur de la voie qui permettait sans danger aux piétons de circuler sans risque de chute, le défaut de garde-corps ne constituait pas un danger excédant ceux auxquels devaient s'attendre les usagers. La circonstance qu'il a été installé par la suite ne suffit pas à démontrer le défaut d'entretien normal de la voie. A supposer que l'éclairage était le soir de l'accident défaillant ou même inexistant, ce qui aurait dû conduire la requérante à utiliser un autre chemin, la chute dont cette dernière a été victime, qui connaissait les lieux puisqu'elle était affectée dans l'établissement depuis 17 ans, alors même qu'elle n'aurait pas régulièrement emprunté la voie litigieuse, résulte de sa propre imprudence. La requérante admet par ailleurs dans ses écritures qu'elle était fatiguée le soir de son accident et que son état de vigilance était nécessairement moindre.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la région Bourgogne Franche-Comté sur le fondement d'un défaut d'entretien normal à raison de la chute dont elle a été victime. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées par Mme A... et par voie de conséquence, celles présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône, doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la région Bourgogne Franche-Comté, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A..., le versement de la somme que la région Bourgogne Franche-Comté demande sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 10 novembre 2020, n° 1900486 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Besançon est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la région Bourgogne Franche-Comté et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la région Bourgogne Franche-Comté, à la rectrice de l'académie de Besançon et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône.
Délibéré après l'audience du 29 août 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au préfet du Doubs en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 21NC00057