Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par des requêtes n° 1501489, 1502080, 1600008 et 1700775, chacun en ce qui le concerne, M. R... G..., l'Association de Défense de la Grande Combe ''A.D.G.C.'', Mme S... D..., Mme O... H..., M. A... H..., Mme P... I..., M. F... J..., Mme Z... E..., M. W... E..., M. C... K..., M. M... Q..., M. Y... T..., Mme N... X..., M. L... X... et M. B... V... ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du préfet du Territoire-de-Belfort n° 20150722-0004 du 22 juillet 2015 portant déclaration d'utilité publique du projet de réouverture de la ligne Belfort-Delle, d'annuler l'arrêté n° 20150826-0002 du 26 août 2015 par lequel le préfet du Territoire-de-Belfort a déclaré cessibles, au profit de SNCF Réseau, les parcelles sises sur la commune de Danjoutin ainsi que l'arrêté n° 90-2017-02-03-003 du 3 février 2017 par lequel le préfet du Territoire de Belfort a déclaré cessibles deux parcelles de terrain sises sur la commune de Danjoutin.
Par un jugement commun n° 1501489, 1502080, 1600008 et 1700775 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté du 22 juillet 2015 portant déclaration d'utilité publique du projet de réouverture de la ligne Belfort-Delle, l'arrêté de cessibilité n° 20150826-0002 du 26 août 2015 et l'arrêté de cessibilité n° 90-2017-02-03-003 du 3 février 2017.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif enregistrés le 2 septembre 2019 et le 24 septembre 2019, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 2 juillet 2019.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il n'a pas fait état des autres données du bilan telles que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et les inconvénients d'ordre social et s'est uniquement fondé sur les hypothèses de fréquentation et sur des données avancées par les seuls requérants ;
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en estimant que les hypothèses de fréquentation de la future ligne étaient surévaluées, que la faisabilité du cadencement retenu était peu probable et que le réseau de bus existant constituait une alternative fiable fragilisant le report sur la ligne ;
- le tribunal a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de l'utilité publique du projet sans tenir compte du bilan coûts-avantages.
Par un mémoire en intervention enregistré le 7 juillet 2020, SNCF Réseau représenté par Me Garancher, vient au soutien des conclusions présentées par le ministre.
Elle soutient à titre principal que le jugement est irrégulier en tant qu'elle n'a pas été appelée à l'instance en sa qualité de bénéficiaire de la déclaration d'utilité publique et à titre subsidiaire, que le jugement est mal fondé dès lors que le bilan avantages/inconvénients est favorable au projet.
Par des mémoires en défense enregistrés le 25 novembre 2021 et le 1er juillet 2022, l'Association de Défense de la Grande Combe ''A.D.G.C.'', M. R... G..., Mme S... D..., Mme P... I..., M. F... J..., Mme AA... E..., M. W... E..., M. M... Q..., M. Y... T..., Mme N... X..., M. L... X... et M. B... V... concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 euros par requérant soit mise à la charge du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- les observations de Me Marx, représentant SNCF Réseau,
- et les observations de Me Devevey, représentant l'Association de Défense de la Grande Combe ''A.D.G.C.'' et autres.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 22 juillet 2015, le préfet du Territoire-de-Belfort a notamment déclaré d'utilité publique le projet de réouverture de la ligne ferroviaire reliant Belfort à Delle, la suppression et l'aménagement de passages à niveau sur le territoire de différentes communes traversées par cette ligne. Par des arrêtés du 26 août 2015 et du 11 mai 2017, le préfet du Territoire-de-Belfort a déclaré cessibles, au profit de l'établissement public SNCF Réseau, conformément aux extraits de plans parcellaires joints en annexe à ces arrêtés, un certain nombre de parcelles sises sur la commune de Danjoutin. La ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève appel du jugement du 2 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Besançon a annulé ces trois arrêtés.
