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08/11/2022 | FRANCE | N°20NC01467

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 08 novembre 2022, 20NC01467


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Transports autocars Robert Credoz (Transarc) a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le département du Jura ou, à défaut, la région Bourgogne-Franche-Comté, à lui verser la somme totale de 2 477 550 euros HT en réparation du préjudice que lui a causé son éviction irrégulière de la procédure de passation des lots 1, 2 et 9 de la délégation de service public d'exploitation des lignes régulières de transport interurbain de personnes et des services de transport à l

a demande au sein du département du Jura.

Par un jugement n° 1602125 du 20 février...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Transports autocars Robert Credoz (Transarc) a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le département du Jura ou, à défaut, la région Bourgogne-Franche-Comté, à lui verser la somme totale de 2 477 550 euros HT en réparation du préjudice que lui a causé son éviction irrégulière de la procédure de passation des lots 1, 2 et 9 de la délégation de service public d'exploitation des lignes régulières de transport interurbain de personnes et des services de transport à la demande au sein du département du Jura.

Par un jugement n° 1602125 du 20 février 2020, le tribunal administratif de Besançon a mis le département du Jura hors de cause et rejeté la demande de la société Transarc.

Procédure devant la cour :

Par une requête et quatre mémoires enregistrés les 7 juillet 2020, 29 mars 2021, 27 septembre 2021, 1er octobre 2021 et 15 décembre 2021, la société Transarc, représentée par Me Palmier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la région Bourgogne-Franche-Comté, venant aux droits du département du Jura, à lui verser la somme de 2 477 500 euros hors taxe en réparation du préjudice découlant de son éviction irrégulière des lots 1, 2 et 9, assortie des intérêts de droit ;

3°) de mettre à la charge de la région Bourgogne-Franche-Comté une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est établi de graves irrégularités dans des conditions ouvrant droit à l'indemnisation de ses préjudices ;

- le principe d'impartialité a été méconnu, compte tenu de la présidence de la commission de délégation de service public par M. B..., intéressé ; il y a eu rupture d'égalité entre les candidats ; cette faute est susceptible de l'avoir privée d'une chance sérieuse de se voir attribuer les contrats litigieux, s'agissant en particulier du lot 2 ;

- les trois lots litigieux ont été irrégulièrement attribués à la société Keolis du fait de l'irrégularité de la prise en compte de la boutique multimodale située en gare de Lons-le-Saunier ;

- le lot 9 ne pouvait être attribué à la société Keolis alors que sa proposition de tarification n'était pas conforme aux données intangibles des cahiers des charges, et en l'absence d'information de l'ensemble des candidats d'une modification sur ce point ;

- le principe d'égalité a été méconnu au regard de l'appréciation du respect des exigences du règlement de la consultation sur l'heure d'arrivée des cars desservant les établissements scolaires s'agissant du lot 2, l'offre de la société Keolis était irrégulière à cet égard ;

- son offre a été dénaturée s'agissant de l'appréciation de la qualité de service ;

- les éléments intervenant pour la notation du critère relatif à la qualité du service ont été modifiés en cours de procédure ;

- il ne pouvait être renoncé à l'interdiction de la présentation des offres variables ; il ne pouvait être fait droit aux offres mutualisées de la société Keolis pour les lots 2 et 9 ; il n'a pas été procédé à une analyse lot par lot ;

- le choix de l'attributaire du lot 2 est entaché d'erreur manifeste d'appréciation alors qu'elle-même était classée première à l'issue de l'analyse des offres ;

- le rapport d'analyse des offres est entaché de contradictions et d'incohérences s'agissant des lots attribués à la société Keolis ;

- l'offre de Transdev ne pouvait être retenue pour le lot 1 sans justificatifs s'agissant de l'âge des véhicules, au regard de l'évolution de son offre en cours de négociation ; c'est l'offre initiale de Transdev qui a été retenue ; les véhicules mis en circulation ne sont pas conformes à l'offre ;

- les délais qui lui ont été impartis pour remettre son offre finale pour le lot 9 en se conformant aux modifications demandées par la collectivité étaient insuffisants ;

- les trois lots litigieux ont été attribués avant que les attributaires aient produit les éléments exigés à l'article 8 du décret n° 97-638 du 31 mai 1997 ;

