Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 18 août 2020 et le 22 juin 2022, la société Wind Lorraine Mastacker, représentée par Me Gelas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 par lequel le préfet de la Moselle a rejeté sa demande d'autorisation environnementale portant sur un parc de six éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire des communes de Kappelkinger et de Val-de-Guéblange ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de reprendre l'instruction de sa demande d'autorisation environnementale dans un délai de trente jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté est entaché d'un vice d'incompétence négative ;
- il est insuffisamment motivé ;
- l'avis de la direction de la sécurité aéronautique de l'Etat (DSAE) est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 novembre 2021, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,
- les conclusions des Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Boudrot, représentant la société Wind Lorraine Mastacker.
Considérant ce qui suit :
1. Le 28 février 2020, la société Wind Lorraine Mastacker a déposé une demande d'autorisation environnementale assortie d'une étude d'impact pour un projet de parc éolien composé de six aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Kappelkinger et de Val-de-Guéblange dans le département de la Moselle. Par un arrêté du 18 juin 2020 dont la société Wind Lorraine Mastacker demande l'annulation, le préfet de la Moselle a rejeté sa demande d'autorisation environnementale.
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 181-32 du code de l'environnement : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : / (...) 2° Le ministre chargé de la défense (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne, est soumise à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. (...) ". Aux termes de l'article R. 181-34 du code de l'environnement : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / (...) 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable ; (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées que l'autorité administrative compétente pour délivrer une autorisation unique doit, lorsque l'installation envisagée est susceptible de constituer un obstacle à la navigation aérienne en raison de son emplacement et de sa hauteur, saisir le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense et que cette autorité est tenue, à défaut d'accord de l'un des ministres dont l'avis est ainsi requis, de refuser l'autorisation demandée.
4. Par suite, le préfet de la Moselle saisi de la demande de délivrance d'une autorisation environnementale en vue de la réalisation d'un projet de parc éolien composé de six aérogénérateurs d'une hauteur de 150 mètres et de deux postes de livraison, était tenu de la refuser au seul motif tiré de l'avis défavorable à ce projet émis par la ministre des armées le 27 avril 2020. Par conséquent, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Moselle se serait, à tort, cru en situation de compétence liée et aurait ainsi entaché sa décision d'incompétence négative. Il en résulte en outre que le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du préfet de la Moselle ne peut qu'être écarté comme inopérant.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'avis défavorable du ministre des armées fondé sur l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile que le projet se situe dans un espace permanent VOLTAC PHG N dédié à l'entrainement des équipages d'hélicoptères au vol à très basse altitude de jour comme de nuit à une hauteur inférieure à 150 mètres et en particulier au vol tactique à une hauteur inférieure à 50 mètres et que compte-tenu de la proximité du sol, de la gestion de l'anti-abordage avec les autres usagers aériens et des trajectoires imposées par le déroulement tactique de la mission, l'implantation de nouveaux aérogénérateurs dans ce secteur est de nature à induire une contrainte supplémentaire préjudiciable à la sécurité des vols et à la réalisation de ces missions.
6. Si, ainsi que le fait valoir la société requérante, ce secteur ne constitue pas une servitude aéronautique et ne fait pas obstacle, par lui-même, au développement des projets éoliens, ceux-ci ne peuvent toutefois y être autorisés que sous réserve d'être compatibles avec la sécurité des aéronefs et avec l'utilisation de cette zone par les aéronefs militaires.
7. D'une part, il est constant que le projet litigieux se situe à l'intérieur d'un secteur dénommé " Voltac PHG N ", qui constitue une zone d'entraînement privilégiée notamment utilisée par le 1er régiment d'hélicoptères de combat de Phalsbourg pour des exercices techniques et tactiques, parfois conjointement avec d'autres unités de l'aviation légère de l'armée de terre.
