La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2023 | FRANCE | N°22NC01974

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 juillet 2023, 22NC01974


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 10 juin 2021, par lequel le préfet de la Marne l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2101637 du 24 septembre 2021, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregist

rée le 21 juillet 2022, M. E..., représenté par Me Gabon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 10 juin 2021, par lequel le préfet de la Marne l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

Par un jugement n° 2101637 du 24 septembre 2021, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 juillet 2022, M. E..., représenté par Me Gabon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Marne du 10 juin 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer un titre de séjour temporaire, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dès lors qu'il n'a pas été entendu à l'occasion du réexamen de sa situation ;

- à l'occasion du réexamen de sa situation, le préfet n'a pas procédé à un examen approfondi de sa situation personnelle au regard de son droit au séjour, notamment sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'il avait expressément demandé que sa situation soit examinée au titre du séjour et non de l'asile ;

- le préfet a commis une erreur de fait en considérant qu'il avait perdu son droit au maintien sur le territoire français ;

- le préfet s'est mépris sur l'étendue de sa compétence en se fondant seulement sur les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la cour nationale du droit d'asile ;

- l'arrêté litigieux méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de renvoi ne détermine pas précisément le pays à destination duquel il devra être reconduit.

La requête a été communiquée au préfet de la Marne qui n'a pas produit d'observations en défense.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 13 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience publique.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bourguet-Chassagnon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant nigérian, né le 14 avril 1984, entré sur le territoire français selon ses déclarations le 13 septembre 2019, a présenté le 29 octobre 2019 une demande d'asile qui a été rejetée par une décision du 11 décembre 2019 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée le 4 septembre 2020 par la Cour nationale du droit d'asile. Le préfet de la Marne a édicté à son encontre un arrêté du 23 septembre 2020 l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office. Par un jugement du 19 novembre 2020, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision fixant le pays de renvoi assortissant la mesure d'éloignement et enjoint au préfet de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé. Le préfet de la Marne a interjeté appel du jugement en tant qu'il avait annulé la décision fixant le pays de destination. Par un arrêt du 26 avril 2022, la cour a annulé ledit jugement et rejeté la demande de M. E.... Parallèlement et durant l'instruction de sa requête d'appel, le préfet a procédé au réexamen de la situation de M. E.... A l'issue de ce réexamen, par un arrêté du 10 juin 2021, le préfet de la Marne l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office. Par un jugement du 24 septembre 2021, dont M. E... relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...). Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

3. Après avoir rappelé le rejet de la demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmé par la cour nationale du droit d'asile puis l'annulation de la décision fixant le pays de destination qui assortissait la mesure d'éloignement qu'il avait précédemment édictée à l'encontre de M. E..., le préfet de la Marne a précisé qu'il a procédé au réexamen de la situation de l'intéressé, ainsi qu'il lui était enjoint de le faire. L'arrêté vise les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui fondent la mesure d'éloignement et indique que l'intéressé s'est présenté à la préfecture et a demandé que sa situation soit étudiée au titre du séjour en se prévalant de la présence en France de son épouse, demandeur d'asile. Le préfet expose les motifs l'ayant conduit à ne pas tenir pour fondées les craintes de persécution exposées par M. E... du fait de son orientation sexuelle et a considéré d'une part, qu'il n'entrait dans aucun des cas de protection contre l'éloignement prévus par les articles L. 611-3 et L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, qu'il n'était pas porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, compte tenu de l'absence de liens privés et familiaux stables et intenses en France et à défaut de démonstration de son isolement en cas de retour au Nigéria. S'agissant de la décision fixant le pays de destination, le préfet précise qu'elle ne contrevient pas aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme après avoir estimé que l'intéressé ne démontre pas être exposé à des peines ou traitements contraires à ces stipulations. L'article 3 de l'arrêté attaqué prévoit enfin que l'intéressé pourra être reconduit d'office à destination de son pays d'origine ou tout autre pays où il établit être légalement admissible. Les décisions contestées comportent ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait insuffisamment motivé doit être écarté.

4. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; ". Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; / (...) ".

5. Il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, le droit d'être entendu n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile ou de sa demande de titre de séjour.