- les critères d'appréciation des offres n'ont pas été hiérarchisés, en méconnaissance de l'article 41.3 de la directive du 26 février 2014 2014/23/UE ;

- l'offre de la société Keolis pour le lot 9 a été appréciée au regard d'éléments extrinsèques ou faux ;

- il y a eu rupture d'égalité dès lors que la société Keolis a bénéficié d'informations privilégiées s'agissant des lots 4 et 9 ;

- l'offre de la société Keolis et le contrat ont été signés par une personne n'y ayant pas qualité ; le dossier de candidature ne comportait pas les documents relatifs aux pouvoirs de la personne habilitée pour engager le candidat ;

- ces irrégularités fautives présentent un lien avec son éviction ; elle a été privée d'une chance sérieuse d'obtenir les contrats litigieux ; elle a été privée d'une marge nette d'au moins 1 777 500 euros, à parfaire par une expertise ; elle a subi un préjudice commercial de 450 000 euros hors taxe ; elle a droit à une somme de 50 000 euros hors taxe, sauf à parfaire, s'agissant des frais de présentation de ses offres.

Par cinq mémoires enregistrés les 16 octobre 2020, 26 avril 2021, 27 octobre 2021, 29 novembre 2021 et 21 janvier 2022, la région Bourgogne-Franche-Comté, représentée par Me Baron, conclut :

1°) au rejet la requête de la société Transarc ;

2°) à titre subsidiaire, à la condamnation du département du Jura à la relever et garantir des condamnations indemnitaires qui pourraient être prononcées à son encontre ;

3°) à ce que soit mis à la charge de la société Transarc, ou de toute partie perdante, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, la société n'avait aucune chance d'être attributaire ; il n'est pas justifié du quantum du préjudice allégué.

Par ordonnance du 17 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 29 janvier 2022.

Le 20 septembre 2022, en réponse à la demande qui lui en a été faite par la cour le 19 septembre 2022 en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la société Transarc a produit des pièces complémentaires.

Ces pièces ont été communiquées à la région Bourgogne-Franche-Comté, qui a présenté des observations sur cette production par un mémoire du 28 septembre 2022, qui a été communiqué.

Vu :

- la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution des contrats de concession ;

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 97-638 du 31 mai 1997 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Palmier, pour la société Transarc.

Une note en délibéré, présentée pour la société Transarc, a été enregistrée le 11 octobre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 16 juin 2015 au bulletin officiel d'annonces des marchés publics, le département du Jura a lancé une procédure de publicité et de mise en concurrence en vue de l'attribution d'une délégation de service public ayant pour objet l'exploitation des lignes régulières de transport interurbain de personnes et des services de transport à la demande pour une durée de sept ans à compter du 1er septembre 2016. La société Transports autocars Robert Credoz (Transarc) s'est portée candidate à l'attribution des lots 1, 2, 4, 5, 6, 8 et 9, correspondant chacun à une zone géographique. Le 24 mars 2016, le président du conseil départemental a notamment admis les sociétés Transarc, Keolis Monts Jura et Transdev pays d'or à participer aux négociations. Le 27 juin 2016, le département du Jura a décidé d'attribuer le lot 1 à la société Transdev pays d'or au titre d'une offre simple, les lots 4, 5 et 6 à la société Transarc au titre d'une offre mutualisée et les lots 2, 8 et 9 à la société Keolis Monts Jura au titre d'une offre mutualisée. La société Transarc a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le département du Jura ou, à défaut, la région Bourgogne-Franche-Comté à l'indemniser des préjudices résultant de son éviction irrégulière des lots 1, 2 et 9. Par un jugement du 20 février 2020, le tribunal a rejeté cette demande, après avoir mis hors de cause le département du Jura, au motif que la région était devenue la collectivité territoriale compétente en matière de transport interurbain en lieu et place du département à compter du 1er janvier 2017 et que les droits et obligations du département se rattachant à cette compétence et incluant les actions pendantes avaient été transférés à cette date à la région. La société Transarc doit être regardée comme relevant appel de ce jugement en tant uniquement qu'il rejette ses conclusions indemnitaires dirigées contre la région Bourgogne-Franche-Comté, cette dernière présentant, à titre subsidiaire, des conclusions d'appel en garantie à l'encontre du département du Jura.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si la société Transarc fait valoir que le jugement est irrégulier au motif que la procédure de passation de la délégation de service public litigieuse comporterait en réalité plusieurs irrégularités, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les circonstances dont elle se prévaut sont seulement susceptibles d'entacher le bien-fondé du jugement contesté, et non sa régularité.

