Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) TL Europe a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er octobre 2014 au 31 décembre 2016.
Par un jugement n° 1807348 du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg, a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 février 2021 et un mémoire enregistré le 3 novembre 2021, la SAS TL Europe, représentée par Me Delpeyroux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de l'imposition contestée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales en ce que, s'agissant de la base de calcul de la régularisation, le vérificateur a omis de préciser si les factures indiquées sont des factures d'immobilisations ou d'autres biens et services ;
- la base légale désormais invoquée par le service afin de réclamer le reversement de la taxe sur la valeur ajoutée déduite sur les immeubles litigieux est inapplicable dès lors qu'en transférant les immeubles en cours à la SEBL, comprenant les terrains mais également les aménagements qu'elle a construits, afin que la bénéficiaire les affecte à une autre entreprise, en l'occurrence une usine de fabrication de laine de roche, elle a opéré la transmission d'une partie de son entreprise constituant une universalité de biens au sens de l'article 257 bis du code général des impôts ce qui a pour effet d'exclure l'application des dispositions du 5 du 1 du III de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts, invoquées par l'administration, en vertu du 4 du III du même article.
Par un mémoire enregistré le 6 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité du fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS TL Europe, créée le 13 mai 2011, a pour objet l'achat, la vente et la location de terrains et bâtiments à usage industriel et commercial ainsi que la construction de tels bâtiments et plus généralement toute activité liée à l'immobilier industriel et commercial. La société a formé le projet d'édifier un important ensemble immobilier à usage de centre d'affaires sur le site de la ZAC de Illange-Bertrange. A cet effet, par acte du 2 avril 2012, la Société d'Equipement du Bassin Lorrain (SEBL) a consenti à la SAS TL Europe un bail emphytéotique d'une durée de quarante ans portant sur les terrains nus composant le périmètre de la ZAC " Mégazone départementale de Illange-Bertange ". Cette convention a été confirmée par un acte authentique du 20 février 2014, la location étant consentie moyennant une redevance annuelle de 100 000 euros toutes taxes comprises (TTC). Ce bail emphytéotique a été partiellement résilié le 5 novembre 2014 en ce qui concerne la parcelle zéro laquelle a fait l'objet d'un bail à construction moyennant une redevance annuelle de 89 2984 euros TTC. A la suite de l'abandon du projet de construction, les parties ont convenu de la résiliation amiable et sans indemnité du bail emphytéotique et du bail à construction suivant acte du 15 décembre 2016. Au terme de cet acte, la SEBL a récupéré les terrains qu'elle avait loués à la SAS TL Europe dans l'état dans lequel ils se trouvaient. A la suite d'une vérification de comptabilité ayant concerné la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, l'administration fiscale, par une proposition de rectification du 30 juin 2017, a porté à la connaissance de la société TL Europe qu'elle envisageait de procéder à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant au reversement à la date du 31 décembre 2016 de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les terrains objet des baux ci-dessus analysés. Ces rectifications ont été maintenues par lettre du 28 août 2017 en réponse aux observations de la société. Les droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis en recouvrement au cours de l'année 2018 et la réclamation préalable de la société a été rejetée le 1er octobre 2018. La SAS TL Europe relève appel du jugement du 10 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir admis la demande de substitution de base légale présentée devant lui par l'administration fiscale, a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.
Sur la régularité de la procédure de rectification :
2. Aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions. Cette notification est interruptive de prescription ".
3. Il ressort de la proposition de rectification que le service a estimé que la régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée déduite au titre des immobilisations restituées à la SEBL aurait dû être effectuée au 31 décembre 2016 sur la déclaration du 4ème trimestre de l'année 2016. Il ressort de la proposition de rectification que le rappel ainsi effectué au titre de cette période l'a été selon la procédure de taxation d'office prévue au 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, en l'absence de dépôt dans les délais de la déclaration de chiffre d'affaires du 4ème trimestre 2016. Dès lors la société requérante ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales et doit, en l'espèce, être regardée comme invoquant celles de l'article L. 76 du même livre, ci-dessus reproduites.
4. Il ressort sans ambiguïté des termes de la proposition de rectification du 30 juin 2017 que le service a expressément indiqué à la société requérante qu'il n'appliquerait le reversement de la taxe déduite que sur les immobilisations à l'exclusion des autres biens et services et que les factures mentionnées comme donnant lieu à cette régularisation ne concernent que des immobilisations en dépit des erreurs de comptabilisation de la société requérante par lesquelles certaines d'entre elles avaient été inscrites dans le compte de taxe déductible sur autres biens et services. Par suite, la SAS TL Europe n'est pas fondée à soutenir que cette proposition de rectification est insuffisamment motivée à défaut de préciser si la taxe rappelée se rapporte ou non à des immobilisations.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Alors que le rappel de taxe sur la valeur ajoutée litigieux a été effectué sur le fondement des dispositions du 1° du 1 du III de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts, l'administration fiscale a demandé au tribunal administratif, qui a fait droit à cette substitution de base légale, de fonder désormais ce rappel sur celles du 5° du 1 du III du même article.