Sur l'intervention de SNCF Réseau :
2. SNCF Réseau a intérêt à l'annulation du jugement attaqué. Ainsi son intervention au soutien du recours de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est recevable.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Il résulte des paragraphes 2 et 8 du jugement attaqué que les premiers juges ont énoncé l'ensemble des avantages découlant du projet litigieux tels que l'interconnexion de la Suisse à la ligne LGV Rhin Rhône, le développement du réseau de transport de l'agglomération de Belfort au profit de tous les usagers par une desserte ferroviaire du corridor sud-est de l'aire urbaine et la création d'une nouvelle accessibilité aux secteurs d'habitations de sud-est du département, aux zones d'emplois de Belfort, de la gare de TGV à Meroux, de la zone industrielle de Bourogne, à Grandvillars, de Delle et de la Suisse, la reprise des circulations de trains de fret en provenance de Belfort, la réduction de façon importante des émissions de gaz à effet de serre en offrant une capacité de transport supérieure au mode routier ainsi que la faible proportion d'acquisition foncières nécessaire à la réalisation du projet, ce qui les a conduit à qualifier le projet d'intérêt public. Par suite, alors que les premiers juges n'avaient pas à répondre à l'ensemble des arguments développés par les requérants, le jugement est suffisamment motivé et n'est pas entaché de l'irrégularité alléguée.
4. Il est constant que les premiers juges n'ont pas appelé à l'instance SNCF Réseau alors que la société est bénéficiaire de la déclaration d'utilité publique. Toutefois, cette qualité qui fonde la recevabilité de son intervention en appel n'impliquait pas sous peine d'irrégularité le tribunal à l'appeler dans la cause. Par suite, ce moyen doit être écarté et le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
5. Une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, éventuellement, les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
6. Comme l'ont à juste titre précisé les premiers juges, le projet litigieux, qui fait suite à une convention conclue, le 11 août 2014, par le Gouvernement français et le Conseil fédéral Suisse, est justifié par des objectifs d'aménagement du territoire, de développement économique et de protection de l'environnement, en favorisant l'interconnexion de la Suisse à la ligne LGV Rhin-Rhône en gare de Belfort-Montbéliard TGV (Meroux), le développement du réseau de transport de l'agglomération de Belfort au profit de tous les usagers par une desserte ferroviaire du corridor sud-est de l'aire urbaine et en créant une nouvelle accessibilité aux secteurs d'habitations de sud-est du département, aux zones d'emplois de Belfort, de la gare de TGV à Meroux, de la zone industrielle de Bourogne, à Grandvillars, de Delle et de la Suisse. Il a également vocation à permettre la reprise des circulations de trains de fret en provenance de Belfort et d'offrir une capacité de transport plus sécurisée par rapport au trafic routier qui permet également de réduire de façon importante les émissions de gaz à effet de serre.
7. Son coût, dont le financement a été prévu par une convention conclue le 1er août 2014 par la République française, la Confédération suisse, le canton du Jura, la région Franche-Comté, le département du Territoire-de-Belfort, la communauté d'agglomération belfortaine, la communauté de communes du Sud Territoire et SNCF Réseau, avait été arrêté à 110,5 millions d'euros et la rentabilité socio-économique de cet investissement était intimement liée aux perspectives de fréquentation de la ligne, lesquelles dépendent du nombre de voyageurs potentiels et de la capacité de la nouvelle offre ferroviaire à capter ces voyageurs, c'est-à-dire de son avantage compétitif par rapport aux modes de transport existants et effectivement utilisés.
