La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/04/2023 | FRANCE | N°22NC02146

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 avril 2023, 22NC02146


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2200855 du 4 août 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 août 2022, M. C..., représenté

par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 mai ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2200855 du 4 août 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 août 2022, M. C..., représenté par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 pris à son encontre par le préfet du Doubs ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à défaut, dans ce même délai, de procéder au réexamen de sa situation ainsi que, dans l'un ou l'autre cas, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de l'erreur de droit tenant au défaut d'examen global de sa situation au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le refus de titre de séjour est entaché d'erreur de fait et d'erreur de droit au regard de l'appréciation portée sur son état civil ; les éléments mis en avant par l'administration ne sont pas de nature à renverser la présomption d'authenticité des actes qu'il a produit, d'autant qu'une carte d'identité consulaire lui a été remise ;

- cette décision méconnait les dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- il n'a pas été procédé à un examen global de sa situation au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- le refus de délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de renvoi sont illégaux en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement ;

- la décision fixant le pays de renvoi est entachée d'une erreur de fait concernant sa nationalité.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 septembre 2022, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 10 octobre 2022, M. C... a maintenu sa requête.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention consulaire entre la France et le Mali signée le 3 février 1962 ;

- l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 9 mars 1962 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant malien qui a déclaré être né le 1er novembre 2003 et être entré irrégulièrement en France le 21 janvier 2020, a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance à compter du 17 février 2020. Le 14 octobre 2021, l'intéressé a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 12 mai 2022, le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté litigieux :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

3. Aux termes de l'article 24 de l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 9 mars 1962 : " Seront admis, sans légalisation, sur les territoires respectifs de la République française et de la République du Mali les documents suivants établis par les autorités administratives et judiciaires de chacun des deux Etats : / Les expéditions des actes de l'état civil ; / Les expéditions des décisions, ordonnances, jugements, arrêts et autres actes judiciaires ; (...) ". L'article 23 de cet accord stipule : " Par acte de l'état civil, (...) il faut entendre : / Les actes de naissance ; / (...) Les transcriptions des ordonnances, jugements ou arrêts en matière d'état civil ; (...) ". Aux termes de l'article 25 de la convention consulaire entre la France et le Mali signée le 3 février 1962 : " L'Etat de résidence devra admettre, sans légalisation, les signatures apposées par les consuls sur les documents (...) dont ils certifient l'expédition conforme à l'original délivré par l'autorité compétente lorsque ces documents seront revêtus de leur sceau officiel et établis matériellement de manière à faire apparaître leur authenticité ".

4. Il ressort des pièces du dossier que pour justifier de son identité, M. C... a produit l'original d'un extrait conforme de jugement supplétif rendu par le tribunal de grande instance de la commune II du district de Bamako du 8 novembre 2018, un acte de naissance établi par l'officier d'état civil du centre secondaire de Quinzambougou le 9 novembre 2018, ainsi qu'un extrait d'acte de naissance daté du 26 novembre 2019.

5. Pour refuser de délivrer à M. C... le titre de séjour qu'il avait sollicité en faisant valoir qu'il avait été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, le préfet du Doubs a estimé que les documents qu'il avait produits pour justifier de son état civil étaient des faux, en se prévalant du rapport rédigé par la cellule de fraude documentaire zonale de Pontarlier du 24 janvier 2022 qui conclut que les actes d'état civil et l'extrait du jugement supplétif sont frauduleux.

6. Au regard des stipulations citées au point 3, l'acte de naissance et le jugement supplétif n'avaient pas à être légalisés.

7. En ce qui concerne le jugement supplétif, la cellule de fraude documentaire retient en particulier que le document est un extrait conforme, présentant un caractère laconique, qui ne permet pas d'apprécier la régularité du jugement supplétif, et qu'il est imprimé sur du papier ordinaire sans sécurité documentaire. Toutefois, l'article 24 de l'accord franco-malien précité, qui cite les actes d'état civil exemptés de légalisation, ne fait pas de distinction entre un extrait et une copie intégrale d'un jugement supplétif. Si cet article impose que les documents transmis sans légalisation soient établis matériellement de manière à faire apparaître leur authenticité, la seule circonstance que ces actes soient sur un support non sécurisé ne permet pas d'établir leur inauthenticité, en l'absence de précision sur les sécurités documentaires susceptibles d'être attendues de ce type d'acte. En outre, les mentions relatives au caractère laconique de cet extrait ne sont pas assorties des précisions permettant d'en apprécier la portée.

