Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... E..., son époux, M. F... E..., et ses deux enfants, M. C... E... et G... A... E... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre hospitalier régional de Metz-Thionville à réparer les préjudices qu'ils ont subis en raison des fautes commises dans la surveillance post-opératoire de Mme B... E... après l'intervention cardiaque qu'elle a subie le 30 avril 2014.
Par un jugement n° 1806318 du 24 août 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier régional de Metz-Thionville à verser à Mme B... E... la somme 2 000 euros, à M. F... E... la somme de 750 euros et à M. C... E... et Mme A... E... la somme de 200 euros chacun.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2020, et un mémoire, enregistré le 3 février 2023, Mme B... E..., M. F... E..., M. C... E... et Mme A... E..., représentés par la SELARL Courbis, Courtois et Associés, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 août 2020 ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional de Metz-Thionville à verser :
- à Mme B... E... la somme totale de 287 349,78 euros, assortie des intérêts à compter de l'arrêt à intervenir ;
- à M. F... E... la somme totale de 25 000 euros, assortie des intérêts à compter de l'arrêt à intervenir ;
- à M. C... E... la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts à compter de l'arrêt à intervenir ;
- à Mme A... E... la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- des fautes ont été commises dans la prise en charge de la patiente ; la première échographie a été réalisée plus de douze jours après l'ablation des drains de Redon ; la surveillance cardiologique postopératoire, qui impose normalement la réalisation d'échographies systémiques, n'a pas été conforme aux règles de l'art ; l'absence de transmissions médicales du service de la chirurgie cardiaque ainsi que l'absence de biologie hépatique pour la période du 1er au 12 mai 2014, période au cours de laquelle il existait un tableau de foie cardiaque, constituent également des fautes dans la surveillance et la prise en charge de la patiente ; les deux échographies cardiaques réalisées à 22 heures, le 12 mai, ont mis en évidence un hémopéricarde avec des caillots de sang jusque dans l'aorte, un hématome de la taille d'une mandarine sur la valve tricuspide bouchant le cœur droit, ce qui entraînait une hépatomégalie avec cytolyse hépatique, une dilatation de la veine cave et une hypertension portale, associée à un épanchement pleural bilatéral ; si cet hémopéricarde était visible sur ces deux échographies, il l'était nécessairement également sur les images de la première et n'a pas été vu ;
- le retard diagnostic a entraîné une perte de chance expliquant une souffrance hépatique en rapport avec " un foie cardiaque aigu " sur tamponnade, des souffrances physiques et psychiques ; cette perte de chance a été totale ; la tamponnade dont a été victime Mme E... a nécessité une reprise en urgence avec la réalisation d'une seconde sternotomie expliquant les souffrances actuelles de l'intéressée ; il existe un lien de causalité direct et certain entre la seconde intervention réalisée en urgence et les préjudices en cause ;
- Mme E... est fondée à solliciter une somme de 5 372 euros au titre des frais d'assistance par tierce personne et une somme de 27 085 euros au titre de la perte des gains professionnels actuels ; elle est également fondée à solliciter, s'agissant des préjudices patrimoniaux permanents, une somme de 73 790, 78 euros au titre des frais d'assistance par tierce personne, la somme de 16 602 euros, au titre des pertes de revenu et la somme de 80 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ; s'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires, elle est fondée à solliciter une somme de 7 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, une somme de 12 000 euros au titre des souffrances endurées et une somme de 1 500 euros au titre de son préjudice esthétique temporaire ; enfin, s'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents, elle est fondée à solliciter une somme de 42 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent, une somme de 2 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, une somme de 10 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, et une somme de 10 000 euros au titre de son préjudice sexuel ;
- M. F... E... est fondé à solliciter une somme de 15 000 euros au titre de son préjudice d'affection et une somme de 10 000 euros au titre de son préjudice sexuel ;
- M. C... E... et Mme A... E... sont fondés à solliciter la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice d'affection.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2021, le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les requérants sont uniquement fondés à solliciter une indemnisation au titre des préjudices en lien avec la faute commise ;
- la survenue des épanchements péricardiques en post opératoire n'est pas imputable à une faute dans la prise en charge de la patiente mais constitue un aléa thérapeutique ;
- le montant des indemnités allouées par les premiers juges n'est pas insuffisant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... E... qui souffrait d'une insuffisance mitrale depuis l'âge de 16 ans, a subi une intervention chirurgicale consistant en un remplacement de la valve mitrale, le 30 avril 2014, au centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville. Le 2 mai, les drains de Redon ont été enlevés. Elle a été admise, le 12 mai à 22 heures, en urgence, dans le service de réanimation où deux échographies cardiaques réalisées ont révélé l'existence d'une tamponnade péricardique. Elle a subi une intervention pour cet épanchement péricardique, permettant le drainage des caillots de sang. Estimant que cette prise en charge n'avait pas été conforme aux règles de l'art, elle a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) de Lorraine, laquelle a ordonné deux expertises et a conclu, par un avis du 24 janvier 2017, à son incompétence au motif que les dommages allégués ne présentaient le caractère de gravité prévu au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Mme E..., son époux et ses deux enfants ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg, afin que ce dernier condamne le CHR de Metz-Thionville à réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de fautes commises dans la prise en charge de la patiente. Par un jugement du 24 août 2020, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier à verser à Mme E... la somme 2 000 euros, à M. F... E... la somme de 750 euros et à M. C... E... et Mme A... E... la somme de 200 euros chacun, en réparation des préjudices subis par les intéressés du fait de fautes commises dans la surveillance de la patiente. Les consorts E..., qui estiment que les indemnisations sont insuffisantes, relèvent appel de ce jugement.
