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28/02/2023 | FRANCE | N°21NC00832

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 28 février 2023, 21NC00832


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims à lui verser la somme de 476 392,15 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis lors de sa prise en charge par cet établissement.

Par un jugement n° 1801997 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a condamné le CHU de Reims à verser la somme de 9 890 euros à Mme B... ainsi que la somme de 11 862 eu

ros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne au titre de ses débour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims à lui verser la somme de 476 392,15 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis lors de sa prise en charge par cet établissement.

Par un jugement n° 1801997 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a condamné le CHU de Reims à verser la somme de 9 890 euros à Mme B... ainsi que la somme de 11 862 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne au titre de ses débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mars 2021, Mme A... épouse B..., représentée par Me Boucher, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de condamner le CHU de Reims à lui verser la somme de 47 181,63 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis lors de sa prise en charge par cet établissement ;

3°) d'ordonner un complément d'expertise médicale confiée à un expert psychiatrique ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Reims la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ainsi que l'ont retenu les premiers juges, le CHU de Reims a commis une faute lors sa prise en charge, résultant de l'absence de diagnostic de la lésion du ganglion de Troisier et du chylothorax dont elle souffrait ;

- l'indemnité accordée en raison du déficit fonctionnel temporaire doit ainsi être réévaluée à 12 889,63 euros ;

- les souffrances endurées doivent être indemnisées, même en prenant en compte le taux de 85 % d'imputabilité de ces dernières au défaut de diagnostic, à hauteur de 10 200 euros ;

- elle doit bénéficier d'une indemnisation de son préjudice esthétique, qui a été considéré comme en lien avec le défaut de diagnostic par l'expert, à hauteur de 150 euros ;

- l'indemnité accordée au titre de son déficit fonctionnel permanent doit être réévaluée à 1 932 euros ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle justifie d'un préjudice d'agrément dès lors qu'elle ne peut plus effectuer de cours de zumba et qu'elle est privée de ses activités de bricolage et de jardinage ; elle doit bénéficier d'une indemnisation de 4 500 euros pour réparer ce préjudice ;

- elle a subi un préjudice sexuel qui doit être indemnisé à hauteur de 15 000 euros ;

- elle a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à raison de deux heures par jour pendant un mois et doit donc bénéficier de la somme de 1 510 euros pour réparer ce préjudice ;

- elle ne remet en cause la position du tribunal ni sur l'absence d'indemnisation de ses pertes de revenus, ni sur l'évaluation de son préjudice d'incidence professionnelle ;

- elle souffre de troubles psychiques en lien avec la faute du CHU qui n'ont pas été appréhendés et évalués par l'expert, de sorte qu'il doit être ordonné un complément d'expertise à un expert psychiatre sur ce point.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2021, le CHU de Reims, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- il ne conteste pas le retard de diagnostic fautif retenu par les premiers juges ;

- en allouant à Mme B... la somme de 3 260 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, ainsi que la somme de 4 250 euros en raison des souffrances endurées, les premiers juges ont fait une évaluation satisfaisante de ces chefs de préjudice ;

- le préjudice esthétique temporaire subi par la requérante résulte des conséquences de l'intervention chirurgicale elle-même et non de l'omission du diagnostic de chylothorax, de sorte qu'aucune indemnisation ne peut être accordée à ce titre ;

- le besoin d'assistance par une tierce personne est sans lien avec le retard de diagnostic ; en toute hypothèse, la demande au titre de la tierce personne est excessive, car il ne pourra être accordé qu'une somme déterminée à partir d'un taux horaire de 13 euros par heure pour une assistance non spécialisée ;

- les premiers juges ont fait une juste évaluation du préjudice lié au déficit fonctionnel permanent en accordant la somme de 1 380 euros à Mme B... ;

- le préjudice sexuel reconnu résulte d'une hyper sensibilité douloureuse à partir de la base du cou gauche jusqu'au tiers supérieur de l'épaule gauche et n'est pas lié à l'omission de diagnostic du chylothorax ;

- la requérante n'établit pas qu'elle participait de manière régulière à des séances de zumba et n'apporte pas d'éléments propres à établir qu'elle s'adonnait de manière intensive ou spécifique à des activités de bricolage ou de jardinage, de sorte qu'elle n'a pas subi de préjudice d'agrément ;

- les expertises n'ont pas relevé de préjudice moral spécifique en lien avec l'omission de diagnostic du chylothorax et Mme B... n'apporte pas le moindre élément démontrant la nécessité d'organiser une expertise psychiatrique, de sorte qu'aucun complément d'expertise n'est nécessaire et utile à la résolution du litige.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., qui présentait une côte surnuméraire, a été opérée, le 18 juin 2014 au sein du centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, d'un pontage sous-clavio-axillaire gauche. Dès la fin de l'intervention, elle a présenté d'importantes douleurs thoraciques. En dépit de l'accroissement de ces douleurs, elle a été invitée à regagner son domicile le 24 juin 2014. Compte tenu de la persistance et de l'aggravation de ses douleurs, Mme B... s'est rendue, dans la nuit du 24 au 25 juin 2015, au service des urgences du site de Charleville-Mézières du centre hospitalier intercommunal Nord-Ardennes, où la réalisation d'une radiographie thoracique et d'un scanner a révélé l'existence d'un chylothorax. La patiente a dû être opérée, le 26 juin 2014, au CHU de Reims afin de réaliser un drainage thoracique. Elle a dû être à nouveau opérée les 1er et 7 juillet 2014 pour le remplacement du drain thoracique et n'a pu regagner son domicile que le 17 juillet suivant. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le CHU de Reims à lui verser la somme de 476 392,15 euros en réparation des préjudices causés à l'occasion de sa prise en charge par cet établissement. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, par un jugement du 29 janvier 2021, condamné le CHU de Reims à verser la somme de 9 890 euros à Mme B... ainsi que la somme de 11 862 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne. Mme B... interjette appel de ce jugement en tant qu'il a limité le montant de son indemnisation à la somme de 9 890 euros.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

2. En premier lieu, l'indemnité de 1 000 euros accordée par les premiers juges au titre de l'incidence professionnelle n'est pas contestée par les parties, Mme B... se bornant à solliciter au titre de ce préjudice la même somme que celle déjà attribuée par les premiers juges.

