Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société CenturyLink Communications France a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision implicite du 27 février 2018 par laquelle Voies Navigables de France a rejeté sa demande indemnitaire préalable et de condamner Voies Navigables de France à lui verser la somme de 82 459,60 euros en réparation du préjudice résultant des redevances qu'elle a versées au titre des années 2013 à 2015, somme assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation.
Par un jugement n° 1802472 du 31 janvier 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires respectivement enregistrés le 3 avril 2020, le 8 décembre 2021, le 21 juin 2022 et 5 septembre 2022, ce dernier non communiqué, la société CenturyLink Communications France, devenue en cours d'instance la société Lumen Technologies France, représentée par Me Maurice demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 31 janvier 2020 ;
2°) d'annuler la décision implicite du 27 février 2018 par laquelle Voies navigables de France a rejeté sa demande indemnitaire préalable et de condamner Voies Navigables de France à lui verser la somme de 82 459,60 euros en réparation du préjudice résultant des redevances qu'elle a versées au titre des années 2013 à 2015, somme assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de Voies Navigables de France (VNF) le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en raison de l'insuffisance de sa motivation quant à ses demandes fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle de VNF ;
- la responsabilité de VNF est engagée, à titre principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour manquement à son obligation d'exécution de bonne foi des conventions d'occupation du domaine public, dès lors que, d'une part, les tarifs prévus dans les conventions n'ont pas été modifiés pour être mis en conformité avec les plafonds réglementaires institués par le décret 2005-1676 du 27 décembre 2005, et, d'autre part, ces tarifs n'étaient pas raisonnables et proportionnés par rapport à l'usage du domaine public fluvial concerné ;
- la responsabilité de VNF est également engagée, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle ;
- la responsabilité de VNF est engagée, à titre infiniment subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle pour enrichissement sans cause ;
- elle est fondée à solliciter une somme totale de 82 459,60 euros pour les préjudices subis au titre des années 2013, 2014 et 2015.
Par des mémoires en défense enregistrés le 22 juin 2020, le 24 mai 2022 et le 7 juillet 2022, Voies Navigables de France, représenté par la SCP Baker et McKenzie conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société CenturyLink Communications France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande indemnitaire est tardive dès lors que la société CenturyLink n'a contesté le montant des redevances d'occupation du domaine public que par un courrier du 22 décembre 2017, alors que chacune des trois conventions d'occupation du domaine public ayant procédé à leur fixation était arrivée à échéance respectivement le 10 mars 2014, le 28 février 2015 et le 30 octobre 2015 ;
- les dispositions du décret n° 2005-1676 du 27 décembre 2005 prises en application de la loi ne s'appliquent pas aux conventions conclues avant leur date d'entrée en vigueur comme en l'espèce ;
- aucun manquement à son obligation d'exécuter de bonne foi la convention et au principe de loyauté des relations contractuelles n'étant établi, sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée ;
- les trois conventions d'occupation domaniale n'étant pas entachées d'illégalité et les sommes réclamées étant fondées sur leurs dispositions, ses responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle ne peuvent être engagées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des postes et des communications électroniques
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Barrois, première conseillère,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- les observations de Me Benesty, représentant la société Centurylink,
- et les observations de Me De Saint-Pern, représentant Voies Navigables de France.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention n° 71 25 00 00017 conclue le 1er mars 2000 et arrivée à échéance le 10 mars 2014, Voies Navigables de France (VNF) a autorisé la société GC Pan european crossing France à laquelle s'est substituée la société Centurylink communications France devenue en cours d'instance la société Lumen Technologies France, à occuper temporairement le domaine public fluvial aux fins d'implanter des infrastructures permettant la mise en œuvre de réseau de télécommunications par deux traversées sous fluvial de la rivière Sarre et du canal de la Marne au Rhin par un fourreau de 73 mètres linéaire sur son domaine public. Par une deuxième convention n° 71 23 00 00012 en date du 1er mars 2000 et arrivée à échéance le 28 février 2015, VNF a autorisé la société Level 3 Communications France, à laquelle s'est également substituée la société Centurylink communications France devenue en cours d'instance la société Lumen Technologies France, à occuper le domaine public fluvial aux fins d'implanter ses infrastructures de télécommunications par trois traversées sous fluvial de la rivière de la Sarre, du canal des Houillères de la Sarre et du canal de la Marne au Rhin par un fourreau de 130 mètres linéaires au total. Enfin par une troisième convention n° 71 25 00 00030 en date du 1er novembre 2000 et arrivée à échéance le 30 octobre 2015, VNF a autorisé la société Level 3 Communications France, à laquelle s'est également substituée la société Centurylink