6. Si le requérant soutient qu'il a été privé du droit d'être entendu et qu'il n'a pas été mis en mesure de formuler ses observations avant que ne soit édictée la mesure d'éloignement en litige, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée a été prise, sur le fondement des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la suite du rejet de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmé par la cour nationale du droit d'asile et dans le cadre du réexamen de sa situation, consécutif à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi précédemment évoquée. D'une part, l'intéressé a pu présenter ses observations lors de l'instruction de sa demande d'asile et ne pouvait raisonnablement ignorer qu'en cas de rejet de sa demande d'asile, il était susceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. D'autre part, à l'occasion du réexamen de sa situation, M. E... s'est présenté aux services de la préfecture afin de faire valoir ses observations et était dès lors en mesure de produire tous éléments susceptibles de s'opposer à son éloignement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

7. Le requérant soutient que sa situation aurait dû être examinée au regard de son droit au séjour, notamment sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il avait demandé aux services de la préfecture que sa situation soit étudiée au titre du séjour et non de l'asile, ce qui ressort des termes de l'arrêté contesté. Toutefois, en se bornant à se prévaloir de cette seule observation formulée oralement dans le cadre du réexamen de sa situation, M. E... n'établit pas qu'il aurait ainsi entendu présenter au préfet de la Marne une demande de titre de séjour. De plus, en admettant même que le requérant puisse être regardé comme ayant présenté une demande de titre de séjour, cette circonstance ne faisait pas, par elle-même, obstacle à ce qu'il fasse l'objet d'une obligation de quitter le territoire sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code précédemment mentionné. Le préfet de la Marne qui n'était pas tenu d'examiner d'office la possibilité d'admettre M. E... au séjour, a d'ailleurs pris en considération les éléments de la situation personnelle de ce dernier afin de vérifier qu'il n'était pas dans une situation dans laquelle la loi ou les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme s'opposeraient à son éloignement. Il suit de là que le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé doit être écarté.

8. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile présentée par M. E... a fait l'objet d'une décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par la cour nationale du droit d'asile et qu'il n'a pas saisi l'Office français de protection des réfugiés et apatrides d'une demande de réexamen de sa demande d'asile. Dès lors, et en application du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait entaché la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une erreur de fait en constatant qu'il avait perdu son droit au maintien sur le territoire français.

9. Il ne ressort pas des termes de l'arrêté contesté que le préfet de la Marne se soit cru lié par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la cour nationale du droit d'asile rejetant la demande d'asile de M. E.... Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. M. E... fait valoir que, entré en France le 13 septembre 2019 sous couvert d'un visa de court séjour, il y entretient des liens stables et intenses avec son compagnon ainsi qu'avec son épouse, dont il est séparé, et avec leur fils C... né en 2017, qu'il s'implique au sein d'associations militantes pour la défense de la cause LGBT et qu'il est désormais dépourvu de toute attache familiale au Nigéria en raison du rejet dont il est l'objet du fait de son orientation sexuelle par les membres de sa famille résidant dans ce pays. Toutefois, par la seule production de photographies prises en quelques occasions en compagnie de son fils ou de son compagnon, le requérant ne démontre pas l'intensité et la stabilité des liens dont il se prévaut. Il ne ressort notamment pas des pièces du dossier que M. E... vivrait maritalement avec son compagnon, ainsi qu'il l'allègue, alors qu'ils sont hébergés dans des communes distinctes. Il ressort en revanche des pièces du dossier, notamment de l'arrêt en date du 10 février 2022 par laquelle la cour nationale du droit d'asile a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire à son épouse et à leurs enfants, que l'intéressé et son épouse, séparés de fait, sont parents d'un deuxième enfant, A..., né en octobre 2019 en France, dont l'intéressé ne fait jamais mention, ce qui contredit la prétendue intensité des liens qu'il entretiendrait avec les membres de sa famille présents en France. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Marne aurait entaché d'une erreur manifeste son appréciation des conséquences de cet arrêté sur la situation personnelle de l'intéressé.

12. Lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à un étranger, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français. Tel n'est pas le cas de la mise en œuvre de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel ne prescrit pas la délivrance d'un titre de plein droit mais laisse à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels dont l'intéressé se prévaut. M. E... ne saurait donc utilement se prévaloir de ces dispositions pour se prévaloir d'un droit au séjour faisant obstacle à son éloignement. Par ailleurs, et compte tenu de ce qui a été indiqué au point précédent, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il remplirait les conditions pour obtenir de plein droit un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. Le requérant ne peut utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, laquelle n'a ni pour objet ni pour effet de le contraindre à retourner dans son pays d'origine.

14. Il ressort des termes de l'arrêté contesté qu'à l'issue du délai de départ volontaire, M. E..., de nationalité nigériane, pourra être reconduit d'office à destination de son pays d'origine ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi ne précise pas le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

15. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants ".

16. M. E... soutient qu'il risque de subir des traitements prohibés par les stipulations précitées en cas de retour dans le pays dont il a la nationalité, le Nigéria, compte tenu des persécutions subies par les minorités sexuelles dans ce pays et de la révélation de son homosexualité au sein de sa communauté d'origine. D'une part, les différents rapports, dont celui de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et les articles de presse versés au dossier permettent d'établir que les personnes appartenant à des minorités sexuelles sont exposées à des risques de mauvais traitements au Nigéria, compte tenu notamment de la législation pénale réprimant les pratiques sexuelles entre personnes du même sexe et de l'impunité des auteurs de violences commises contre ces personnes. D'autre part, si la demande d'asile présentée par M. E... a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par une décision du 11 décembre 2019, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 4 septembre 2020, le requérant produit en appel l'arrêt de la cour nationale du droit d'asile du 10 février 2022 par lequel son épouse ainsi que ses deux fils se sont vus reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire, le juge de l'asile ayant estimé que le récit des agressions subies par son époux et par ricochet, par Mme E... et leur fils C..., du fait de l'homosexualité de M. E... était crédible, précis, circonstancié et empreint de vécu. L'ensemble des éléments relatés par Mme E... notamment ceux relatifs à la circonstance qu'elle avait été informée de l'orientation sexuelle de son compagnon aux débuts de leur relation, à l'arrestation de son époux en décembre 2018 et à sa détention jusqu'au 21 janvier 2019, à la diffusion malveillante au mois de mai 2019 de photographies démontrant sa relation avec un homme sur un groupe de diffusion what's app dédié à la vie de son quartier, à l'agression perpétrée par des extrémistes musulmans envoyés par le père de M. E... et dont ils ont été victimes le 12 juin 2019, à l'incendie de leur maison ainsi qu'à leur séparation de fait depuis le mois d'août 2019, correspond au récit qu'en avait fait M. E... lors de son entretien avec l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en décembre 2019. Dès lors, par cette pièce nouvelle en appel, le requérant justifie que son orientation sexuelle l'exposerait personnellement à des risques graves de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans le pays dont il a la nationalité, le Nigéria. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être accueilli, en tant que cette décision fixe le Nigéria comme pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juin 2021 en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de renvoi.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

18. Le présent arrêt, qui fait seulement droit aux conclusions présentées par M. E... à fin d'annulation de la décision fixant le Nigéria comme pays de renvoi, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au préfet de la Marne de lui délivrer une carte de séjour temporaire doivent être rejetées. Il appartiendra au requérant, s'il s'y croit fondé, de présenter une demande de réexamen de sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Par la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 13 juin 2022, M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gabon, conseil de M. E..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette avocate d'une somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2101637 du 24 septembre 2021 du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. E... tendant à l'annulation de la décision fixant le Nigéria comme pays à destination duquel il sera renvoyé.

Article 2 : L'article 3 de l'arrêté du préfet de la Marne en date du 10 juin 2021 est annulé en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de renvoi.

Article 3 : L'Etat versera à Me Gabon, avocate de M. E..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Gabon renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F... E..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Gabon.

Copie en sera adressée au préfet de la Marne.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,

- Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.

La rapporteure,

Signé : M. Bourguet-ChassagnonLa présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : M. D...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. D...

2

N° 22NC01974


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01974
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Mariannick BOURGUET-CHASSAGNON
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : GABON

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-07-04;22nc01974 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award