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10/05/2023 | FRANCE | N°20NC03694

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 10 mai 2023, 20NC03694


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Lorraine de Travaux Publics a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner in solidum le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et la société Egis Eau à lui verser la somme de 596 364,91 euros hors taxe, majorée des intérêts de droit à compter du 22 juin 2016, eux-mêmes capitalisés à chaque échéance annuelle et de condamner in solidum le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et la société Egis Eau à lui restituer les pénalités de retard appliquées, p

our un montant de 50 270,74 euros.

Par un jugement n° 1801607 du 20 octobre 2020,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Lorraine de Travaux Publics a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner in solidum le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et la société Egis Eau à lui verser la somme de 596 364,91 euros hors taxe, majorée des intérêts de droit à compter du 22 juin 2016, eux-mêmes capitalisés à chaque échéance annuelle et de condamner in solidum le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et la société Egis Eau à lui restituer les pénalités de retard appliquées, pour un montant de 50 270,74 euros.

Par un jugement n° 1801607 du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande de la requérante.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 décembre 2020, 1er décembre 2022, 22 décembre 2022 et 13 janvier 2023, la société Lorraine de Travaux Publics, représentée par Me Moitry, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 octobre 2020 ;

2°) de condamner in solidum le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et la société Egis Eau à lui verser la somme de 596 364,91 euros hors taxe, majorée des intérêts de droit à compter du 22 juin 2016, eux-mêmes capitalisés à chaque échéance annuelle ;

3°) de condamner in solidum le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et la société Egis Eau à lui restituer les pénalités de retard appliquées, pour un montant de 50 270,74 euros ;

4°) en tant que de besoin, avant dire droit, de désigner un expert avec pour mission de se prononcer sur le bien-fondé de ses prétentions ;

5°) de prescrire le cas échéant toutes mesures en application des dispositions de l'article R. 621-1 du code de justice administrative ;

6°) de rejeter la demande du syndicat intercommunal d'assainissement du chalet présenté à titre reconventionnel et tendant à constater que le solde du marché s'élève à la somme de 50 270,74 euros en sa faveur ;

7°) de condamner solidairement le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et la société Egis Eau au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

en ce qui concerne sa demande de paiement des travaux supplémentaires :

- elle doit être indemnisée à raison des quantités supplémentaires qu'elle a dû mettre en œuvre à hauteur 192 176,31 euros hors taxe et correspondants notamment à des terrassements, du blindage, des remblais, des canalisations et des réfections de surfaces associées aux surprofondeurs liées à la pose d'une canalisation supplémentaire destinée à gérer les arrivées d'eaux souterraines :

. compte tenu de l'afflux d'eau en provenance de la nappe, elle a été contrainte à des modifications techniques de son offre de base afin de réaliser sa mission dans les règles de l'art ;

. ces travaux étaient un moyen, en accord avec le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage, de minimiser les débits d'eau totalement disproportionnés ;

. l'avenant n° 1, notifié le 27 mai 2013, n'a pas eu pour effet de purger toute réclamation ultérieure mais avait juste pour objet d'acter un changement de méthodologie face aux circonstances techniques imprévues ;

. la validation de la société Egis Eau des travaux réalisés doit être regardée comme valant ordre de service ; en tout état de cause, et quand bien même elle n'aurait pas eu un ordre écrit ou verbal du maître d'ouvrage, elle a droit à être indemnisée des travaux supplémentaires qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ;

en ce qui concerne la mise en œuvre de pompage supplémentaire :

- la société Egis Eau et le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet (SIAC) ont commis des fautes de nature à engager leur responsabilité contractuelle et quasi-délictuelle en minimisant les besoins de pompage ;

- elle a été contrainte de pomper des volumes d'eau bien supérieurs à ceux qui pouvaient être prévus au regard de l'étude géotechnique Fondasol annexée au contrat, laquelle était trop vague et inadaptée à la réalisation effective du projet ;

- le SIAC et la société Egis Eau ont commis une erreur dans la définition des besoins en donnant des informations incomplètes ou erronées ;

- ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat ;

- les frais de pompage supplémentaires peuvent être évalués à la somme de 279 013,60 euros hors taxe ;

en ce qui concerne le croisement de réseaux non mentionnés sur les plans du dossier de consultation des entreprise (DCE) :

- le SIAC et la société Egis Eau ont commis des fautes en établissant les plans de réseaux annexés au DCE car un nombre important de réseaux n'était pas mentionné ;

- elle est fondée à solliciter le versement de la somme de 7 150 euros hors taxe au titre des frais générés par les croisements de réseaux non mentionnés sur les plans DCE ;

- cette demande a d'ailleurs été validée par le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges relatifs aux marché public de Nancy dans son avis du 27 novembre 2017 ;

en ce qui concerne la modification du phasage et de l'augmentation des frais généraux :

- elle a dû supporter des surcoûts humains et matériels du fait des retards dans l'exécution du marché ;

- elle est fondée à solliciter le versement de la somme de 118 000 euros hors taxe au titre des conséquences liées à la modification du phasage ;

en ce qui concerne les pénalités de retard :

- les pénalités de retard ne sont exigibles que s'il est démontré un retard lié à une faute de l'entreprise, or elle n'a commis aucune faute justifiant l'application des pénalités ;

- le montant total des pénalités de retard ne peut être au plus que de 23 284,02 euros ;

- le décompte ne tient pas compte des arrêts prescrits par ordres de service ni du contexte dans lequel est intervenue la signature de l'avenant n° 1 ; l'intention de l'avenant était de fixer un point d'arrêt au 14 août 2012 et non d'imputer des retards sur la période dépassant le 14 août 2012 ;

- s'agissant de la première phase du marché, il convient de retrancher 67 jours des 119 jours de retard comptabilisés ; le délai d'exécution s'établit donc à 206 jours calendaires, soit 154 jours de délai contractuel et 52 jours de retard ;

- s'agissant de la seconde phase du marché, le délai d'exécution n'a pu commencer que le 27 mai 2013, date de notification de l'avenant, pour se terminer contractuellement le 18 août 2013 ; il convient de retrancher 18 jours des 117 jours de retard comptabilisés ; le délai d'exécution s'établit donc à 102 jours calendaires, soit 84 jours de délai contractuel et 18 jours de retard ;

en ce qui concerne le solde du marché ;

- alors que le tribunal administratif a fixé le montant du marché à 997 886,67 euros, elle n'a reçu à ce jour que la somme de 954 333,82 euros au titre du solde du marché.

Par des mémoires enregistrés le 31 mai 2021 et le 23 décembre 2022, le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet, représenté par Me Tadic, conclut :

1°) à titre principal, au rejet des conclusions de la requête ;

2°) à ce que le solde du marché s'élève à la somme de 50 270,74 euros en sa faveur et à la condamnation en conséquence de la société Lorraine de Travaux Publics à lui payer la somme de 50 270,74 euros au titre des pénalités de retard, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2016, avec capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière ;

3°) à la condamnation de la société Lorraine de Travaux Publics à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- les moyens ne sont pas fondés ;

- la requérante ne peut prétendre au paiement d'une plus-value pour la mise en œuvre d'un pompage plus important : elle a mal analysé le dossier de la consultation, ce qui l'a conduite à minorer l'importance du pompage ;

- les demandes formulées par la société requérante au titre des quantités supplémentaires ne sont pas sérieuses ;

- la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de la théorie des sujétions imprévues dès lors que son information initiale était suffisante ;

- elle n'est également pas fondée à se prévaloir de la théorie de l'enrichissement sans cause, tandis que les travaux supplémentaires ont fait l'objet d'un avenant n° 1 ;

- l'indemnité demandée au titre de la modification de phasage des travaux ne saurait donner lieu à indemnisation : les retards dans l'exécution du marché ne sont pas imputables au maître d'ouvrage mais à l'entrepreneur ;

- l'indemnité sollicitée au titre des croisements de réseaux n'est pas justifiée ;

- c'est à bon droit que les pénalités de retard ont été retenues à hauteur de 151 jours dans le calcul du décompte général ; les retards sont imputables à une faute de l'entrepreneur qui a abandonné le chantier ; le jugement doit être réformé dans cette mesure ;

- la somme de 997 886,67 euros a d'ores et déjà été réglé à l'appelante contrairement à ce qu'elle soutient dans ses dernières écritures.

