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04/04/2023 | FRANCE | N°21NC00995

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 avril 2023, 21NC00995


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 10 août 2018 par laquelle la ministre du travail a refusé de faire droit à sa demande de protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1806315 du 2 février 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 2 avril 2021, 18 janvier 2022 et 9 mai 2022, Mme C..., représentée en dernier lieu par Me Dulmet,

demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la ministre du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 10 août 2018 par laquelle la ministre du travail a refusé de faire droit à sa demande de protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1806315 du 2 février 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 2 avril 2021, 18 janvier 2022 et 9 mai 2022, Mme C..., représentée en dernier lieu par Me Dulmet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la ministre du travail du 10 août 2018 ;

3°) d'enjoindre à la ministre du travail de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des procédures de première instance et d'appel.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il existait des faits de nature à faire présumer qu'elle était victime de harcèlement moral ; la nature des agissements en cause excluait qu'il soit tenu compte de la sanction disciplinaire dont elle a fait l'objet ; le harcèlement moral ne suppose pas d'intention de nuire ;

- les premiers juges ont méconnu le champ d'application de la loi ; la protection fonctionnelle ne pouvait être refusée que si l'action était manifestement dépourvue de chance de succès ou ne pouvait aboutir ; le régime probatoire appliqué créée une rupture d'égalité au détriment des fonctionnaires, en violation de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; l'article 3 de la loi n° 2016-1088 a allégé le régime probatoire ;

- elle sollicite le versement de pièces afin de permettre d'étayer le harcèlement allégué.

Par un mémoire enregistré le 7 mars 2022, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution dont notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Mme C....

Une note en délibéré, produite pour Mme C..., a été enregistrée le 23 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 août 2018 par laquelle la ministre du travail a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, qu'elle avait sollicité.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Aux termes du IV de l'article 11 de la même loi applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre (...) les agissements constitutifs de harcèlement (...) dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, sous réserve qu'ils remplissent les conditions fixées par cet article, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général.

Sur les principes applicables à l'appréciation des faits de harcèlement moral :

3. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur des faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

4. D'une part, compte tenu de ce qui précède, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que sa protection fonctionnelle ne pouvait être légalement refusée que si l'action était manifestement dépourvue de chance de succès ou ne pouvait aboutir.

5. D'autre part, elle ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, portant sur le régime probatoire en matière de harcèlement moral, dès lors qu'elles ne sont pas applicables aux fonctionnaires.

6. Enfin, Mme C... soutient également que le régime probatoire applicable aux agents publics, exposé au point 3, crée une rupture d'égalité au détriment de ces agents et méconnait ainsi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Toutefois, un tel moyen, qui consiste à mettre en cause la constitutionnalité de dispositions légales telles qu'interprétées par la jurisprudence, ne pouvait être soulevé que dans un mémoire distinct, ainsi que le prévoit l'article R. 771-3 du code de justice administrative, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Ce moyen est, dès lors, irrecevable.

Sur les faits de l'espèce :

7. Mme C..., inspectrice du travail alors affectée dans le département de la Marne, se plaint d'agissements émanant de Mme A..., sa supérieure hiérarchique, devenue responsable de son unité de contrôle en octobre 2016.

8. La requérante produit des éléments établissant l'existence d'un suivi psychologique en lien avec une souffrance au travail, et notamment un sentiment de dépréciation. Elle justifie aussi avoir fait l'objet, à la date de la décision litigieuse, de traitements médicamenteux en lien avec cette souffrance et d'un arrêt de travail. Elle produit également le témoignage d'une collègue relatant un comportement humiliant et différent de celui réservé à d'autres agents, de manière non isolée, de la part de la supérieure hiérarchique à l'encontre de Mme C.... Ces éléments, qui suggèrent l'existence d'une dégradation des conditions de travail susceptible d'altérer la santé mentale de Mme C..., sont de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.

9. Cependant, il appartient à la cour de se prononcer sur l'existence d'un éventuel harcèlement, et donc sur la légalité du refus de protection fonctionnelle, au regard de l'ensemble des pièces du dossier, le cas échéant après un supplément d'instruction, et notamment des éléments mis en avant par l'administration pour démontrer que les agissements reprochés sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

10. A cet égard, il ressort des pièces du dossier, au regard en particulier de la charge de travail importante qui pesait sur les agents du service dans lequel travaillait la requérante, que les circonstances que Mme A... ait répondu parfois avec retard à certaines interrogations de sa subordonnée, qu'elle n'ait pas répondu à certaines demandes ou qu'elle ne l'ait pas informée spécifiquement du départ d'une assistante, ne caractérisent pas, dans les circonstances de l'espèce, des agissements susceptibles d'être qualifiés de harcèlement. De même, le fait que sa supérieure, dans le cadre d'un mode de management plus directif que celui exercé par ses prédécesseurs, ait opéré un contrôle plus poussé sur le travail de Mme C..., dont le professionnalisme a toujours été reconnu, qu'elle ait demandé des compléments ou qu'elle ait réalisé des corrections, ce qui d'ailleurs ne concernait pas que la requérante au regard des éléments fournis par l'administration, n'excède pas l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. C'est également le cas pour la gestion des demandes de prise en compte d'heures écrêtées ou d'utilisation de véhicules, ou pour le fait que la supérieure ait, sans son accord préalable, eu un contact avec une entreprise relevant de celles dont Mme C... s'occupait. L'intrusion de Mme A... dans le bureau de Mme C... alors que cette dernière menait un entretien avec des usagers qu'elle a interrompu, pour regrettable qu'elle soit, ne permet pas à elle seule de caractériser un fait de harcèlement. Enfin, la circonstance que sa supérieure ait sollicité des explications après qu'elle ait été injoignable alors qu'un accident mortel était survenu sur un chantier relevant de Mme C..., quand bien même l'indisponibilité de cette dernière était justifiée par sa présence à une audience, n'excède pas les prérogatives d'un cadre dirigeant. Il en va du même de la demande de Mme A... tendant à ce que la requérante reprenne ce dossier dont elle avait initialement assuré le traitement. La requérante ne saurait enfin se prévaloir de faits imputables à d'autres membres de la direction pour caractériser le harcèlement dont elle se prévaut, et qu'elle reproche exclusivement et personnellement à Mme A....

11. Ainsi, au regard de l'ensemble des éléments produits par les parties, et pour regrettable que soit la manière dont la détresse de Mme C..., pourtant signalée à sa supérieure par courriel, n'a pas été suffisamment prise en compte par Mme A... et ses supérieurs, les agissements dont se plaint Mme C..., pris isolément ou dans leur ensemble, sont justifiés par des considérations ne relevant pas du harcèlement moral allégué. Il suit de là que la demande de protection fonctionnelle de la requérante a pu légalement être rejetée.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée, dans toutes ses conclusions.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.

La rapporteure,

Signé : A. D...La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 21NC00995


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00995
Date de la décision : 04/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Avocat(s) : STEHLY FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-04-04;21nc00995 ?
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