Sur les conclusions indemnitaires de la société Transarc :

3. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

S'agissant du principe d'impartialité et l'octroi d'informations privilégiées :

4. En premier lieu, au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat.

5. Pour soutenir que ce principe a été méconnu, la société Transarc relève que M. B..., qui présidait la commission de délégation de service public, utilise le titre d'ingénieur honoraire de la SNCF et que la société Kéolis Mont Jura, attributaire de certains lots, appartient au groupe Keolis, détenu par la SNCF. Toutefois, l'utilisation de ce titre ne saurait démontrer l'existence d'un lien entre le président de la commission et la société Keolis Monts Jura. De plus, si M. B... a été chef de la section équipement à Mâcon de 1995 à 2001 puis chef de pôle ingénierie à Dijon, il est retraité depuis 2002. Dans de telles conditions, et en l'absence d'autres circonstances particulières, il ne résulte pas de l'instruction que le principe d'impartialité aurait été méconnu.

6. En deuxième lieu, la société Transarc soutient que la société Keolis Monts Jura a bénéficié d'informations privilégiées, en dehors des négociations proprement dites. Elle se prévaut d'un courriel qu'aurait envoyé un responsable de cette société à un autre membre du groupement concurrent, qui évoquait sa volonté de poser une question au jury " en marge de l'oral du lot 9 ", sur un point relatif au lot 4. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle question aurait effectivement été posée, ni que des réponses y auraient été apportées par les membres de la commission de délégation de service public. Dès lors, le moyen manque en fait.

S'agissant de l'appréciation de la régularité des candidatures :

7. Les dispositions de l'article 8 du décret du 31 mai 1997, alors en vigueur, si elles interdisent de prendre en considération les dossiers des candidats qui ne comportent pas les documents attestant de la régularité de leur situation fiscale et sociale, prévoient, y compris après la date limite de dépôt des candidatures, une procédure de régularisation. Dans l'hypothèse où la collectivité délégante fixe une date limite unique pour le dépôt de dossiers comportant, d'une part, les éléments nécessaires pour apprécier les garanties offertes par les candidats, notamment au regard de la satisfaction de leurs obligations fiscales et sociales, d'autre part, les offres proprement dites de ces candidats, cette procédure de régularisation trouve à s'appliquer, le cas échéant, après cette date limite, et jusqu'à ce que la commission mentionnée à l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales procède à l'ouverture des plis contenant les offres.

8. Le département a demandé à la société Keolis Monts Jura de régulariser sa candidature par la production de documents permettant d'apprécier ses garanties au regard de ses obligations fiscales et sociales, ainsi qu'une actualisation de ceux produits pour la société Transdev pays d'or. Ils ont été transmis respectivement les 13 et 15 janvier 2016, soit avant l'ouverture des offres réalisée le 19 janvier 2016. Dans ces conditions, la société Transarc n'est pas fondée à soutenir que les candidatures de ces sociétés étaient irrégulières.

S'agissant des critères de sélection des offres :

9. La société Transarc reproche au pouvoir adjudicateur de ne pas avoir hiérarchisé ces critères, en méconnaissance de l'article 41.3 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014, qui prévoit l'établissement d'une liste de critères par ordre décroissant d'importance. Toutefois, l'article 51 de cette directive impartissait aux Etats membres un délai de transposition s'achevant le 18 avril 2016, qui n'était pas expiré lors de la publication de l'avis de publicité le 16 juin 2015 et il résulte de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 et du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 que les mesures de transposition qu'ils ont adoptées n'étaient applicables qu'aux contrats de concession pour lesquels une consultation est engagée à compter du 1er avril 2016, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de cette directive est inopérant.