Par des mémoires enregistrés le 1er décembre 2022 et 23 décembre 2022, la société Egis Eau, représentée par Me Hofmann conclut :

1°) à titre principal, au rejet des conclusions de la requête d'appel et à titre subsidiaire au rejet des demandes avant dire droit de l'appelante ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en tant que celui-ci ne lui a pas accordé en première instance la somme de 4 000 euros sollicitée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à la condamnation de la société Lorraine de Travaux Publics à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la société n'est pas fondée à se prévaloir de la notion de bouleversement économique du contrat dans ses écritures du 22 décembre 2022 ; ce " moyen " est irrecevable car il n'a pas été soulevé en première instance, ni dans le délai de recevabilité de l'appel ; à titre subsidiaire, il n'est pas fondé ;

- les demandes formulées par la requérante au titre des quantités mises en œuvre ne sont pas justifiées ; en acceptant l'avenant n° 1, l'entreprise a accepté les nouvelles quantités induites par la modification du marché ; le fait d'avoir validé la réalisation d'une conduite supplémentaire ne saurait être considéré comme un ordre de service de sa part ; ces travaux ont permis de pallier les propres carences de la société Lorraine de Travaux Publics (SLDTP) ;

- la société requérante n'est pas fondée à être indemnisée des frais de pompage supplémentaires : les informations contenues dans les pièces du marché n'étaient nullement incomplètes ou erronées ;

- la société requérante n'est pas fondée à solliciter son indemnisation au titre des frais générés par les croisements de réseaux non mentionnés sur les plans DCE dès lors qu'elle savait que les plans fournis des réseaux pouvaient être incomplets et qu'il lui appartenait de faire des sondages pour réaliser un plan de récolement fiable ;

- les coûts liés à la modification du phasage des travaux ne sont pas justifiés ; de plus, la SLDTP a abandonné le chantier du 4 décembre 2012 au 13 mai 2013 ;

- c'est de manière tout à fait justifiée que ces pénalités de retard ont été retenues à hauteur de 151 jours dans le calcul du décompte général ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à fonder sa condamnation in solidum avec le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet à payer à la requérante les sommes dues au titre du solde du marché.

Par une ordonnance du 23 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 16 janvier 2023 à 12h00.

Les parties ont été informées, le 10 mars 2023, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions du syndicat intercommunal d'assainissement du chalet tendant à la condamnation de la Société Lorraine de Travaux Publics à lui verser la somme de 50 270,74 euros, assortis des intérêts aux taux légal qui seront capitalisés, lesquelles sont nouvelles en appel.

Le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet a produit le 13 mars 2023 des observations à ce moyen d'ordre public qui ont été communiquées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, rapporteure,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

