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29/06/2023 | FRANCE | N°21NC00990

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 29 juin 2023, 21NC00990


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à titre principal, d'annuler la décision du 17 mai 2019 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Grand Est lui a infligé une amende de 9 500 euros pour différents manquements aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail ou, à titre subsidiaire, de réformer, en lui substituant un avertissement, ou en tout état de cause en ré

duisant son montant, la décision d'amende administrative du 17 mai 2019.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à titre principal, d'annuler la décision du 17 mai 2019 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Grand Est lui a infligé une amende de 9 500 euros pour différents manquements aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail ou, à titre subsidiaire, de réformer, en lui substituant un avertissement, ou en tout état de cause en réduisant son montant, la décision d'amende administrative du 17 mai 2019.

Par un jugement n° 1901732 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 avril 2021 et un mémoire complémentaire enregistré le 21 février 2023, la société La Poste, représentée par Me Rossignol, demande à la cour :

1°) à titre principal d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 29 janvier 2021 et d'annuler la décision de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Grand Est du 17 mai 2019 ;

2°) à titre subsidiaire de substituer à la sanction initialement prise un avertissement ;

3°) à titre infiniment subsidiaire de réduire le quantum de l'amende prononcée.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement du 29 janvier 2021 est insuffisamment motivé ;

- les premiers juges n'ont pas répondu à l'ensemble des moyens soulevés en particulier le jugement n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la décision de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Grand Est méconnaît l'article D. 3171-1 du code du travail.

Sur la légalité de l'arrêté du 17 mai 2019 :

- la lettre de notification de la mise en œuvre de la procédure contradictoire du 20 mars 2019 et l'invitant à présenter des observations a été signée par une autorité incompétente ;

- la procédure contradictoire n'a été mise en œuvre qu'après que la décision de sanction ait été prise ;

- les faits sur lesquels se fondent l'administration sont prescrits ;

- la décision a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que le Parquet n'a pas été informé en temps utile des constats de l'administration et n'a pas été en mesure de poursuivre utilement la contravention pénale prévue à l'article R. 3173-2 du code du travail dès lors que la prescription de l'action publique était acquise lorsqu'il a été informé ;

- la décision a été prise au terme d'une procédure inéquitable faute pour l'administration d'avoir respecté le délai prévu par l'article L. 8113-7 du code du travail dans sa rédaction alors en vigueur ;

- la décision a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des articles R. 8115-1 et R. 8115-9 du code du travail faute de recueil du consentement des personnes entendues par l'agent de l'inspection du travail au cours des opérations de contrôle ;

- cette décision est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit dès lors que les articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail ne s'appliquaient pas aux facteurs de l'établissement des Ecrevolles ;

- le principe d'uniformité et d'indérogeabilité absolues de l'horaire collectif adopté par le tribunal ne repose sur aucune base légale ;

- l'administration ne peut pas postuler que l'activité de distribution est incompatible avec des horaires collectifs ;

- l'administration ne saurait imposer la mise en place d'horaires individualisés ;

- subsidiairement, le tribunal a méconnu les dispositions de l'article L. 81145-4 du code du travail.

Une mise en demeure a été adressée le 31 janvier 2023 au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Par une ordonnance du 31 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sibileau, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gay substituant Me Rossignol, représentant la société La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. Des contrôles ont été effectués par l'inspection du travail au sein de l'établissement de la société La Poste des Ecrevolles, à Troyes, les 23 février 2017, 3 mai 2017 et le 26 mai 2017. L'agent de contrôle a transmis à la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand-Est (" la directrice régionale ") un rapport daté du 16 janvier 2019 indiquant que les salariés affectés au site des Ecrevolles ne sont pas occupés selon un même horaire collectif et que leur durée de travail n'est pas décomptée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail et demandant la mise en œuvre d'une sanction administrative. Le 17 mai 2019, à l'issue de la procédure contradictoire prévue par l'article R. 8115-10 du code du travail, la directrice régionale a prononcé à l'encontre de la société La Poste (" La Poste ") une amende administrative d'un montant de 9 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail. La Poste a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler cette décision ou, à titre subsidiaire, de la réformer en substituant à l'amende un avertissement ou en réduisant son montant. Par un jugement n° 1901732 du 29 janvier 2021 dont La Poste interjette appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté le recours.

2. En premier lieu, d'une part, le premier alinéa de l'article L. 3171-1 du code du travail prévoit que : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos ". L'article D. 3171-1 du même code précise que : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions (...) relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires (...) ". L'article D. 3171-4 de ce code prévoit en outre qu'un double de cet horaire collectif est adressé, avant son application, à l'inspecteur du travail.

3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3171-2 du même code : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés (...) ". L'article D. 3171-8 précise que : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe (...) ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ".

4. Enfin, le premier alinéa de l'article L. 3171-3 du code du travail prévoit que : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail (...) les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. ". Le premier aliéna de l'article L. 3171-4 du même code dispose que : " En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. ". Les manquements aux dispositions relatives à la durée du travail, à la répartition et à l'aménagement des horaires sont pénalement réprimés selon les dispositions figurant aux articles R. 3124-1 à R. 3124-16 de ce code.

5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur doit être en mesure de fournir à l'inspection du travail, dont les agents de contrôle sont chargés, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 8112-1 du code du travail, de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail, de même qu'au juge en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents leur permettant de contrôler la durée du travail accomplie par chaque salarié. Lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, le cas échéant après conclusion d'un accord collectif, il doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail. Dans les autres cas, un décompte des heures accomplies par chaque salarié doit être établi quotidiennement et chaque semaine.

6. En second lieu, en vertu de l'article L. 8115-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application (...) ".

7. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par l'intéressé que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné. Par suite, les dispositions mentionnées au point précédent ne sauraient permettre à l'administration de sanctionner un employeur à raison d'un manquement à l'obligation, attachée à des horaires non collectifs, d'établir un décompte de la durée de travail de chaque salarié selon les modalités rappelées au point 3, s'agissant de salariés dont le travail est organisé selon un horaire collectif.

8. Il suit de ce qui précède que l'autorité administrative ne pouvait légalement infliger à La Poste, s'agissant de salariés employés soumis à un horaire collectif de travail, négocié par un accord collectif et dont il n'est pas soutenu qu'il n'ait pas été rendu opposable par voie de règlement affiché et adressé à l'inspection du travail, l'amende encourue en cas de manquement à l'obligation, mentionnée au point 3, de tenir des décomptes individuels de la durée du travail des travailleurs ne travaillant pas selon le même horaire collectif de travail.

9. Eu égard à ce qui vient d'être dit, c'est à bon droit que La Poste a soutenu qu'elle ne pouvait pas faire légalement l'objet de l'amende prévue par l'article L. 8115-1 du code du travail.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que La Poste est fondée à demander l'annulation du jugement du 29 janvier 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et de la décision du 17 mai 2019 par laquelle la directrice régionale lui a infligé une amende administrative de 9 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1901732 du 29 janvier 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.

Article 2 : La décision du 17 mai 2019 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand-Est est annulée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Poste et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée à la Direction régionale des entreprises de la concurrence et de la consommation de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- M. Sibileau, premier conseiller,

- Mme Barrois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 juin 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : E. Delors

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 21NC00990


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00990
Date de la décision : 29/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste SIBILEAU
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : DARTEVELLE et DUBEST

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-06-29;21nc00990 ?
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