10. Par ailleurs, l'article 6 B du règlement de consultation prévoyait, au nombres des critères de sélection des offres, les " éléments financiers " dont le compte d'exploitation prévisionnel et la " qualité de service " au regard notamment du plan marketing. La société requérante fait grief au délégant d'avoir modifié ces critères en cours de négociation en demandant aux concurrents de ne pas chiffrer la ligne relative aux actions de marketing dans les comptes prévisionnels d'exploitation. Toutefois, l'article 4 e) de ce règlement prévoit que le plan marketing et les actions qui en découlent seront mis en œuvre par un groupement à constituer entre les titulaires des différents lots, qui devra proposer le plan de marketing annuel et coordonner les actions qui en découleront. Dans sa lettre du 3 mai 2016, le département s'est borné à préciser que la ligne relative aux actions marketing qui seront mises en œuvre par le groupement devait rester vierge dans les comptes d'exploitation, en indiquant qu'il arbitrerait ultérieurement s'agissant des actions devant être développées et qu'il fixerait alors le budget marketing du groupement. Dans de telles circonstances, la demande du département ne saurait être regardée comme ayant modifié les critères d'analyse des offres. La société Transarc n'est donc pas davantage fondée à soutenir que cette indication rendait impossible la présentation d'une offre technique et financière cohérente, en l'absence de communication de la contribution financière du département sur le plan marketing, étant précisé que le règlement de la consultation ne prévoyait pas que le montant de la contribution financière du département sur le marketing serait communiqué à l'avance.

S'agissant des offres mutualisées :

11. L'article 7 du règlement de la consultation prévoyait que " s'il soumissionne pour plusieurs lots, le candidat devra remettre un dossier pour chaque lot pour lequel il présente et préciser sur chaque enveloppe le lot concerné ". Il est constant que chaque candidat a présenté ses offres lot par lot. Il résulte toutefois de l'instruction qu'en cours des négociations, l'autorité délégante a informé l'ensemble des candidats, dans une logique d'optimisation financière, qu'il leur était possible de présenter, en complément des offres propres à chaque lot, des offres financières mutualisées portant sur plusieurs lots.

12. En premier lieu, il n'existe aucun texte ni aucun principe interdisant la présentation d'offres variables en matière de délégation de service public, la société Transarc ne pouvant utilement se prévaloir de l'article 10 du code des marchés publics.

13. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la modification apportée en cours de négociation serait à l'origine de l'éviction de la société requérante, puisqu'elle a elle-même présentée une offre financière inter-lot pour les lots 2 et 9 et qu'il n'est pas démontré qu'elle n'aurait pas été en capacité de proposer une offre mutualisée financièrement compétitive.

14. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, au regard notamment du rapport d'analyse des offres, que le département a procédé à une analyse de chacune des offres présentées par les candidats, qu'elle soit unique ou mutualisée, et que cette mutualisation ne faisait pas obstacle à une comparaison objective des offres des candidats.

S'agissant du délai de remise de l'offre finale :

15. La société Transarc fait valoir que le département lui a demandé, par un courriel adressé moins de 6 heures avant l'expiration du délai imparti pour la remise des offres finales pour le lot 9, deux comptes d'exploitation, l'un intégrant une ligne à haut niveau de service, l'autre sans cette ligne, et que ce délai était insuffisant.

16. Toutefois, il est constant que la société Transarc a remis les documents sollicités dans le délai qui lui était imparti. Il n'est ni établi, ni même allégué que la brièveté du délai ainsi fixé pour répondre à cette demande du délégant l'aurait privée de la possibilité d'améliorer son offre. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que l'irrégularité alléguée aurait eu une incidence sur l'appréciation de la valeur de son offre et partant sur son éviction. Elle n'est dès lors pas fondée à s'en prévaloir au soutien de ses prétentions indemnitaires.

S'agissant de la vérification d'une caractéristique déterminée :

17. Lorsque, pour fixer un critère ou un sous-critère d'attribution du contrat, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d'une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par les candidats.

18. L'article 4 c) du règlement de la consultation exigeait que les véhicules utilisés aient moins de 15 ans à tout moment de l'exécution de la convention. L'âge des véhicules utilisés constituait, en outre, l'un des éléments au regard duquel était apprécié le critère de la qualité de service, selon l'article 6 B de ce même document. Or, l'âge des véhicules ne saurait être regardé comme une caractéristique technique déterminée, pour l'application du principe cité au point précédent, de sorte que la société Transarc n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que des justificatifs auraient dû être demandés à la société Transdev pays d'or pour l'appréciation de son offre au titre du lot 1.