communications France devenue en cours d'instance la société Lumen Technologies France, à occuper le domaine public fluvial aux fins d'implanter ses infrastructures de télécommunications pour une traversée sous fluviale du canal du Rhône au Rhin et une emprise terrestre le long de ce canal par 25 fourreaux soit 2 000 mètres linéaires. Par une demande indemnitaire préalable du 22 décembre 2017 à laquelle VNF n'a pas répondu, la société Lumen Technologies France a demandé à l'établissement public VNF de lui verser une somme de 82 459,60 euros en réparation du préjudice financier résultant du montant des redevances versées au titre des années 2013, 2014 et 2015. Par la présente requête, la société Lumen Technologies France relève appel du jugement du 31 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du point 6 du jugement attaqué que les premiers juges ont répondu aux moyens tirés de ce que le principe d'égalité entre les opérateurs et le principe de concurrence ont été méconnus en relevant que d'une part, la société CenturyLink, du fait de l'antériorité de sa présence sur le domaine public fluvial, ne saurait sérieusement soutenir se trouver dans une situation comparable à celle des opérateurs s'installant ultérieurement et bénéficiant des conditions tarifaires plus favorables au titre des années en litige et que d'autre part, la société requérante n'établissait pas que les tarifs retenus, eu égard aux avantages économiques dont elle a nécessairement bénéficié du fait d'une telle antériorité d'occupation, seraient manifestement disproportionnés et créeraient une distorsion de concurrence telle que la redevance contractuelle ne pourrait être maintenue sans que cela constitue une discrimination illicite. Ainsi, en motivant le rejet des conclusions subsidiaires présentées par la société Centurylink communications France tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de VNF, le tribunal administratif de Strasbourg a suffisamment motivé son jugement.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité contractuelle :
3. Aux termes de l'article L. 45-1 du code des postes et communications électroniques dans sa rédaction applicable à la date de signature des conventions litigieuses : " Les opérateurs titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 33-1 bénéficient d'un droit de passage sur le domaine public routier et de servitudes sur les propriétés privées mentionnées à l'article L. 48, dans les conditions indiquées ci-après. / Les autorités concessionnaires ou gestionnaires du domaine public non routier, lorsqu'elles donnent accès à des opérateurs titulaires de l'autorisation prévue à l'article L. 33-1, doivent le faire sous la forme de convention, dans des conditions transparentes et non discriminatoires et dans toute la mesure où cette occupation n'est pas incompatible avec son affectation ou avec les capacités disponibles. La convention donnant accès au domaine public non routier ne peut contenir de dispositions relatives aux conditions commerciales de l'exploitation. Elle peut donner lieu à versement de redevances dues à l'autorité concessionnaire ou gestionnaire du domaine public concerné dans le respect du principe d'égalité entre les opérateurs. Ces redevances sont raisonnables et proportionnées à l'usage du domaine. / L'installation des infrastructures et des équipements doit être réalisée dans le respect de l'environnement et de la qualité esthétique des lieux, et dans les conditions les moins dommageables pour les propriétés privées et le domaine public. ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 20-51 du même code : " Le montant des redevances tient compte de la durée de l'occupation, de la valeur locative de l'emplacement occupé et des avantages matériels, économiques, juridiques et opérationnels qu'en tire le permissionnaire. (...). " et aux termes de l'article R. 20-52 du même code : " Le montant annuel des redevances, déterminé dans chaque cas, conformément à l'article R. 20-51, en fonction de la durée de l'occupation, des avantages qu'en tire le permissionnaire et de la valeur locative de l'emplacement occupé, ne peut excéder : (...) II.- Sur le domaine public non routier, à l'exclusion du domaine public maritime : a) Sur le domaine public fluvial : 1° Dans le cas d'une utilisation du sol ou du sous-sol, par kilomètre et par artère : 1 000 euros ; 2° Dans les autres cas, par kilomètre et par artère : 1 000 Euros ; (...). ".
4. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, ni l'article L. 47 du code des postes et des communications électroniques, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, ni le décret n° 2005-1676 du 27 décembre 2005 relatif aux redevances d'occupation du domaine public non routier, aux droits de passage sur le domaine public routier et aux servitudes sur les propriétés privées prévus par les articles L. 45-1, L. 47 et L. 48 du code des postes et des communications électroniques, n'avaient vocation, en l'absence de disposition le prévoyant expressément, à s'appliquer aux situations contractuelles en cours à leur date d'entrée en vigueur, intervenue pour cette loi le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française et pour ce décret le 1er janvier 2006. Ainsi, les prescriptions des articles R. 20-51 et R. 20-52 du code des postes et des communications électroniques dans leur rédaction issue du décret du 27 décembre 2005, qui fixent en particulier un montant annuel maximal de redevance pour l'occupation du sous-sol du domaine public non routier, et en application desquelles ont été prises les décisions tarifaires du directeur général de VNF au titre des années 2013, 2014 et 2015, n'avaient pas vocation à s'appliquer à ces trois conventions.