8. Selon la notice explicative du projet, la fréquentation totale est estimée à environ 3 700 voyageurs par jour, dont 731 pour les reports des bus, 196 pour l'accès au TGV, 2 513 pour les reports de la route et 292 induits et repose sur un scenario de trafic avec un cadencement à la demi-heure en heures de pointe (6 h 30-9 h, 11 h 30-14 h et 16 h 30-19 h) et à l'heure en heures creuses, dans chaque sens de circulation, pour le trafic de voyageurs, et de cinq trains par jour pour le trafic de fret. Selon cette notice, le nombre d'arrêts desservis, semblables à ceux du réseau de bus, et les fréquences de circulation devrait ainsi permettre un report de l'utilisation du bus et de la voiture sur le train et par voie de conséquence de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
9. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les prévisions retenues dans la notice étaient surévaluées ainsi que le révèlent en particulier les études soumises au groupe de travail dès 2014, sur lesquels les premiers juges pouvaient utilement s'appuyer, et les mises en garde de certains acteurs locaux sur la pertinence du projet et le refus exprimé de certaines collectivités de participer financièrement à la réduction du coût du billet de l'usager du transport ferroviaire. Au demeurant, il est constant que cette fréquentation espérée ne s'est pas concrétisée dans les premières années d'exploitation de la ligne ferroviaire puisque le nombre actuel de voyageurs serait plutôt compris entre 200 et 700 personnes par jour, loin des 3 700 escomptées et vient conforter les insuffisances du dossier d'enquête publique et des études réalisées soulevées à l'origine par les opposants au projet. Ce manque d'attractivité s'explique par des raisons objectives qui étaient connues et largement prévisibles dès le montage de l'opération et auraient dû être anticipées, telles que l'incompatibilité des contraintes horaires des deux réseaux suisse et français, le positionnement des gares trop excentré qui implique de les rejoindre en voiture ou en bus, l'existence de services de bus scolaires et extra-scolaires plus adaptés aux horaires et au budget de ces publics, de même que la fréquence et le coût moindre des bus du réseau Optymo qui permettent de relier les villes à la gare LGV ainsi que l'absence de volonté des acteurs concernés pour adapter l'offre de transport et créer les synergies nécessaires. En outre, cette basse fréquentation a comme conséquence de faire circuler des trains avec un nombre réduit de passager et interroge sur le réel gain en émission de gaz à effet de serre par rapport au trafic routier qui pourtant est l'un des objectifs poursuivis par le projet. Enfin, il ressort du rapport de la cour des comptes d'octobre 2019 relatif aux transports express régionaux à l'heure de l'ouverture à la concurrence que le coût d'exploitation et d'amortissement du projet qui s'élève à 7,7 millions d'euros par an conduit à un coût de subvention publique rapporté au nombre de voyageur extrêmement élevé de 107 euros et ne permet ainsi pas de justifier de la rentabilité du projet.
10. Par suite, même si l'atteinte à la propriété privée est mineure compte-tenu de la réutilisation d'une ligne préexistante appartenant déjà à SNCF Réseau, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que les inconvénients étaient excessifs par rapport aux faibles avantages que l'opération présentait et ne pouvait dès lors être légalement déclarée d'utilité publique.
11. Par voie de conséquence, les arrêtés de cessibilités du 26 août 2015 et du 3 février 2017 sont entachés d'illégalité.
12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la ministre n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Besançon du 2 juillet 2019.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires le versement de la somme de 200 euros chacun au titre des frais exposés par l'Association de Défense de la Grande Combe ''A.D.G.C.'', M. R... G..., Mme S... D..., Mme P... I..., M. F... J..., Mme Z... E..., M. W... E..., M. M... Q..., M. Y... T..., Mme N... X..., M. L... X... et M. B... V... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'intervention de SNCF Réseau est admise.
Article 2 : La requête du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à l'Association de Défense de la Grande Combe ''A.D.G.C.'', M. R... G..., Mme S... D..., Mme P... I..., M. F... J..., Mme AA... E..., M. W... E..., M. M... Q..., M. Y... T..., Mme N... X..., M. L... X... et M. B... V... une somme de 200 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à SNCF Réseau et à l'Association de défense de la Grande Combe ''A.D.G.C.'', M. R... G..., Mme S... D..., Mme P... I..., M. F... J..., Mme AA... E..., M. W... E..., M. M... Q..., M. Y... T..., Mme N... X..., M. L... X... et M. B... V....
Copie en sera adressée au préfet du Territoire-de-Belfort.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Goujon-Fischer, président-assesseur,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2022.
La rapporteure,
Signé : M. BarroisLe président,
Signé : M. U...
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
V. Firmery
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N° 19NC02737