19. En outre, si la société requérante souligne que le caractère neuf des vingt véhicules proposés était peu compatible avec la baisse de prix annoncée dans l'offre finale, il résulte de l'instruction que la société Transdev pays d'or avait fait évoluer son contenu en ne proposant plus que onze véhicules neufs et dix véhicules d'occasion dont deux de réserve. La société Transarc n'est ainsi, en tout état de cause, pas fondée à se prévaloir d'une incohérence de l'offre qui aurait été de nature à justifier des vérifications de la part du département du Jura.

S'agissant de la compétence pour engager la société Keolis Monts Jura :

20. La société Transarc soutient que les offres et les contrats afférents aux lots 2 et 9 n'ont pas été signés par une autorité compétente. Toutefois, il résulte de l'instruction que les offres initiales ont été transmises par des courriers signés par les personnes exerçant alors les fonctions de président et de directeur de Keolis Monts Jura qui avaient qualité pour engager la société. La circonstance que les contrats eux-mêmes ont été signés, le 11 août 2016, par une autre personne est sans incidence sur la régularité de la procédure, et en tout état de cause sur la validité du contrat. En toute hypothèse, M. D..., directeur de la société Keolis Monts Jura, avait reçu compétence pour passer tous contrats et marchés, en vertu d'une décision du président de cette société du 1er juillet 2016.

21. Par ailleurs, la société Transarc fait grief au département, pour la première fois à hauteur d'appel, de ne pas s'être assuré que le dossier de candidature de la société Keolis Monts Jura comportait les documents relatifs aux pouvoirs de la personne habilitée pour engager le candidat, prévus par l'article 5 A du règlement de la consultation. Toutefois, ses allégations sur le caractère incomplet de la candidature ne sont pas assorties du moindre élément permettant de suspecter que la candidature aurait été, à cet égard, incomplète. Au contraire, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les courriers accompagnant les offres initiales étaient signés du directeur général et du président de la société Keolis Monts Jura, ainsi que du président directeur général de son co-traitant s'agissant du lot 2 et que le département s'était assuré du respect du caractère complet du dossier de candidature, en sollicitant les documents permettant d'apprécier le respect des obligations fiscales et sociales. Le moyen tiré du caractère irrégulier de la candidature de la société Keolis Monts Jura ne peut ainsi qu'être écarté.

S'agissant de la tarification de la ligne à haut niveau de service du lot 9

22. Il résulte de l'instruction que l'article 4 f) du règlement de la consultation prévoyait l'application d'une tarification unique pour les voyageurs commerciaux pour l'ensemble des lignes pour tous les trajets. En revanche, l'article 6 B, relatif aux critères d'évaluation des offres, précisait que les éléments financiers seraient appréciés au regard de la tarification commerciale appliquée à la ligne Lons-le-Saunier/Dole, concernant le lot 4, définie au point 4 a) comme une ligne spécifique, à haut niveau de service. Dans ces conditions, le règlement de la consultation n'avait prévu de déroger à la tarification unique qu'il avait fixée que pour la ligne à haut niveau de service du lot 4.

23. Au cours des négociations portant sur le lot 9, le département a demandé aux candidats de formuler des propositions pour améliorer l'organisation de la ligne 901 reliant Lons-le-Saunier et Bourg-en-Bresse. L'offre de la société Keolis Monts Jura, attributaire, a prévu, pour répondre à cette demande, une ligne à haut niveau de service, avec un tarif pour l'usager supérieur à celui résultant de la tarification unique, ce montant faisant baisser le montant de la compensation à verser par la collectivité. S'il résulte de l'instruction que les négociations ont porté sur l'amélioration du service de la ligne 901, il n'est pas établi que le département aurait informé l'ensemble des candidats admis à présenter une offre qu'ils pouvaient, en réponse à sa sollicitation concernant la qualité de la ligne 901, déroger à l'obligation de respecter la tarification unique prévue par le règlement de la consultation. Seule l'offre de la société Keolis Monts Jura a été modifiée en ce sens. Dans ces conditions, en l'absence d'élément permettant d'établir que les candidats auraient été tous admis, dans le cadre des négociations, à déroger à la règle de la tarification prévue par le règlement de la consultation, l'égalité de traitement entre les candidats a été méconnue.

