Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2022 par lequel la préfète de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination, l'arrêté du 2 février 2023 par lequel la préfète de l'Aube l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant un délai d'un an et l'arrêté du même jour par lequel la préfète l'a assignée à résidence dans le département de l'Aube pour une durée de 45 jours.
Par un jugement n° 2201822 du 2 décembre 2022 et un jugement n° 2300238, 2300239 du 13 février 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 21 décembre 2022 et le 1er avril 2023, sous le n° 22NC003204, Mme C..., représentée par Me Lombardi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 900 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de séjour est entachée d'incompétence dans la mesure où la délégation du signataire est générale et absolue ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnait l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'ayant transmis des documents d'état civils qui ne sont pas frauduleux et permettent d'établir son identité, elle remplit les conditions pour bénéficier d'un titre sur ce fondement ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à ses attaches sur le territoire français ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'incompétence dans la mesure où la délégation du signataire est générale et absolue ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire, enregistré le 13 mars 2023, la préfète de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mars 2023.
II. Par une requête, enregistrée le 28 février 2023, sous le n° 23NC00686, Mme C..., représentée par Me Lombardi, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 février 2023 en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 février 2023 par lequel la préfète de l'Aube l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant un délai d'un an ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 février 2023 l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant un an et fixant le pays de destination ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'incompétence dans la mesure où il n'est pas démontré que la préfète et le secrétaire général étaient empêchés ;
- elle est insuffisamment motivée en ce que la préfète se borne à indiquer que sa décision ne méconnaitrait pas les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'un vice de procédure en ce que sa retenue administrative ne saurait suffire à considérer que son droit à être entendu a été respecté ;
- en retenant qu'elle n'avait pas exécuté une précédente mesure d'éloignement, la préfète a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en ce que le jugement qui rejette son recours contre cette mesure sera annulé par la cour administration d'appel ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation des faits quant à son intégration sociale et professionnelle ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à sa relation avec un compatriote et sa grossesse ;
- la décision lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant un délai d'un an est entachée d'une erreur d'appréciation eu égard à sa situation personnelle et familiale ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation et méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à sa relation avec un compatriote et sa grossesse.
Par un mémoire, enregistré le 19 avril 2023, la préfète de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., de nationalité ivoirienne, déclare être née le 21 février 2004 à Marcory (Côte d'Ivoire) et être entrée en France en mars 2019. Elle a été prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance le 18 mars 2019. Le 22 juin 2021, elle a sollicité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 6 juillet 2022, la préfète de l'Aube a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Mme C... relève appel du jugement du 2 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 6 juillet 2022. Le 2 février 2023, Mme C... a fait l'objet d'une rétention administrative à l'issue de laquelle la préfète de l'Aube a pris à son encontre un premier arrêté l'obligeant à quitter le territoire français et un second l'assignant à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours. Mme C... relève appel du jugement du 13 février 2013 en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 février 2023 l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant un an
Sur la jonction :
2. Les requêtes ci-dessus visées n° 2203204 et n° 2300686, présentées par Mme C... présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur l'arrêté du 6 juillet 2022 :
En ce qui concerne la compétence de l'auteur de l'arrêté :
3. Ainsi que l'ont précisé à juste titre les premiers juges, la préfète de l'Aube a, dans son arrêté du 27 avril 2022, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, octroyé une délégation de signature à M. Christophe Borgus, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous les actes relevant des attributions de l'Etat dans le département, excluant toutefois un certain nombre d'actes visés dans l'article 2, au nombre desquels ne figure pas la police des étrangers. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient Mme C..., la délégation de signature qui exclut un certain nombre d'actes n'est ni générale, ni absolue. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté en litige doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
4. En premier lieu, l'arrêté contesté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, la préfète de l'Aube, qui n'était pas tenu de mentionner tous les éléments de fait relatifs à la situation de Mme C..., a cité les éléments pertinents dont elle avait connaissance, afférents notamment à son état civil et à ses attaches sur le territoire français et qui fondent ses décisions. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ".
6. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Il lui revient ensuite de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
7. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ". L'article L. 811-2 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil précise que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
8. Le II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice dispose que : " II. - Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Un décret en Conseil d'Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation ". Aux termes de l'article 3 du décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère : " I. - L'ambassadeur ou le chef de poste consulaire français peut légaliser : 1° Les actes publics émis par les autorités de son Etat de résidence, légalisés le cas échéant par l'autorité compétente de cet Etat ".
9. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
10. Au soutien de sa demande de titre de séjour, Mme C... a produit un passeport, un duplicata de certificat de nationalité ivoirienne, un extrait du registre des actes d'état civil n° 5327 et une copie intégrale du registre des actes de l'état civil. Pour écarter ces documents, la préfète de l'Aube s'est fondée sur un rapport d'examen technique documentaire de la direction zonale de la police aux frontières (DZPAF) zone Est du 15 décembre 2021, dans lequel l'expert en fraude documentaire estime que la copie intégrale et l'extrait du registre des actes d'état civil n° 5327 ne sont pas recevables au sens de l'article 47 du code civil dans la mesure où ils font mention d'un jugement supplétif n° 967 du 28 avril 2018 qui n'est pas produit. Par ailleurs, il relève que les lieux de naissance des parents de la requérante, mentionnés sur le certificat de nationalité, sont différents de ceux indiqués sur la copie intégrale du registre des actes d'état civil alors même que le certificat de nationalité fait explicitement référence à l'acte d'état civil n° 5327. Il en déduit que ces documents sont des faux et que le passeport, ayant été obtenu sur la base de ces documents, a été obtenu indûment et est donc un faux.
11. A hauteur d'appel, Mme C... produit une copie certifiée conforme du jugement supplétif d'acte de naissance n° 967 du 20 avril 2018 ainsi qu'une nouvelle copie intégrale du registre des actes d'état civil n°5327. Toutefois, d'une part, alors que l'acte d'état civil indique transcrire le jugement supplétif, il comprend des informations qui ne proviennent pas de ce jugement, à savoir les villes de naissance des parents. D'autre part, dans cette nouvelle copie intégrale du registre des actes de l'état civil, ces villes ont été modifiées et sont maintenant conformes à celle indiquées sur le certificat de nationalité. Toutefois, la nouvelle copie est sensée retranscrire le même acte d'état civil n° 5327 que la précédente copie intégrale produite par Mme C.... Dès lors, les villes de naissance des parents ne devraient pas être différentes entre ces deux documents. Dans ces conditions, la préfète de l'Aube est fondée à soutenir que les documents produits sont frauduleux et que le passeport de Mme C..., ayant été délivré sur la base de ces documents, ne peut justifier de son état civil. Par suite, Mme C... ne démontre pas qu'elle remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 423-22.
12. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
13. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est présente en France depuis moins de quatre ans à la date de la décision contestée. Outre sa scolarité, elle ne justifie pas d'une intégration sociale et professionnelle particulière en France. Si elle soutient être en couple et être enceinte, elle n'établit ni que cette relation serait ancienne alors qu'elle s'était déclarée célibataire lors de sa demande de titre le 22 juin 2021, ni que son compagnon résiderait régulièrement en France ou qu'il ne pourrait pas, le cas échéant, la suivre dans son pays d'origine. Elle ne démontre pas non plus que cette grossesse ou que la naissance de son enfant serait un obstacle à son retour dans son pays d'origine où, ainsi qu'il a été dit, la cellule familiale pourrait se reconstituer et où elle n'établit pas être dépourvue d'attaches. Dans ses conditions, la préfète de l'Aube n'a pas porté au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels la décision contestée a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
14. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ". L'article L. 613-1 du même code dispose que : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. / Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Toutefois, les motifs des décisions relatives au délai de départ volontaire et à l'interdiction de retour édictées le cas échéant sont indiqués ".
15. Les dispositions précitées ne prévoient pas de motivation distincte pour la décision portant obligation de quitter le territoire français, et n'impliquent pas, par conséquent, dès lors que le refus de titre de séjour est lui-même motivé et que les dispositions législatives qui permettent d'assortir le refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français ont été rappelées, de mention spécifique pour respecter les exigences de motivation. Par suite, eu égard à ce qui a été dit au point 3, le moyen tiré du défaut de motivation de la mesure d'éloignement doit être écarté.
16. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 13, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'arrêté du 2 février 2023 l'obligeant à quitter le territoire français, fixant le pays de destination et lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant un délai d'un an :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
17. En premier lieu, par un arrêté du 8 juillet 2022, régulièrement publié au recueil spécial n° 51 des actes administratifs de la préfecture du même jour, la préfète de l'Aube a donné délégation à Mme A... B..., directrice des services du cabinet, à l'effet notamment, en vertu de son article 3, de signer toute décision en matière de police des étrangers en cas d'empêchement concomitant de la préfète et du secrétaire général. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète et le secrétaire général n'étaient pas tous deux empêchés. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
18. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient Mme C..., l'arrêté contesté ne se borne pas à détailler sa situation personnelle et à écarter la méconnaissance des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales mais comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, la préfète de l'Aube, qui n'était pas tenue de mentionner tous les éléments de fait relatifs à la situation de Mme C..., a cité les éléments pertinents dont elle avait connaissance, afférents notamment ses attaches personnelle et familiales sur le territoire français et qui fondent ses décisions. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
19. En troisième lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. En outre, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.
20. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., qui avait déjà fait l'objet d'une première mesure d'éloignement le 6 juillet 2022 et avait ainsi nécessairement connaissance que son maintien sur le territoire en situation irrégulière pouvait entrainer son éloignement, a été auditionnée le 2 février 2023 par les services de police dans la cadre de retenue pour vérification du droit au séjour. A cette occasion, la requérante a été informée que les services de la préfecture étaient susceptibles de prendre une mesure d'éloignement et a déclaré qu'elle n'avait pas d'observations à formuler. Elle a ajouté que son avocate ferait un recours en cas de nouvelle mesure d'éloignement. Ainsi, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que son droit à être entendue n'a pas été respecté dans le cadre de cette procédure. En tout état de cause, Mme C... qui a indiqué lors de cette retenue avoir quitté son pays pour échapper à un mariage forcé, ne pas vouloir y retourner et être enceinte de sept mois, ne démontre pas qu'elle aurait été empêchée de fournir des informations qui auraient été susceptibles d'avoir une incidence sur la décision d'éloignement dont elle a fait l'objet. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait le droit d'être entendu doit être écarté.
21. En quatrième lieu, le présent arrêt rejette l'appel formé par Mme C... contre le jugement du tribunal de Châlons-en-Champagne du 2 décembre 2022 rejetant son recours contre l'arrêté du 6 juillet 2022. Par suite, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que la préfète de l'Aube a retenu l'absence d'exécution d'une précédente mesure d'éloignement pour fonder sa décision.
22. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme C..., entrée en France en mars 2019, a suivi sa scolarité en France, obtenu son brevet des collèges le 8 septembre 2021 et poursuivi ses études en certificat d'aptitude professionnelle au titre des années scolaires 2021-2022 et 2022-2023. Toutefois, d'une part, hormis sa scolarité, la requérante ne justifie pas d'une intégration sociale ou professionnelle particulière. D'autre part, elle n'établit pas qu'elle ne serait pas en mesure de poursuivre ses études en Côte d'Ivoire. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation des faits quant à son insertion ne peut qu'être écarté.
23. En sixième et dernier lieu, ainsi qu'il vient d'être dit au point précédent et au point 13, Mme C... ne démontre ni son insertion sociale et professionnelle en France, ni l'ancienneté de ses attaches sur le territoire français. Si elle se prévaut de sa relation avec un compatriote qui atteste l'héberger depuis janvier 2023 en région parisienne, cette attestation entre en contradiction avec les propres déclarations de la requérante lors de sa retenue administrative dans lesquelles elle indique vivre en colocation à Troyes où elle poursuit d'ailleurs sa scolarité et est suivie pour sa grossesse. Dans ces conditions, la préfète de l'Aube n'a pas porté au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels la décision contestée a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la décision lui interdisant de revenir sur le territoire français :
24. D'une part, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". D'autre part, aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
25. Ainsi qu'il a été dit aux points 13 et 23, Mme C..., présente en France depuis moins de quatre ans à la date de la décision en litige, ne démontre ni qu'elle a fixé en France le centre de ses attaches personnelles, ni que sa cellule familiale ne serait pas en mesure de se reconstituer dans son pays d'origine. Dans ces conditions, elle n'établit ni que la décision en litige méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni que la préfète de l'Aube aurait entaché sa décision d'erreur d'appréciation en prenant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa grossesse constituerait une circonstance humanitaire justifiant que la préfète n'édicte pas une telle mesure.
26. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses demandes. Par suite, ses requêtes doivent rejetées en toutes leurs conclusions y compris celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes n° 22NC03204 et n° 23NC00686 de Mme C... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Lombardi.
Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 22 juin 2023, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président,
Mme Brodier, première conseillère,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.
La rapporteure,
Signé : C. MosserLe président,
Signé : M. Agnel
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
2
N°s 22NC02304, 23NC00686