3. En deuxième lieu, lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit, à cette fin, se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

4. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et du complément d'expertise ordonné par un jugement avant dire droit du 4 octobre 2019, que l'état de Mme B... a nécessité l'assistance d'une tierce personne à raison de deux heures par jour lors du mois suivant la fin de son hospitalisation. Contrairement à ce que soutient le centre hospitalier et ainsi que cela ressort du complément d'expertise, le défaut de diagnostic reproché n'a pas eu pour seule conséquence de retarder le retour à domicile de la requérante, mais a conduit à une grave détérioration de son état de santé. La nécessité de cette assistance est dès lors exclusivement imputable au défaut de diagnostic fautif. Le préjudice indemnisable doit en l'espèce être déterminé sur la base d'un montant horaire de 13,50 euros, pour une assistance non spécialisée et au vu du montant du salaire minimum de croissance alors existant, ainsi que d'une année de 412 jours pour tenir compte des congés payés et des jours fériés. Il sera fait une exacte évaluation de ce poste de préjudice en allouant à Mme B... une somme de 944,78 euros à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme B... a subi, en raison exclusivement du défaut de diagnostic du chylothorax, une période de déficit fonctionnel temporaire total de 22 jours, mais a également souffert d'un déficit fonctionnel de 50 % pendant 30 jours, puis d'un déficit fonctionnel de 25 % pendant 426 jours et, enfin, d'un déficit fonctionnel de 10 % pendant 739 jours. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme B... en l'évaluant à 20 euros par jour de déficit total. Il y a ainsi lieu de porter à 4 348 euros l'indemnité due par le CHU de Reims à ce titre.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise et du complément d'expertise que Mme B... a subi à la suite de son opération non seulement des souffrances physiques, mais également des souffrances morales, lesquelles résultent notamment d'un état de stress post-traumatique ayant justifié la consultation régulière d'un psychiatre. L'expert, qui n'a pas, contrairement à ce que soutient la requérante, occulté les souffrances morales subies et qui a par ailleurs souligné à plusieurs reprises leurs importances, a évalué le pretium doloris de la victime à 3,5 sur une échelle de 7 et a précisé que celui-ci est imputable à hauteur de 85 % à l'omission de diagnostic de chylothorax. Par suite, sans qu'il soit utile de prononcer une nouvelle expertise confiée à un expert psychiatre, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, en accordant à la victime la somme de 6 120 euros.

7. En troisième lieu, Mme B... a sollicité l'indemnisation du préjudice esthétique temporaire qu'elle a subi du fait de la faute commise et qui a été évalué par l'expert à 0,5 sur une échelle de 0 à 7. Il résulte de l'instruction que Mme B... présente des cicatrices engendrées par les différentes opérations subies. Si l'opération de pontage du 18 juin 2014, ainsi que le drainage réalisé, aurait nécessairement dû avoir lieu, il ne résulte pas de l'instruction qu'en l'absence de retard du diagnostic de chylothorax, elle aurait eu à subir les opérations de remplacement du drain thoracique réalisées les 1er et 7 juillet 2014. Il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique temporaire imputable à la faute du centre hospitalier en accordant à la victime la somme de 150 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :

8. En premier lieu, l'expert a estimé que Mme B... demeure atteinte d'un déficit fonctionnel permanent de 4 %, dont 30 % sont imputables à la faute commise. Eu égard à l'âge de la victime et au déficit fonctionnel permanent imputable à sa prise en charge fautive par le centre hospitalier, il y a lieu de porter à 1 932 euros l'indemnité due par le CHU de Reims à ce titre.

9. En deuxième lieu, si, ainsi que le souligne l'expert, Mme B... subit un préjudice sexuel en raison de l'hypersensibilité douloureuse qu'elle connaît à partir de la base du cou gauche jusqu'au tiers supérieur de l'épaule gauche, il ne résulte pas de l'instruction que cette hypersensibilité soit en lien avec le retard de diagnostic. De plus, à supposer que la requérante ait entendu indiquer que le syndrome post-traumatique qu'elle a développé est la cause de son préjudice sexuel, les éléments produits ne permettent pas d'établir un tel lien. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à demander l'indemnisation de ce chef de préjudice.

10. En dernier lieu, si l'expert mentionne l'existence d'un préjudice d'agrément, Mme B... n'établit pas qu'elle aurait exercé avant l'accident une activité sportive ou de loisir dans des conditions telles qu'elle justifierait d'un préjudice spécifique non indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à solliciter une indemnisation au titre de son préjudice d'agrément.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est uniquement fondée à demander que l'indemnité que le tribunal administratif a condamné le CHU de Reims à lui verser soit portée à la somme de 14 494,78 euros.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge du CHU de Reims le versement de la somme de 1 500 euros à Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 9 890 euros que le CHU de Reims a été condamné à verser à Mme B... est portée à 14 544,78 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 29 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le CHU de Reims versera à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... épouse B..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne et au centre hospitalier universitaire de Reims.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Haudier, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 février 2023.

Le rapporteur,

Signé : S. C...

La présidente,

Signé : G. HAUDIERLe greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 21NC00832 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00832
Date de la décision : 28/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme HAUDIER
Rapporteur ?: M. Swann MARCHAL
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-02-28;21nc00832 ?
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