Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2204335 du 6 juillet 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoire enregistrés les 5 août 2022, 30 septembre 2022, 5 et 21 décembre 2022, M. C..., représenté par Me Boukara, demande à la cour, dans ses dernières écritures :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2022 de la préfète du Bas-Rhin ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de l'inviter sous huit jours, à compter de la décision à intervenir, à se présenter aux autorités consulaires pour se voir émettre un visa d'entrée en France et de le lui remettre sans délai ;
4°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros TTC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
sur la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier car il porte atteinte au droit au procès équitable tant au regard du principe général du droit de l'union relatif à la motivation d'une décision participant du droit de l'union que par application de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne :
* la motivation de l'arrêté préfectoral précisait qu'il était présent sur le territoire français depuis qu'il a atteint l'âge de 3 ans et ce n'est que dans le mémoire en défense reçu moins de trois heures avant l'audience devant le tribunal administratif que la préfète a soutenu qu'il n'établissait pas sa présence en France avant l'âge de 13 ans, de sorte qu'il ne pouvait plus bénéficier de la protection telle que prévue au 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* le tribunal, ne pouvait, sans porter atteinte au droit à un procès équitable, exiger qu'il produise des preuves de sa présence en France remontant à plus de 30 ans, cela, en l'absence de délai utile pour le faire et alors qu'il était incarcéré ;
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'un vice d'incompétence ;
- elle méconnaît le principe général de l'Union européenne du droit d'être entendu ;
- elle méconnaît les dispositions du 3° et 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant le prononcé d'une obligation de quitter le territoire français ; le préfet ne justifie pas qu'il s'est vu notifier un refus de séjour, ni qu'il ne réside pas régulièrement depuis plus de trois mois au terme d'une décision légale du préfet ;
- elle viole les dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du même code ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen et de vice de forme dès lors que le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration aurait dû être saisi ;
- elle viole les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 ainsi que celles de l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle viole les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure ; alors qu'il était incarcéré, la préfète a utilisé la procédure de l'obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire permettant de réduire le délai contentieux à 48 heures, afin d'entraver sa possibilité de se défendre correctement et afin de contourner la procédure d'expulsion ;
- seule la procédure d'expulsion était applicable à sa situation ;
- selon la jurisprudence " Diaby " du conseil d'état, la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale car il doit bénéficier de plein droit d'un titre de séjour ;
sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :
- elle méconnaît le principe général de l'Union européenne du droit d'être entendu ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; il était incarcéré et ne pouvait donc pas se soustraire à la mesure d'éloignement, ni présenter une menace à l'ordre public ;
sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a méconnu le principe général de l'Union européenne du droit d'être entendu ;
- elle devra être annulée soit par exception d'illégalité soit par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire ;
- en mentionnant une durée d'interdiction de retour de trois ans puis de deux ans, la préfète s'est donc abstenue de fixer une durée de façon non équivoque de sorte que la décision est entachée d'une erreur de droit ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir ; la préfète a eu recours à la procédure de l'obligation de quitter le territoire français pour contourner la procédure d'expulsion vouée à l'échec.
Par un mémoire enregistré le 30 décembre 2022, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... ressortissant algérien né le 31 août 1976, a bénéficié d'une première carte de résident en 1992, renouvelée jusqu'en 2012. Il a sollicité le 10 octobre 2017 le renouvellement de son titre de séjour. A cette occasion, il est avisé, le 15 novembre 2017, que son comportement peut justifier le refus de délivrance d'un titre de séjour. Le 25 octobre 2019, après une nouvelle période d'incarcération, l'intéressé se voit délivrer, en réponse à sa demande de renouvellement de titre de séjour, une autorisation provisoire de séjour de six mois et il est de nouveau avisé des conséquences que son comportement est susceptible d'emporter sur son séjour en France. De nouveau incarcéré, il fait l'objet d'une procédure contradictoire aux fins de retrait du titre de séjour dont il bénéficiait. Alors que M. C... était interpellé le 27 juin 2020 puis le 4 juillet 2020 et mis en cause dans le cadre de la commission de nouvelles infractions, la préfète du Bas-Rhin a refusé, par une décision du 25 août 2020, de lui délivrer un titre de séjour. Ecroué à la maison d'arrêt de Strasbourg le 4 septembre 2021 dans le cadre d'une condamnation par jugement du tribunal correctionnel de Mulhouse du 6 septembre 2021, M. C... a fait l'objet d'un arrêté du 4 juillet 2020 de la préfète du Bas-Rhin portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, désignation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français. M. C... relève appel du jugement du 6 juillet 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions du 4 juillet 2022.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2 ° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu protéger de l'éloignement les étrangers qui sont en France depuis l'enfance, à raison de leur âge d'entrée et d'établissement sur le territoire. Dans ce cadre, les éventuelles périodes d'incarcération en France, si elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul d'une durée de résidence, ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans, alors même qu'elles emportent, pour une partie de la période de présence sur le territoire, une obligation de résidence, pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part.
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'ensemble des certificats scolaires produits pour la première fois en appel que M. C... a été scolarisé à Saint-Louis, dans le département du Haut-Rhin, à l'école maternelle de septembre 1980 à juin 1982, à l'école élémentaire de septembre 1982 à juin 1989, au collège de septembre 1989 à juillet 1993, au lycée professionnel de septembre 1994 à juin 1996 et qu'il obtenu son brevet d'études professionnelles en électrotechnique en juillet 1996. Il produit également un relevé de carrière de l'assurance retraite faisant état de cotisation couvrant la période de 1994 à 2016, 2019 et 2021, des certificats médicaux pour les années 2011, 2015, 2017, 2020 et 2021, des certificats de qualifications professionnelles et de formations au titre des années 2012 et 2013. Par ailleurs, il a été incarcéré régulièrement en France de 2001 à 2022. Le requérant justifie ainsi, à la date de l'arrêté contesté, d'une résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans. Il ne pouvait pas, dès lors, faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions du 2° de l'article L. 611-3 cité au point 2. Le requérant est par suite fondé à soutenir que la préfète du Bas-Rhin a méconnu cet article et à demander l'annulation de cette mesure d'éloignement.
5. L'annulation de cette décision entraîne par voie de conséquence l'annulation du refus de délai de départ volontaire, ainsi que de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français édictée sur le fondement de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, ni sur les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 4 juillet 2022.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable à la date du présent arrêt : " Si la décision portant l'obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".
8. Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. C..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, au vu des motifs d'annulation retenus par la cour et de l'ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen. A cet effet, pour permettre à M. C... de déposer une demande de titre de séjour, il incombe à la préfète du Bas-Rhin, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour et de prendre, le cas échéant, toute autre mesure nécessaire à l'exécution de l'injonction ainsi prononcée.
Sur les frais liés au litige :
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... a demandé le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser au requérant en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 6 juillet 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg et l'arrêté préfectoral du 4 juillet 2022 de la préfète du Bas-Rhin sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour et de prendre, le cas échéant, toute autre mesure nécessaire à l'exécution de l'injonction ainsi prononcée.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.
La rapporteure,
Signé : S. B...La présidente,
Signé : A.Samson-Dye
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 22NC02101