- et les observations de Me Moitry, représentant la société Lorraine de Travaux Publics, Me Goudemez, représentant le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et Me Hofmann représentant la société Egis Eau.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement signé le 27 octobre 2011, le syndicat intercommunal d'assainissement du chalet (SIAC) a confié à la société Lorraine de Travaux Public (SLDTP) la réalisation du lot n° 2 du marché de " réhabilitation et restructuration des réseaux d'assainissement communaux - opération tranche 2011 - commune de Roville-devant-Bayon ", la maîtrise d'œuvre de ce marché était assurée par la société Egis Eau. Par un avenant n° 1 signé le 7 mai 2013, et notifié le 27 mai 2013, le prix du marché a été porté à la somme de 1 207 405,89 euros toutes taxes comprises (TTC), les délais d'exécution des phases 1 et 2 du lot n° 2, prolongés de douze semaines, ont été portés à trente-quatre semaines. La réception du marché a été prononcée avec réserves le 13 décembre 2013 avec effet au 5 septembre 2013. Les réserves ont été levées le 23 novembre 2015. Le 6 avril 2016, la SLDTP a transmis au maître d'œuvre son projet de décompte final. Le 17 mai 2016, le SIAC a notifié à la SLDTP le décompte général du marché. Le 22 juin 2016, la SLDTP a transmis au SIAC un mémoire en réclamation, qui a été rejeté le 5 août 2016. Le 25 janvier 2017, la SLDTP a saisi le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics, qui a rendu son avis le 27 novembre 2017. En l'absence de décision expresse du pouvoir adjudicateur à la suite de la notification de cet avis, la SLDTP a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner in solidum le SIAC et la société Egis Eau à lui verser la somme de 596 364,91 euros hors taxes (HT) et à lui restituer la somme de 50 270,74 euros au titre des pénalités de retard retenues à son encontre. Par un jugement du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de Nancy, après avoir arrêté le solde du marché à un montant de 45 570,16 euros en faveur du SIAC, a rejeté la demande de la requérante. La SLDTP relève appel de ce jugement et le SIAC demande, par la voie de l'appel incident, la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 50 270,74 euros au titre du solde du marché.

Sur les conclusions tendant au paiement du solde du marché du marché :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage :

2. Si la SLDTP demande à être indemnisée par le maître d'ouvrage du coût des prestations réalisées pour l'exhaure des eaux de la nappe phréatique sur le fondement de la responsabilité contractuelle sans faute au titre des sujétions imprévues, lesquelles ont eu pour effet selon elle de bouleverser l'économie du contrat. Ces conclusions sont cependant, comme l'oppose la société Egis Eau, nouvelles en appel et par suite, irrecevables.

En ce qui concerne le paiement des travaux supplémentaires nécessités par l'afflux d'eau en provenance de la nappe phréatique :

3. Aux termes de l'article 2.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) : " Les modalités de variation des prix sont fixées au CCAP. L'évaluation de l'ensemble des travaux telle qu'elle résulte du devis quantitatif et estimatif donne pour la présente offre : (...) Les prix du marché sont hors TVA et sont établis en considérant comme normalement prévisibles les intempéries et autres phénomènes naturels. / Les prix définis au devis comporteront toutes les sujétions et travaux indiqués au bordereau des prix unitaires (...) ". Aux termes de l'article 2.07 du bordereau des prix unitaires (BPU) : " Rabattement de nappe - le mètre linéaire : Cet article rémunère l'entreprise pour la mise en place de matériel spécial de rabattement de nappe quel que soit le débit soit par aiguilles filtrantes ou puits filtrants, comprenant : (...) location et mise en place de pompes et aiguilles filtrantes (...) / réalisation de puits de rabattement avec matériel complet de pompage (...) ".

4. Il résulte de ces stipulations que la rémunération de la SLDTP pour tous les travaux relatifs au rabattement de la nappe était fixée au point 2.07 du BPU, au mètre linéaire, et ce, quel que soit le débit.

5. La SLDTP, qui a rencontré un important afflux d'eau en provenance de la nappe phréatique, sollicite une indemnisation d'une part, pour la mise en œuvre de pompages supplémentaires à un montant qu'elle évalue à 279 013,60 euros HT sur la base de prix nouveaux et d'autre part, pour des travaux, qu'elle qualifie de supplémentaires, qui correspondent notamment à la rémunération de terrassements, du blindage, des remblais, des canalisations et des réfections de surfaces associées aux surprofondeurs liés à la pose d'une canalisation d'exhaure supplémentaire destinée à gérer les arrivées d'eaux souterraines qu'elle évalue à un montant de 192 176,31 euros HT sur la base d'autres postes du BPU que le 2.07.