6. L'article 185 de la directive 2006/112/CE prévoit que la taxe sur la valeur ajoutée déduite lors de l'acquisition d'un bien utilisé pour les besoins des opérations taxées d'un assujetti doit faire l'objet d'une régularisation " lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de taxe sur la valeur ajoutée, entre autres en cas d'achats annulés ou en cas de rabais obtenus ". Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ". L'article 207 de l'annexe II à ce code, qui transpose notamment l'article 185 de la directive 2006/112/CE, prévoit que cette déduction est définitivement acquise à l'entreprise, sous réserve des dispositions suivantes : " I. - Sous réserve des dispositions qui suivent, la déduction (de taxe sur la valeur ajoutée) opérée dans les conditions mentionnées aux articles 205 et 206 est définitivement acquise à l'entreprise (...)/ III. - 1. Une régularisation de la taxe initialement déduite et grevant un bien immobilisé est également opérée : (...) 5° Lorsqu'il cesse d'être utilisé à des opérations imposables ". Une entreprise n'est tenue de procéder à la régularisation globale prévue par les dispositions précitées du 5° du 1 du III de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts qu'à compter de l'évènement qui caractérise de façon certaine la désaffectation définitive d'une immobilisation à la réalisation d'opérations taxables.
7. Aux termes de l'article 257 bis du code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur : " Les livraisons de biens, les prestations de services et les opérations mentionnées [au] 7° de l'article 257, réalisées entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, sont dispensées de celle-ci lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens ". La dispense de taxe sur la valeur ajoutée prévue par cet article lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens s'applique à tout transfert d'un fonds de commerce ou d'une partie autonome d'une entreprise dès lors que le bénéficiaire du transfert a pour intention d'exploiter le fonds de commerce ou la partie d'entreprise ainsi transmis et non simplement de liquider immédiatement l'activité concernée.
8. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la restitution des immeubles litigieux à la SEBL a été effectuée à titre gratuit, les terrains n'ayant fait l'objet que de simples travaux de viabilisation. Cette restitution n'ayant pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée par la SAS TL Europe et la SEBL n'ayant pas elle-même affecté ces immeubles à la réalisation d'opérations taxables, cet évènement caractérise de façon certaine la désaffectation de ces immobilisations à la réalisation d'opérations taxables au sens du 5° du 1 du III de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts de nature à donner lieu au reversement de la taxe initialement déduite. Si la société requérante soutient que la SEBL aurait donné ces terrains en location et qu'une usine de fabrication de laine de roche y a été construite, elle n'apporte aucune précision utile sur les conditions dans lesquelles une telle opération serait soumise à la taxe sur la valeur ajoutée alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les immeubles litigieux ont été affectés par la SEBL à des opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée lors de la résiliation des baux. Par suite, c'est à juste titre que l'administration fiscale a considéré que la résiliation des baux et la restitution des immobilisations à la SEBL devaient donner lieu à régularisation globale de la taxe sur la valeur ajoutée déduite.
9. Il est vrai toutefois que la SAS TL Europe soutient que l'opération litigieuse est dispensée de régularisation en ce que la restitution des terrains et de leurs aménagements à la SEBL constituerait le transfert d'une partie autonome d'une entreprise. Mais, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la remise de terrains sur lesquels ont été réalisé des aménagements limités en vue de leur viabilisation, à la suite de la résiliation de contrats de location, ne saurait constituer le transfert par la SAS TL Europe d'une partie autonome d'entreprise de promotion d'immobilier d'affaires que la SEBL aurait eu l'intention d'exploiter. La circonstance qu'une usine de fabrication de laines de roche a été construite sur les terrains litigieux au cours de l'année 2018 ne saurait établir, en l'absence de toute précision utile, que la restitution des immeubles litigieux au profit de la SEBL aurait eu un tel objet. Par suite, la SAS TL Europe n'est pas fondée à soutenir que la désaffectation des immobilisations litigieuses à des opérations taxables serait dispensée de régularisation sur le fondement de l'article 257 bis du code général des impôts.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS TL Europe n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS TL Europe est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS TL Europe et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
Le greffier,
Signé : J-Y. Gaillard
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
J-Y. Gaillard
N° 21NC00513
2