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06/12/2022 | FRANCE | N°22NC01431

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 06 décembre 2022, 22NC01431


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 23 mars 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé le séjour en France, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler, subsidiairement de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant

à travailler et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 23 mars 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé le séjour en France, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler, subsidiairement de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 2101752 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 22NC01431 le 2 juin 2022, M. A..., représenté par Me Lévi-Cyferman, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 23 septembre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 mars 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé le séjour en France, lui fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler, subsidiairement de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas valablement motivé son appréciation concernant la valeur probante des documents produits, l'absence de violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'absence d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le préfet a méconnu l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; c'est à tort que celui-ci a estimé que les documents qu'il avait produits pour justifier de son état civil n'étaient pas probants ;

- le préfet a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a commis une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 26 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, président,

- les observations de Me Levi-Cyferman, représentant M. A...,

- et les observations de M. A....

M. A... a présenté des pièces, enregistrées les 24 et 25 novembre 2022, qui n'ont pas été communiquées.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., de nationalité ivoirienne, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, en juillet 2018. S'étant déclaré mineur et reconnu comme tel, il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de Meurthe-et-Moselle. Le 16 décembre 2020, il a sollicité du préfet de Meurthe-et-Moselle la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se prévalant de son inscription au centre de formation des adultes - les compagnons du devoir, pour l'année 2020-2021 en première année de baccalauréat professionnel, technicien en installation des systèmes énergétiques et climatiques. Par un arrêté du 23 mars 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 23 septembre 2021, par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. A supposer que M. A... ait entendu se prévaloir du caractère insuffisant de la motivation du jugement attaqué, il ressort de la lecture de ce dernier que le tribunal a exposé les motifs de droit et de fait qui constituent le fondement de sa réponse aux moyens du requérant, dans des termes suffisamment précis pour mettre à même le juge de cassation d'exercer son contrôle. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de ce jugement ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté du 23 mars 2021 :

3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux faits de l'espèce : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigé ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", selon lequel " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Ce dernier article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son état civil, M. A... a présenté un extrait de registre d'état civil, établi par la commune d'Abobo le 16 juillet 2018 ainsi qu'un certificat de nationalité du 28 janvier 2018, établis l'un et l'autre au nom de M. B... A..., né le 10 février 2003. Il ressort du compte rendu de deuxième entretien d'évaluation de la minorité et de l'isolement de M. A..., établi par le service de l'aide sociale à l'enfance du département de Meurthe-et-Moselle le 9 décembre 2020 que les déclarations faites par l'intéressé durant les deux entretiens d'évaluation avec ce service au sujet de sa famille et des conditions de son départ de Côte d'Ivoire sont émaillées de très nombreuses contradictions. Ce compte rendu mentionne par ailleurs que l'extrait de registre d'état civil produit par l'intéressé n'est pas accompagné du jugement supplétif du tribunal d'Abidjan-Plateau sur lequel il est pourtant basé, que M. A... présente une morphologie qui ne semble pas correspondre à celle d'un mineur et que les incohérences relevées dans son récit tant de son histoire familiale que de son parcours migratoire apportent un faisceau d'indices permettant au service d'émettre des doutes sur la minorité de l'intéressé. Le rapport d'examen technique documentaire établi par un analyste en fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale de la police aux frontières Est ajoute que l'extrait de registre d'état civil est présenté sur un papier non sécurisé, que le fond d'impression est en offset, tandis que le reste du document est imprimé en toner et que ce document est dépourvu de valeur probante dès lors qu'il n'est pas accompagné du jugement supplétif qui en constitue le support. Ce rapport indique encore que le certificat de nationalité présenté est une simple copie et non un document sécurisé. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le préfet de Meurthe-et-Moselle doit être regardé comme renversant la présomption de validité s'attachant aux actes d'état civil produits par le requérant et comme apportant la preuve de leur caractère falsifié.

6. Si M. A... se prévaut désormais d'une copie intégrale, datée du 28 juillet 2021, du registre d'état civil de la commune d'Abobo pour 2018, d'un extrait de ce même registre, également daté du 28 juillet 2021,d'une copie d'un certificat de nationalité, daté du 30 juillet 2021, ainsi que d'une légalisation, par les autorités de l'ambassade de Côte-d'Ivoire en France, de la signature des fonctionnaires ayant établi la copie intégrale du registre d'état civil et le certificat de nationalité, ainsi enfin que d'un passeport délivré en 2020 par les autorités ivoiriennes, il n'apporte toujours pas de copie du jugement supplétif du tribunal d'Abidjan-Plateau du 4 mai 2018, sur lequel sont fondés la copie intégrale et l'extrait du registre d'état civil, n'établit pas avoir reçu ces documents sur un support sécurisé et ne fournit aucune explication sur les modalités concrètes par lesquelles il a sollicité et obtenu ces pièces, de manière à démontrer avec un degré de vraisemblance suffisant, au regard des doutes affectant leur authenticité, qu'elles lui ont effectivement été procurées par les autorités compétentes de sa commune de naissance. Dès lors, le caractère probant des pièces nouvellement produites, alors même que deux d'entre elles sont revêtues d'une légalisation de signature, ne peut davantage être retenu. Dans ces conditions, la délivrance d'un passeport ne saurait suffire à faire foi de l'état civil et notamment de l'âge de l'intéressé. En outre, le préfet fait valoir, sans être contredit, qu'un examen clinique et médico-légal des différents clichés radiographiques de l'intéressé réalisé en 2019 avait alors permis d'évaluer son âge probable à 29,7 ans et à un minimum de 21,6 ans. Par suite, en rejetant la demande de titre de séjour de M. A..., au motif qu'il n'avait pas justifié, par les documents produits, de son état civil et notamment de son âge, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas méconnu l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France en 2018. Il est célibataire, sans enfant, et n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine. La circonstance qu'il ait entrepris avec succès une formation dans le domaine de la plomberie, se soit inscrit en baccalauréat professionnel et ait reçu des appréciations favorables de la part de ses enseignants ou encadrants ne suffit pas, au cas d'espèce, à justifier de la nécessité de son maintien en France ou de l'intensité de sa vie privée et familiale en France. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour en France de l'intéressé il ne ressort pas des pièces du dossier que les décisions lui refusant la délivrance d'un titre de séjour ou l'obligeant à quitter le territoire français portent à son droit au respect de sa vie privée ou familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elles ont été prises et ne méconnaissent pas, dès lors, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles ne sont pas davantage entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice, par le préfet, de son pouvoir discrétionnaire de régularisation ou d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur sa situation personnelle.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A....

Sur les frais liés à l'instance :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

11. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Goujon-Fischer, président,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 décembre 2022.

Le président-rapporteur,

Signé : J. -F. Goujon-Fischer

L'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau

Signé : E. Meisse

La greffière,

Signé : V. Firmery

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

V. Firmery

2

N° 22NC01431


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01431
Date de la décision : 06/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GOUJON-FISCHER
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : ANNIE LEVI-CYFERMAN - LAURENT CYFERMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-12-06;22nc01431 ?
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