6. Toutefois, dès lors qu'il est constant que tant les frais de pompage que les autres travaux ont été réalisés dans le seul but de rabattre la nappe, le maître d'ouvrage a pu les rémunérer sur la base du prix fixé au point 2.07. La circonstance que la société ait été surprise de l'afflux d'eau et a dû recourir à d'autres techniques que celles prévues par le BPU est sur l'application de l'article 2.07 sans incidence dès lors qu'il prévoit une rémunération intégrant l'aléa, quel que soit le débit, sans que cette clause puisse être qualifiée de léonine ou abusive. La société requérante ne peut donc réclamer une rémunération supplémentaire à ce titre.

En ce qui concerne les croisements non mentionnés dans le plan DCE :

7. Il résulte des stipulations du marché, et notamment de l'article 1.02 du BPU, que le titulaire du marché avait en charge la réalisation de sondages de reconnaissance en vue de la réalisation des travaux, ayant pour objet de repérer et de confirmer la présence de réseaux existants et qu'il était rémunéré pour les prestations de réalisation des plans de recollement.

8. En se bornant à produire un tableau récapitulatif des croisements, la société requérante, à qui il incombait bien de compléter les indications de la maîtrise d'œuvre quant à la présence de réseaux, n'établit pas que sa rémunération à ce titre aurait été insuffisante ou qu'elle n'aurait pas été rémunéré, pour des terrassements liés au 41 croisements non mentionnés sur le plan DCE.

En ce qui concerne la faute du maître d'ouvrage :

9. Il résulte de l'instruction qu'une étude géotechnique était jointe au dossier de la consultation. Cette étude mettait en évidence une perméabilité des sols comprise entre 4.10-5 et 2.10-3 m/s. Elle précisait que le niveau de la nappe pouvait fluctuer de manière significative selon les conditions météorologiques et les saisons et que " l'intervention ponctuelle du géotechnicien ne permet pas de fournir des informations hydrogéologiques suffisantes dans la mesure où le niveau d'eau mentionné dans le rapport d'étude correspond nécessairement à celui relevé à un moment donné, sans possibilité d'apprécier la variation inéluctable des nappes ". Cette étude insistait donc sur la variabilité importante de la perméabilité et indiquait que les valeurs de perméabilité calculées étaient des ordres de grandeur et non des valeurs absolues.

10. La SLDTP fait valoir qu'elle a dû pomper davantage d'eau et réaliser une canalisation d'exhaure en raison de la sous-estimation des volumes par l'étude géotechnique annexée au marché litigieux, laquelle estimait les volumes d'eau à pomper à 260 m3 par heure alors que l'expertise réalisée le 24 avril 2013 a évalué ces volumes à 1 200 m3 par heure, soit un volume 8,7 fois supérieur au débit moyen prévisible avec les éléments produits dans l'étude de sol. Toutefois, la sous-estimation n'est pas établie par les seules difficultés auxquelles a été confrontée la société alors que l'étude précisait au contraire que la nappe pouvait fluctuer de manière significative selon les conditions météorologiques et les saisons.

11. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que le maître d'ouvrage aurait commis une faute en sous-évaluant les quantités d'eau dans la nappe.

En ce qui concerne les pénalités de retard :

12. D'une part, aux termes de l'article 20.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable au marché de travaux en cause : " En cas de retard dans l'exécution des travaux, (...), il est appliqué, sauf stipulation différente du CCAP, une pénalité journalière de 1/3000ème du montant de l'ensemble du marché ou de la tranche considérée. (...) Les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'œuvre ".

