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01/12/2022 | FRANCE | N°21NC02823

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 01 décembre 2022, 21NC02823


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D..., en son nom personnel, et Me Bernard Lott, en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Golf de Sarreguemines, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire, aux frais de l'Etat, une mesure d'expertise en vue de chiffrer les préjudices subis par eux en raison d'une procédure de contrôle fiscal.

Par une ordonnance n° 2104103 du 18 octobre 2021, la juge des référés du tr

ibunal administratif de Strasbourg a désigné un expert à l'effet, notamment : (i...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D..., en son nom personnel, et Me Bernard Lott, en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Golf de Sarreguemines, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire, aux frais de l'Etat, une mesure d'expertise en vue de chiffrer les préjudices subis par eux en raison d'une procédure de contrôle fiscal.

Par une ordonnance n° 2104103 du 18 octobre 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a désigné un expert à l'effet, notamment : (i) de dire si la mise en recouvrement des impositions, les actes de poursuite, la condamnation solidaire du gérant au paiement de ces impositions ont eu une incidence sur la procédure de redressement judiciaire puis de liquidation judiciaire de la société Golf de Sarreguemines (ii) de chiffrer et évaluer précisément les divers chefs de préjudice invoqués par chacun des demandeurs.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 octobre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler cette ordonnance.

Il soutient que :

- la juge des référés a méconnu la compétence de la juridiction administrative en demandant à l'expert de se prononcer sur les conséquences de fautes dont l'appréciation relève de la compétence des juridictions judiciaires, en l'occurrence l'incidence de la condamnation pénale de M. D... ;

- la mesure d'expertise est inutile en ce que les demandeurs disposent de tous les éléments et documents leur permettant de soutenir leurs prétentions ;

- il n'existe manifestement aucun lien entre les préjudices allégués et l'action de l'administration, la liquidation de la société Golf de Sarreguemines n'étant due qu'à ses propres difficultés économiques et commerciales préexistantes au contrôle fiscal et en tout cas à la mise en recouvrement des impositions ;

- en tout état de cause, la mesure d'expertise devrait être cantonnée à la seule évaluation des préjudices et en aucun cas s'étendre à l'établissement d'un lien de causalité entre l'action de l'administration et les dommages allégués, cette qualification juridique relevant du seul office du juge.

Par un mémoire enregistré le 13 octobre 2022, M. D... et Me Lott en qualité de liquidateur de la société Golf de Sarreguemines concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.

L'instruction de l'affaire, dont la clôture avait été fixée au 14 octobre 2022, a été rouverte par la communication du mémoire en défense ci-dessus.

Par un mémoire enregistré le 26 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut aux mêmes fins que sa requête et par les mêmes moyens.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... ;

- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Picoche, représentant M. D... et Me Lott.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ".

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Avant tout procès et avant même que puisse être déterminée, eu égard aux parties éventuellement appelées en la cause principale, la compétence sur le fond du litige, et dès lors que ce dernier est de nature à relever, fût-ce pour partie, de l'ordre de juridiction auquel il appartient, le juge des référés a compétence pour ordonner une mesure d'instruction sans que soit en cause le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Il n'en est autrement que lorsqu'il est demandé au juge des référés d'ordonner une mesure d'instruction qui porte à titre exclusif sur un litige dont la connaissance au fond n'appartient manifestement pas à l'ordre de juridiction auquel il appartient.

3. Au soutien de leur demande d'expertise M. D... et la SARL Golf de Sarreguemines ont fait valoir qu'ils projetaient de rechercher la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices qu'ils soutiennent avoir subis du fait des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société à la suite d'une vérification de comptabilité et dont le caractère illégal a été reconnu par arrêt de cette cour du 5 mars 2019. Si dans le cadre de l'exposé des faits les demandeurs ont fait état des conséquences des poursuites pénales pour fraude fiscale engagées à l'encontre de M. D..., ils ont bien précisé qu'ils entendaient procéder à une évaluation de leurs préjudices causés par la faute de l'administration " s'agissant du volet administratif ". Un tel litige relève de la compétence des juridictions de l'ordre administratif. Par suite, le ministre chargé des finances publiques n'est pas fondé à soutenir que la juge des référés, par l'ordonnance attaquée, y compris en demandant à l'expert de déterminer le rôle qu'aurait joué la condamnation solidaire de M. D... prononcée par le juge pénal dans le déroulement de la procédure collective de la société, aurait ordonné une mesure d'instruction portant sur un litige dont la connaissance au fond n'appartiendrait manifestement pas à la juridiction administrative.

Sur l'utilité de la mesure d'expertise :

4. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de ces dispositions doit être, dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, relevant lui-même de la compétence de la juridiction à laquelle ce juge appartient, et auquel cette mesure est susceptible de se rattacher, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente, à la date à laquelle il statue, dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste, en l'état de l'instruction, de fait générateur, de préjudice ou de lien de causalité entre celui-ci et le fait générateur. Le juge des référés peut ordonner à un expert de recueillir et examiner toute information utile sur un préjudice allégué ainsi que de donner un avis sur l'évaluation de ce préjudice fournie par une partie, sans pour autant préjuger la responsabilité et l'appréciation que le juge du fond portera sur le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué.

5. Les demandeurs ont fait valoir que les conséquences dommageables des impositions assignées à la SARL Golf de Sarreguemines résidaient principalement dans la liquidation judiciaire de cette société prononcée le 12 février 2013 dans le cadre de la procédure collective ouverte par un jugement de redressement judiciaire du 11 décembre 2012. Contrairement à ce soutient le ministre chargé des finances publiques, il n'est pas manifeste au vu des pièces du dossier que cette procédure collective, ainsi que son issue, seraient exclusivement dues aux difficultés économiques préexistantes au contrôle fiscal de la SARL Golf de Sarreguemines. A cet égard, il ne saurait être exclu que le passif fiscal mis à la charge de la société, constitué au moins pour partie par les rappels de taxe sur la valeur ajoutée reconnus mal fondés, ait pu faire obstacle à toute perspective de redressement de la société. Par suite, le ministre chargé des finances publiques n'est pas fondé à soutenir qu'en l'état de l'instruction il n'existe manifestement pas de lien de causalité entre les impositions illégales et les préjudices allégués rendant inutile la mesure d'expertise sollicitée.

6. Si M. D... et Me Lott, ce dernier en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Golf de Sarreguemines, sont en possession des pièces comptables et des pièces de la procédure collective, notamment les rapports des organes de la procédure, il n'en demeure pas moins utile qu'une évaluation chiffrée des préjudices allégués puisse être effectuée contradictoirement par un expert indépendant désigné par le juge des référés plutôt que par un expert privé missionné par les seuls demandeurs. Contrairement enfin à ce que soutient le ministre, en demandant à l'expert de rechercher si les impositions mises en recouvrement, les actes de poursuites et la condamnation solidaire du gérant de la société au paiement des impositions avaient eu une incidence sur la procédure de redressement puis de liquidation judiciaire de la société, l'ordonnance attaqué n'a pas pour effet de préjuger la responsabilité et l'appréciation que le juge du fond portera sur le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué et ainsi suppléer les demandeurs dans l'administration de la preuve de ces éléments qui leur incombe.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a ordonné la mesure d'expertise litigieuse. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés dans la présente instance par M. D... et Me Lott.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Lott et M. D... la somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à M. E... D... et à Me Bernard Lott en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Golf de Sarreguemines.

Copie du présent arrêt sera transmise à M. C... A..., expert.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02823
Date de la décision : 01/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : LEONEM AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-12-01;21nc02823 ?
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