5. En deuxième lieu, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que les stipulations des articles 12 des conventions n° 71 25 00 00017 18 et n° 71 23 00 00012 et de l'article 18 de la convention n° 71 25 00 00030 d'occupation domaniale n'aient pas été librement négociées et consenties par la société requérante qui les a exécutées jusqu'à leur terme, ni que VNF n'ait pas correctement exécuté ses propres obligations contractuelles. D'autre part, en l'absence de stipulations contractuelles prévoyant une modification des conventions en cas de changement de la réglementation applicable, la société Centurylink Communications France ne peut davantage se prévaloir d'une méconnaissance par VNF du principe de loyauté des relations contractuelles au motif que l'établissement n'a pas écarté les tarifs contractuels au profit de ceux résultant des décisions tarifaires du directeur général de VNF au titre des années 2013, 2014 et 2015. Par suite, les conventions litigieuses ne comportant aucune clause illicite et n'étant pas entachées d'un vice d'une particulière gravité ayant affecté leur conclusion dès lors que les tarifs contractuels avaient été librement acceptés par la société requérante, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que les conventions seraient illégales au motif que VNF aurait méconnu le principe de loyauté des relations contractuelles.
6. En troisième lieu, il résulte des dispositions du code des postes et des communications électroniques mentionnées au point 3 que la redevance imposée à un occupant du domaine public doit être raisonnable et proportionnée à l'usage du domaine et ainsi être calculée non seulement en fonction de la valeur locative d'une propriété privée comparable à la dépendance du domaine public pour laquelle la permission est délivrée mais aussi en fonction de l'avantage spécifique procuré par cette jouissance privative du domaine public. En se bornant à faire état du fait que les tarifs contractuels qui lui ont été appliqués étaient de deux à cent-une fois supérieurs au tarif appliqué par VNF aux autres opérateurs entre 2013 et 2015 et aux tarifs réglementaires résultant des décisions de son directeur général, la société Centurylink Communications France n'établit pas, faute de mettre en rapport le montant de la redevance qu'elle a versé et les avantages spécifiques que lui a procurés l'utilisation du domaine public pour déployer son réseau de télécommunication, que le tarif qui lui a été appliqué ne serait ni raisonnable ni proportionné aux avantages de toute nature qu'elle en a retirés, au sens des dispositions précitées du code des postes et des communications électroniques, lesquels, au demeurant, s'apprécient à la date de signature de la convention d'occupation. Au surplus, la société n'a jamais remis en cause ces tarifs pendant toute la durée de l'exécution de ces trois conventions et notamment les huit années ayant suivi la date d'entrée en vigueur de l'article R. 20-52 du code des postes et communications électroniques, ni sollicité une renégociation des stipulations des articles 12 et 18 concernant les modalités de calcul des redevances pour bénéficier des nouveaux tarifs alors même qu'elle ne peut soutenir ne pas avoir été informée de ces nouvelles dispositions réglementaires et des décisions du directeur général de VNF qui en ont découlé. Enfin, la société fait valoir que l'application de ces tarifs méconnaissent le principe de non-discrimination prévu à l'article L. 46 du code des postes et des communications électroniques avec les opérateurs bénéficiant des nouveaux tarifs qui n'était toutefois pas applicable à la date de signature des conventions en cause. En tout état de cause, la situation de la société requérante ne peut être appréciée qu'en comparaison avec celle des opérateurs ayant conclu des conventions avant le 1er janvier 2006. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les conventions seraient illégales au motif que les tarifs seraient déraisonnables, disproportionnés et méconnaîtraient le principe de non-discrimination.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Centurylink Communications France devenue la société Lumen Technologies France n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de VNF. Les conclusions indemnitaires présentées à ce titre doivent, en conséquence, être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle et quasi-contractuelle :
8. Il résulte de ce qui précède que les préjudices dont se prévaut la société Lumen Technologies France procèdent de l'exécution de l'article 18 de la convention n° 71 25 00 00030 et des articles 12 des deux autres conventions. Cette société ne peut dès lors exercer à l'encontre de VNF, en raison de ces préjudices, d'autre action que celle procédant de l'exécution de ces conventions dont il résulte de ce qui précède notamment au point 6 et de l'instruction qu'elles n'étaient pas entachées d'illégalité. Dans ces conditions, les conclusions présentées par cette société tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de VNF, au titre de la faute qu'aurait commise cet établissement public en raison de la distorsion tarifaire qu'elle a subie par rapport aux redevances instituées en conséquence de l'entrée en vigueur du décret du 27 décembre 2005 pour ses concurrents, mais aussi ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-contractuelle de VNF à raison de son enrichissement sans cause, doivent être rejetées.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par VNF, que la société Centurylink Communications France devenue la société Lumen Technologies France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de VNF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Lumen Technologies France demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette société une somme de 2 000 euros à verser à VNF sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Centurylink Communications France devenue la société Lumen Technologies France est rejetée.
Article 2 : La société Centurylink Communications France devenue la société Lumen Technologies France versera à l'établissement public Voies Navigables de France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Centurylink Communications France devenue la société Lumen Technologies et à l'établissement public Voies Navigables de France.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Goujon-Fischer, président-assesseur,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 novembre 2022.
La rapporteure,
Signé : M. BarroisLe président,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 20NC00872