13. D'autre part, aux termes de l'article 6.5 du CCAP : " A défaut par l'entrepreneur d'avoir terminé les travaux du présent marché dans le délai fixé à l'acte d'engagement, l'entrepreneur subira, en application de l'article 20 du C.C.A.G., des pénalités de retard dont le taux sera égal à 1/3000ème du montant H.T. du marché par jour calendaire de retard. / Les pénalités de retard s'appliqueront sur les délais des différents lots. Dans ce dernier cas, le montant des pénalités est calculé par rapport au montant H.T. du lot concerné. / Par montant de marché, il faut comprendre montant total des travaux effectivement réalisés tel qu'il ressort du décompte final en fin de chantier ". Aux termes de l'article 6.1 du CCAP : " Les délais d'exécution sont fixés dans l'acte d'engagement ". Aux termes de l'article III de l'acte d'engagement : " Dans le cadre de sa proposition, l'entrepreneur soussigné s'engage à exécuter les travaux du présent marché dans un délai de : / tranche ferme : 22 semaines compris délai de préparation suivant note justificative du délai ". Aux termes de l'article D.2 de l'avenant n°1 : " Le délai d'exécution du marché initial est de 22 semaines pour la tranche ferme et d'une semaine pour la tranche conditionnelle. Le délai d'exécution au titre du présent avenant est prolongé de 12 semaines pour la tranche ferme, ce qui porte le délai global d'exécution des travaux de la tranche ferme à 34 semaines. / Ce délai d'exécution global de la tranche ferme est décomposé comme suit : / Première phase de travaux à partir du 15 décembre 2011 pour une durée de 22 semaines / Fin du délai contractuel de la première phase des travaux : 14 août 2012 (suivants OS n°1 à 4) / Deuxième phase des travaux à partir du 13 mai 2013 pour une durée de 12 semaines / Fin du délai contractuel de la deuxième phase des travaux : 4 août 2013 ".

S'agissant du principe des pénalités :

14. Les pénalités de retard sanctionnent le non-respect des délais d'exécution du marché, indépendamment de toute faute. Il ne résulte par ailleurs d'aucune stipulation du CCAP du marché en litige que l'application des pénalités de retard était conditionnée à la faute de l'entrepreneur. Par suite, la SLDTP ne peut utilement soutenir qu'elle n'a commis aucune faute pour contester les pénalités de retard mises à sa charge par le maître d'ouvrage.

S'agissant du quantum des jours de retard afférent à la première phase des travaux :

15. Le SIAC a retenu, au titre de la phase 1, 119 jours de retard, du 14 août 2012 au 11 décembre 2012, date à laquelle les parties ont convenu de la suspension des travaux jusqu'à la conclusion d'un avenant.

16. Il résulte de l'instruction que l'ordre de démarrage des travaux a été fixé par ordre de service n° 1 au 15 décembre 2011. Par ordre de service n° 2, les travaux ont été arrêtés le 19 décembre 2011 et ont repris, en vertu de l'ordre de service n° 3 du 28 février 2012, le 2 mars 2012. Par ordre de service n° 4, les travaux ont été suspendus pour les congés d'été du 28 juillet au 12 août 2012, puis à compter du 11 décembre 2012 qui clos la première phase.

17. D'une part, si la société soutient qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte les 4 premiers jours entre les ordres de service n° 1 et 2, aux motifs que ces jours ont été prévus uniquement pour que le SIAC ne perde pas le bénéfice de subventions et que sur cette période de l'année, aucun démarrage de chantier ne pouvait raisonnablement intervenir, ces éléments, au demeurant non établis, ne permettent d'écarter l'application des stipulations du marché précitées.

18. D'autre part, si la société soutient que l'ordre de service n° 3 aurait dû faire démarrer les travaux mi-avril 2012 conformément au compte rendu du 31 janvier 2012 et non le 2 mars 2012, il résulte de ce compte rendu que la période de préparation était prévue à compter du 15 février 2012 et que la société avait déjà démarré ses prestations.

19. Enfin, il résulte de l'instruction que la SLDTP a interrompu les travaux sur sa seule initiative. Ce n'est qu'à la suite d'un accord entre les parties qu'une suspension de l'exécution du marché a été décidée le 11 décembre 2012. Dans ces conditions, la SLDTP ne peut utilement prétendre à une date de suspension antérieure alors même qu'elle l'avait suggérée à la société Egis Eau par courrier du 12 novembre 2012.

20. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction qu'un retard de 119 jours retenu au titre de la première phase soit erroné.