8. En ce qui concerne les actes d'état civil, il est vrai que le document réalisé le 9 novembre 2018 comporte une coquille sur le bandeau constituant la trame de l'acte et ne fait pas apparaitre les coordonnées de l'imprimeur en bas de la marge verticale droite, ce qui met en doute son authenticité. Cependant, le second acte d'état civil est, pour sa part, exempt de tels vices et ne présente pas de signe grossier ou manifeste de falsification ou de contrefaçon. Le rapport dont se prévaut l'administration relève une absence de numérotation fiduciaire, toutefois cette circonstance ne suffit pas à caractériser un document frauduleux, en l'absence de précision suffisante sur la qualité des supports des actes d'état civil maliens et les sécurités qu'ils doivent comporter. Si l'acte de naissance ne comporte pas la mention de l'existence d'un jugement supplétif à son dos, et ce en méconnaissance de l'article 16 de l'arrêté interministériel du 26 février 2016 qui prévoit qu'" une mention réservée à la transcription des jugements supplétifs des actes de naissance, de mariage et de décès est portée au verso de l'acte de naissance, pour tenir lieu de mention marginale ", cette omission de forme ne remet pas en cause l'authenticité de cet acte qui précise à ses lignes 20 et 21 des renseignements sur le jugement supplétif. Par ailleurs, les délais de recours prévus aux articles 554 et 555 du code de procédure civile, commerciale et sociale du Mali sont sans incidence sur les délais de transcription d'un jugement supplétif, l'article 151 du code des personnes et de la famille malienne prévoyant seulement que cette opération s'effectue " dans les plus brefs délais ". Si le préfet soutient que la transcription implique que les délais de recours contre le jugement supplétif soient expirés, il ne se prévaut d'aucune disposition le prévoyant. En outre, la circonstance que les mentions relatives à l'heure de naissance, à l'âge et au domicile de chacun des parents n'apparaissent pas ne permet de mettre en cause l'authenticité de ce document, dès lors qu'il a été établi sur la base de l'extrait conforme d'un jugement supplétif qui ne comporte pas de telles mentions sans qu'il soit démontré, ni même allégué, qu'elles auraient dû figurer dans cet extrait ou dans le jugement supplétif lui-même. Si le rapport d'analyse documentaire relève que la qualité de l'officier d'état civil n'est pas précisée dans la rubrique 23 du document, ces allégations ne permettent pas de caractériser, par elles-mêmes, une absence d'authenticité. De même, s'il est fait état d'incohérences quant à la numérotation de l'acte de naissance dans le registre des actes d'état civil, au regard du nombre de feuillets qu'est censé comporter chaque registre, le requérant fait valoir, sans être contredit, que les actes inscrits sur les registres en vertu de jugements supplétifs sont inscrits dans des registres spécifiques. Le recours à une abréviation ne suffit pas non plus, dans les circonstances de l'espèce, à faire naître un doute sur l'authenticité de l'acte en question. Enfin, si le rapport relève l'absence de numéro dit A..., en dépit de la loi du 11 septembre 2006 portant institution du numéro d'identification nationale des personnes physiques et morales au Mali, le requérant produit un courriel du responsable de la section passeport et état civil du consulat général du Mali à Lyon indiquant que l'obligation de mentionner ce numéro n'est pas encore entrée en vigueur, le fichier en cause n'étant pas encore opérationnel, sans que l'administration n'apporte d'éléments circonstanciés en sens contraire.

9. Dès lors, si le caractère frauduleux de l'un des actes d'état civil pourrait être retenu, il n'en va pas de même s'agissant de l'extrait de jugement supplétif ni du second acte d'état civil. Le préfet du Doubs ne saurait être regardé comme ayant renversé la présomption de validité qui s'attache, en vertu notamment de l'article 47 du code civil, aux mentions contenues dans ces deux derniers actes. M. C... est donc fondé à soutenir que le refus de titre de séjour est entaché d'erreur d'appréciation quant à la justification de son état civil, et à demander l'annulation de cette décision, ainsi que celle des autres décisions le concernant par voie de conséquence.

10. Il suit de là que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le motif d'annulation retenu implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la demande de titre de séjour de M. C..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, durant cet examen et dans les meilleurs délais, une autorisation provisoire de séjour.

Sur les frais de l'instance :

12. M. C... est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dravigny de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 4 août 2022 et l'arrêté du préfet du Doubs du 12 mai 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la demande de titre de séjour de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, durant cet examen et dans les meilleurs délais, une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me Dravigny, avocate de M. C..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Dravigny renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Me Dravigny et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023

La présidente-rapporteure,

Signé : A. D...

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : S. Roussaux La rapporteure,

A. D...La présidente,

V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso La greffière,

N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 22NC02146


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02146
Date de la décision : 04/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : DRAVIGNY

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-04-04;22nc02146 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award