8. D'autre part, il résulte de l'instruction que, compte-tenu de la nécessaire marge de survol des obstacles que doivent respecter les pilotes et de la hauteur en bout de pales des éoliennes des projets, soit 150 mètres, un survol du parc en litige conduirait nécessairement à un dépassement du plafond du secteur VOLTAC et serait, par suite, de nature à interrompre la mission d'entraînement en cours et à créer un risque de collision avec les autres usagers de l'espace aérien, notamment civils, évoluant en principe au-dessus de 150 mètres, alors que les conditions d'utilisation de ce secteur visent justement à privilégier les entraînements en dessous de ce plafond pour limiter les risques de collision. Contrairement à ce que soutient la société requérante, les éoliennes ne pourraient pas non plus être aisément évitées par un contournement latéral, dès lors qu'il résulte également de l'instruction que, quand bien même la navigation doit se faire à vue dans le secteur VOLTAC, selon le principe " voir et éviter " entre pilotes d'aéronefs civils et militaires, les pilotes doivent respecter une marge d'évitement horizontale des obstacles, dont il n'est pas utilement contesté qu'elle est de 1 850 mètres pour les hélicoptères militaires circulant en patrouilles eu égard à leur vitesse maximale de déplacement et à la longueur des pales des éoliennes des projets. De plus, les projets litigieux s'implantent dans la continuité de plusieurs parcs éoliens, qui, en raison de l'impossibilité de survol pour ne pas excéder le plafond du secteur VOLTAC et du nécessaire respect des marges de sécurité horizontales des obstacles, forment, du fait de la proximité des aérogénérateurs des différents parcs, un mur éolien à l'ouest composé de deux lignes d'éoliennes sur l'axe nord-sud, qui ne peut être franchi en respectant les règles du secteur VOLTAC et les contraintes liées aux marges de sécurité. Par ailleurs, la carte accessible sur le site internet du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires mentionne que la localisation du projet se situe à proximité des parcs Hauteurs de l'Albe Ouest et Albe Est déjà existants au sein de cette zone VOLTAC. Ainsi, le parc litigieux aboutirait à créer un obstacle supplémentaire pour les hélicoptères militaires en mission d'entraînement qui, en dépit de leur faible emprise sur le secteur VOLTAC, créerait deux nouvelles lignes éoliennes à l'est sur un axe nord-sud dans un secteur déjà marqué par des contraintes de survol de plusieurs agglomérations difficilement exploitable pour réaliser les missions d'entraînement à basse altitude des hélicoptères militaires.
9. Si la requérante fait valoir qu'au vu de la réglementation de la circulation aérienne militaire, notamment du principe " voir et éviter ", les pilotes ont l'obligation d'éviter, verticalement ou horizontalement, tout obstacle qui se présenterait à eux, précisant que les parcs éoliens sont matérialisés sur les cartes aéronautiques, il résulte de l'instruction qu'eu égard à la hauteur des éoliennes en litige, de 150 mètres, pales comprises, et à la marge de franchissement d'obstacle de 50 mètres que doivent respecter les pilotes, un survol du parc en litige, entouré notamment des communes de Uberkinger, Wentzviller, Val-de-Guéblange, Steinbach, Morsbronn et Hilsprich, conduirait nécessairement à un dépassement du plafond du secteur Voltac et serait, par suite, de nature à interrompre la mission d'entraînement en cours et à créer un risque de collision avec les autres usagers de l'espace aérien, notamment ceux des bases d'ULM et des aérodromes situés aux alentours, qui évoluent au-dessus de 150 mètres, alors que les conditions d'utilisation de ce secteur consistent à privilégier les entraînements en dessous de ce plafond pour éviter d'entrer en concurrence avec les autres usagers et réduire, ainsi, les risques de collision. Du reste, aucun élément ne permet de considérer, alors que l'administration le conteste, que les autres activités aéronautiques de loisirs se dérouleraient également en dessous du plafond de 150 mètres, ni même qu'elles feraient déjà obstacle au déroulement des exercices militaires au sein du secteur d'implantation du projet en litige.
10. Par ailleurs, contrairement à ce que fait valoir la requérante, le balisage des éoliennes du parc en litige et leur dénombrement dans la documentation aéronautique ne suffisent pas à prévenir tous les risques de collision avec les hélicoptères militaires, en particulier lors des exercices tactiques. Même si le projet en litige ne représenterait que 0,013 % de la superficie du secteur Voltac et alors même que les équipages doivent parfaitement connaître les contraintes de la zone qu'ils vont survoler et faire application des règles de sécurité aérienne permettant d'éviter les obstacles, il n'en demeure pas moins, ainsi que le fait valoir l'administration, que son implantation en plein centre d'un sous-secteur, situé à proximité de la base de Phalsbourg, condamnera la possibilité d'y réaliser des missions tactiques et techniques en patrouille eu égard, notamment à la présence d'agglomérations, interdites de survol et des nombreux autres parcs existants.
11. Enfin, la circonstance que la direction générale de l'aviation civile a émis un avis favorable au projet en litige, n'est pas, par elle-même, de nature à établir l'illégalité de l'avis rendu par le ministre des armées au regard des activités relevant de sa compétence.
12. Dans ces conditions, alors même que le secteur VOLTAC PHG N ne serait pas utilisé de façon permanente pour l'entraînement d'hélicoptères militaires et qu'il existe également des zones réglementées interdites à la navigation civile pour permettre de s'entraîner au vol tactique, c'est sans erreur d'appréciation que le ministre des armées a émis un avis défavorable en application de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile au projet en litige en raison des contraintes qu'il induirait pour la sécurité des vols et la réalisation des missions lors des entraînements des hélicoptères.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Wind Lorraine Mastacker n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 18 juin 2020 par lequel le préfet de la Moselle a rejeté sa demande d'autorisation environnementale. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Wind Lorraine Mastacker est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Wind Lorraine Mastacker et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2023.
La rapporteure,
Signé : M. BarroisLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : V. Firmery
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
V. Firmery
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N° 20NC02393