S'agissant du quantum des jours de retard afférent à la seconde phase des travaux :

21. Il résulte de l'instruction et plus particulièrement du compte rendu de réunion du 11 décembre 2012 ainsi que de celui du 30 avril 2013 qu'un redémarrage des travaux interviendrait dès la conclusion d'un avenant. Celui-ci a été signé par les parties le 24 mai 2013 et notifié à la société requérante le 27 mai 2013. Il prévoit une durée de 12 semaines pour la période allant du 13 mai 2013 au 4 août 2013. L'article D4 de cet avenant stipule également que : " La notification du présent avenant vaudra ordre de mission ".

22. Si effectivement cet avenant prévoit expressément un démarrage effectif de la seconde phase de travaux le 13 mai 2013, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux relatifs à cette phase auraient démarré dès cette date et non, comme l'a retenu le tribunal, le 27 mai 2013, date de la notification de l'avenant valant ordre de mission. Dans ces circonstances particulières, le SIAC n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les pénalités au titre de la seconde phase des travaux ont été ramenées par les premiers juges de 32 à 18 jours, soit à la somme de 45 570,16 euros.

En ce qui concerne le solde du marché :

23. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise, que la SLDTP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes de paiement complémentaires au titre du marché en litige et que le SIAC n'est pas fondé à demander que le montant des pénalités au titre de la seconde phase soit porté à la somme de 50 270,74 euros au lieu des 45 570,16 euros retenus par les premiers juges.

24. Dès lors qu'il résulte de l'instruction et en particulier du décompte général du 12 mai 2016 visant le certificat de paiement n° 13 du 4 mai 2016 que la SLDTP, contrairement à ce qu'elle soutient, a perçu un règlement d'une somme de 997 886,67euros HT ce qui équivaut au montant du marché, le solde restant dû s'élève au montant des pénalités dues par la SLDTP, soit 45 570,16 euros au bénéfice du SIAC.

25. Ce dernier n'est en revanche pas recevable à demander la condamnation de la SLDTP à lui verser cette somme assortis des intérêts aux taux légal et leur capitalisation, dès lors que ces conclusions sont nouvelles en appel.

Sur les conclusions tendant à la condamnation du maître d'œuvre :

26. Dans le cadre d'un contentieux tendant au règlement d'un marché relatif à des travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher, outre la responsabilité contractuelle du maître d'ouvrage, la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat de droit privé.

27. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 que la sous-estimation des quantités d'eau dans la nappe n'est pas établie. La société requérante n'établit pas ailleurs aucune faute imputable au maître d'œuvre dans la réalisation des plans, dans le calcul des pénalités de retard ou dans le phasage des travaux.

28. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté les conclusions indemnitaires formées contre le maître d'œuvre.

Sur les frais liés aux instances :

En ce qui concerne les conclusions d'appel incident de la société Egis Eau :

29. Il résulte de l'instruction que la SLDTP avait la qualité de partie perdante en première instance et aucune circonstance particulière ne justifiait l'absence de condamnation de la SLDTP au titre des frais exposés en première instance par la société Egis Eau.

30. Par suite la société Egis Eau est fondée à solliciter l'annulation de l'article 2 du jugement du 20 octobre 2020 en tant qu'il a rejeté sa demande de condamnation dirigée contre la SLDTP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

31. Il y a donc lieu de mettre à la charge de la société SLDTP le versement à la société Egis Eau d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés en première instance.

En ce qui concerne les frais liés à l'instance d'appel :

32. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SIAC et de la société Egis Eau, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les sommes demandées par la SLDTP, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

33. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SLDTP la somme de 1 500 euros à verser au SIAC et à la société EGIS Eau, chacun, au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Lorraine de Travaux Publics est rejetée.

Article 2 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1801607 du 20 octobre 2020 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de la société Egis Eau au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 3 : La société Lorraine de Travaux Publics versera, au titre des frais exposés en première instance, à la société Egis Eau une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La société Lorraine de Travaux Publics versera, au titre des frais exposés en appel, au syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et à la société Egis Eau une somme de 1 500 euros chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Lorraine de Travaux Publics, au syndicat intercommunal d'assainissement du chalet et à la société Egis Eau.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne au préfet des Vosges en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 20NC03694


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03694
Date de la décision : 10/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : HOFMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-05-10;20nc03694 ?
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