S'agissant de l'appréciation des offres :

Quant aux lots 2, 8 et 9 :

24. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Keolis Monts Jura a distingué, dans son offre, les points de vente exploités par le groupement de transporteurs concessionnaires, parmi lesquels figurait la boutique multimodale de la gare de Lons-Le-Saunier, et ceux qu'elle exploitait elle-même. La société Keolis Monts Jura s'est seulement prévalue de la boutique en question, pour laquelle la société Transarc bénéficiait d'un bail en qualité de concessionnaire, pour les offres qu'elle avait formulées en groupement avec la requérante. Dès lors, la société Transarc n'est pas fondée à soutenir que la société Keolis Monts Jura a formulé des déclarations inexactes à l'appui de son offre.

25. En deuxième lieu, la société requérante soutient que l'offre de la société Keolis Monts Jura pour le lot 9 a été valorisée pour des trajets qui ne figuraient pas dans cette offre. Cependant, elle ne l'établit pas. Il est également soutenu que certains engagements contenus dans l'offre de la société Keolis Monts Jura ne seraient pas respectés, s'agissant de la fréquence de trajets de la ligne reliant Lons-le-Saunier à Bourg-en-Bresse le samedi, des horaires d'ouverture d'une boutique ou de la mise en place d'un numéro téléphonique gratuit. Toutefois, les conditions d'exécution du contrat, plusieurs années après sa passation, ne peuvent révéler une appréciation erronée des offres sauf à établir la fraude. Cette dernière n'est pas établie. Pour le même motif, le moyen tiré de ce que les autocars effectivement utilisés par la société Transdev pays d'or ne correspondraient pas à ceux figurant dans son offre doit être écarté.

26. En troisième lieu, d'une part, l'article 4 a) du règlement de consultation indiquait en son point 3 relatif à la desserte des établissements scolaires que " Le service doit obligatoirement être organisé, selon les principes suivants : (...) l'arrivée dans les établissements doit avoir lieu : (...) entre 10 et 15 minutes avant le début des cours pour les collégiens et les lycéens ". Il précise toutefois que " Toute difficulté liée au respect de ces principes d'organisation des services de transport devra être signalée par le candidat afin de trouver une solution de substitution ". Il suit de là que le respect du créneau de 10 à 15 minutes précédant le début des cours ne saurait être regardé comme une exigence intangible du cahier des charges, dont la méconnaissance rendrait les offres irrégulières.

27. D'autre part, pour le lot 2, et s'agissant de la desserte du collège de Chaussin, dont il est constant que le parking ne peut accueillir tous les cars, et où les cours commencent à 8h15, la société Transarc a proposé des arrivées à 7h45 et 7h50, alors que la société Keolis Monts Jura a prévu des arrivées entre 7h55 et 8h00. Compte tenu de ce qui a été indiqué au point précédent, la société Transarc n'est pas fondée à soutenir que l'offre de Keolis Monts Jura était irrégulière en raison de l'horaire retenu. En outre, l'horaire proposé par la société Keolis Monts Jura étant plus proche des exigences du règlement de consultation que celui proposé par la société Transarc, c'est sans dénaturation de leur offre respective et sans erreur manifeste d'appréciation que le délégant a apprécié plus favorablement l'offre de la première que celle de la seconde à cet égard. Si la société Transarc fait valoir par ailleurs que la société Keolis Monts Jura ne respecterait pas l'horaire qui figurait dans son offre, cette circonstance relative à l'exécution du contrat est sans incidence sur la procédure de passation de la délégation de service public sauf à démontrer la fraude. La société requérante n'établit pas que l'offre de la société Keolis Monts Jura aurait présenté, à cet égard, un caractère frauduleux.

28. De même, il ne résulte pas de l'instruction que l'appréciation plus favorable de l'offre de la société Keolis Monts Jura quant au critère de la qualité de service, s'agissant du plan de marketing et des outils de communication, par rapport à celle de la société Transarc procèderait d'une dénaturation de l'une ou de l'autre de ces offres, dont le rapport d'analyse des offres révèle qu'elles ont été appréciées de manière détaillée par le pouvoir adjudicateur. S'agissant en particulier de l'offre de la société Transarc, il résulte du rapport d'analyse des offres que contrairement à ce qui est soutenu, l'appréciation de son plan marketing ne se résume pas à la mention " peu de propositions ", mais a été faite au regard des campagnes à l'arrière des cars, des campagnes d'affichage dans les communes, d'une refonte de site internet, d'une boutique en ligne, d'une intégration à l'association " made in Jura ", de son local situé gare de Lons-le-Saunier, des tenues vestimentaires identiques et soignées, ainsi que d'un outil de géolocalisation.