Sur la responsabilité du CHR de Metz-Thionville :
2. Dans le cadre de l'instruction de la demande de Mme E..., la CCI a ordonné une première mesure d'expertise, réalisée par un spécialiste en chirurgie cardio-vasculaire et thoracique, qui a rendu son rapport le 2 juillet 2015. Ne s'estimant pas suffisant informée, la CCI a ordonné une nouvelle expertise, confiée à un cardiologue et un gastro-entérologue. Le rapport d'expertise a été déposé le 19 octobre 2016.
3. Ainsi que l'ont jugé les premiers juges, il résulte de l'instruction et particulièrement de la seconde expertise que la prise en charge de la patiente postérieurement au 30 avril 2014 n'a pas été conforme aux règles de l'art, alors notamment qu'aucune échographie cardiaque de surveillance n'a été réalisée avant le 12 mai 2014. En revanche, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne résulte pas de l'instruction qu'en ne décelant pas l'hémopéricarde lors d'une première échographie réalisée le 12 mai au matin, le personnel du centre hospitalier aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.
Sur les préjudices :
4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de la seconde expertise qu'en raison de la faute commise, la tamponnade qu'a présentée Mme E... à la suite de la première intervention et qui constitue, selon les experts, un aléa de ce type d'opération, a été diagnostiquée avec retard. Ce retard de diagnostic a favorisé le développement d'un " foie cardiaque ". En revanche, la seconde intervention, nécessaire pour résorber l'épanchement péricardique, aurait dû être réalisée même en l'absence de faute. Dans ces conditions, si Mme E... se plaint de douleurs invalidantes à l'épaule, ces douleurs, qui seraient, selon les experts, en lien avec un ou deux fils d'acier placés au cours de la seconde intervention, réalisée le 22 mai, ne peuvent pas être regardées comme étant imputables à la faute commise. Il n'est pas établi à cet égard que la présence du ou des fils de fer aurait pu être évitée si l'opération avait été réalisée plus tôt, sans indication d'urgence.
5. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que Mme E... aurait conservé des séquelles à la suite de l'épisode de " foie cardiaque " qu'elle a connu. Les experts relèvent à cet égard que la stéatose hépatique développée par la patiente est un épiphénomène et qu'elle est sans lien avec la faute commise.
6. Les requérants ne sont ainsi fondés à obtenir que l'indemnisation des préjudices en lien direct avec le retard de diagnostic retenu. Il résulte des conclusions des experts que Mme E... est, en l'espèce, uniquement fondée à solliciter à ce titre l'indemnisation des souffrances physiques et morales subies du fait de la faute commise. Il ne résulte pas de l'instruction, en l'absence de séquelles conservée du fait du " foie cardiaque ", que l'intéressée aurait subi d'autres préjudices en lien avec cette faute.
7. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient fait une évaluation insuffisante des préjudices des requérants en allouant à Mme E... la somme de 2 000 euros au titre de ses souffrances physiques et psychiques, à M. F... E... la somme de 750 euros au titre de son préjudice d'affection et d'accompagnement et à M. C... E... et Mme A... E..., la somme de 200 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection et d'accompagnement.
Sur les intérêts :
8. Les premiers juges ont assorti les sommes dues par le centre hospitalier des intérêts au taux légal à compter de la date de notification du jugement. Par suite et en tout état de cause, les conclusions des requérants tendant à ce que les sommes en cause portent intérêts au taux légal à compter de date de notification du présent arrêt ne peuvent qu'être rejetées.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus de leurs conclusions indemnitaires. Leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête des consorts E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., représentante unique en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, au centre hospitalier régional de Metz-Thionville et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Haudier, présidente assesseure,
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.
La rapporteure,
Signé : G. D...Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
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N° 20NC03056