29. En quatrième lieu, la société Transarc soutient également qu'elle devait se voir attribuer le lot 2 car elle estime avoir été classée première à l'issue de l'analyse des offres. Toutefois, le document dont elle se prévaut porte uniquement sur le critère financier, avant prise en compte des offres mutualisées. Par ailleurs, elle se prévaut d'incohérences au sein du rapport d'analyse des offres s'agissant de l'identification des offres simples ou mutualisées. Cependant, ce document, bien que comportant des erreurs matérielles, indique au niveau du choix du lot 2 que c'est bien l'offre mutualisée pour les lots 2, 8 et 9 de la société Keolis Monts Jura qui a été retenue.

30. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que l'attribution des lots 2, 8 et 9 à la société Keolis Monts Jura soit entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Quant au lot 1 :

31. Le moyen tiré de ce que c'est l'offre initiale de la société Transdev pays d'or qui aurait été prise en considération pour le lot 1, et non l'offre finale, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

32. Il résulte de tout ce qui précède que seule la procédure de passation du lot 9 est entachée d'irrégularité en tant qu'il ne résulte pas de l'instruction que tous les candidats admis à présenter leurs offres ont été informés de la possibilité de déroger à la règle de la tarification unique de toutes les lignes en méconnaissance du principe d'égalité. Cette irrégularité présente un lien avec l'éviction de la société Transarc, puisqu'elle a été privée de la possibilité d'utiliser cette faculté pour améliorer les modalités financières de son offre.

En ce qui concerne le préjudice indemnisable :

33. Il résulte de l'instruction que la société Transarc s'est portée candidate à l'attribution des lots 1, 2, 4, 5, 6, 8 et 9 et a présenté une offre financière mutualisée pour les lots 2 et 9. Pour le lot 2, non affecté par le vice retenu au point précédent, il résulte du rapport d'analyse des offres qu'indépendamment du coût, le groupement " Keolis Monts Jura/Ramousse " répondait plus favorablement aux critères " qualité et continuité du service " et " protection de l'environnement ". Le vice retenu concernant l'attribution du lot 9 doit ainsi être regardé comme étant demeuré sans incidence sur l'éviction de la société requérante du lot 2. Alors notamment qu'il existait trois concurrents pour le lot 9 et que la société Transdev pays d'or se distinguait, à l'instar de l'attributaire, pour ses propositions d'action de marketing et d'outils de communication, il ne résulte pas de l'instruction que la société Transarc disposait d'une chance sérieuse d'emporter ce lot. Par suite, elle n'est fondée qu'à demander l'indemnisation du remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre pour le lot 9, qu'elle n'était pas dépourvue de toute chance d'emporter.

34. A ce titre, elle ne peut utilement demander à être indemnisée des frais d'avocats et d'huissier qui sont sans rapport avec les frais engagés pour présenter son offre. Au regard des dépenses engagées pour la présentation des lots 1, 2 et 9, il sera fait une juste appréciation des frais de présentation de l'offre de ce dernier lot en l'évaluant à la somme de 10 000 euros, tous intérêts compris.

35. Il résulte de ce qui précède que la société Transarc est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande et à demander la condamnation de la région Bourgogne-Franche-Comté, qui s'est substituée au département du Jura, à lui verser la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts.

Sur les conclusions d'appel en garantie :

36. La région Bourgogne-Franche-Comté ne peut utilement demander sur le fondement du principe de compensation intégrale des transferts de compétence que le département du Jura la garantisse de sa condamnation. Ses conclusions d'appel en garantie ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'instance :

37. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Transarc, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région de Bourgogne-Franche-Comté le versement d'une somme de 1 500 euros à la société requérante, sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La région Bourgogne Franche-Comté est condamnée à verser la somme de 10 000 euros, tous intérêts compris, à la société Transarc.

Article 2 : La région Bourgogne-Franche-Comté versera à la société Transarc la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 20 février 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Transarc, à la région Bourgogne-Franche-Comté et au département du Jura.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2022.

La rapporteure,

Signé : A. C...

La présidente,

Signé : V. Ghisu-DeparisLa greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne au préfet du Jura en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 20NC01467


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC01467
Date de la décision : 08/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : BARON AIDENBAUM et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-11-08;20nc01467 ?
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