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11/10/2022 | FRANCE | N°20NC03570

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 11 octobre 2022, 20NC03570


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2020 par lequel la préfète du Bas-Rhin a décidé son transfert aux autorités allemandes.

Par un jugement n° 2006864 du 9 novembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg l'a admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le

9 décembre 2020, M. A..., représentée par Me Sabatakakis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2020 par lequel la préfète du Bas-Rhin a décidé son transfert aux autorités allemandes.

Par un jugement n° 2006864 du 9 novembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg l'a admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 décembre 2020, M. A..., représentée par Me Sabatakakis, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 9 novembre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2020 pris à son encontre par la préfète du Bas-Rhin ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile suivant la procédure normale valant autorisation provisoire de séjour en France, ou à défaut de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne répond pas au moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu ;

- son droit d'être entendu a été méconnu ;

- l'arrêté litigieux est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- la préfète a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 décembre 2020, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, la requête est irrecevable, en l'absence de motivation distincte de celle figurant dans la demande de première instance ;

- à titre subsidiaire, les moyens invoqués ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 février 2022.

Par ordonnance du 24 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 10 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant afghan, relève appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 novembre 2020 par lequel le la préfète du Bas-Rhin a décidé de son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète du Bas-Rhin :

2. Contrairement à ce que soutient l'administration, la requête d'appel de M. A... ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement ses écritures de première instance. Elle est, dès lors, recevable, la fin de non-recevoir invoquée par le défendeur doit donc être écartée.

Sur la régularité du jugement :

3. Dans son mémoire enregistré le 9 novembre 2020, avant la clôture de l'instruction, M. A... a invoqué le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu, qui n'était pas inopérant. Le jugement attaqué, qui rejette les conclusions à fin d'annulation du demandeur, sans répondre à ce moyen, est par suite entaché d'irrégularité, ainsi que le soutient M. A..., et doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur la légalité de la décision portant remise aux autorités allemandes :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que les services de la préfecture du Bas-Rhin ont remis le 17 septembre 2020 à M. A... deux brochures, intitulées " A. J'ai demandé l'asile dans l'UE - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " et " B. Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". Ces documents constituent la brochure commune visée au paragraphe 3 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 et contiennent l'intégralité des informations prévues par les règlements (UE) n° 603/2013 et n° 604/2013. Ces brochures, qui lui ont été délivrées en langue pachto que M. A... a déclaré comprendre, permettent au demandeur d'asile de bénéficier d'une information complète sur l'application de ces règlements. Il résulte de ce qui précède que le requérant s'est vu communiquer les éléments de la procédure de transfert. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

6. En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. En outre, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié, le 25 septembre 2019, d'un entretien individuel, lors duquel il a été en mesure de présenter, de manière utile et effective, ses observations sur la mesure envisagée. En outre, le requérant ne démontre pas qu'il disposait d'informations pertinentes tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la décision contestée et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à cette décision. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que son droit d'être entendu a été méconnu.

8. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté litigieux que la préfète du Bas-Rhin a procédé à l'examen de la situation personnelle de M. A..., de sorte que le moyen tiré du défaut d'un tel examen manque en fait.

9. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

10. L'arrêté attaqué a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Allemagne et non dans son pays d'origine. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités allemandes feraient structurellement ou systématiquement obstacle à l'enregistrement et au traitement d'une demande d'asile, qu'une telle demande ne serait pas examinée par ces mêmes autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'elles le renverraient d'office dans son pays d'origine. De plus, à supposer que l'intéressé ait fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire allemand devenue définitive, comme il le soutient, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne pourrait demander auprès des autorités allemandes un nouvel examen de sa situation au regard du droit d'asile, ni que les autorités allemandes, alors même que la demande d'asile de M. A... a été rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder à un éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine. Par ailleurs, M. A... ne produit aucun élément de nature à établir que, compte tenu de son état de santé, il serait dans une situation de particulière vulnérabilité, il ne pourrait pas voyager et que les autorités allemandes ne seraient pas en mesure de lui fournir les soins nécessaires L'intéressé ne se prévaut, par ailleurs, d'aucune attache en France. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la préfète du Bas-Rhin a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 2 novembre 2020 de la préfère du Bas-Rhin portant remise aux autorités allemandes.

Sur les conclusions accessoires :

12. En premier lieu, le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 novembre 2020, n'appelle aucune mesure d'exécution, de sorte que les conclusions à fin d'injonction de M. A... doivent être rejetées.

13. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, la somme demandée par le requérant.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2006864 du 9 novembre 2020 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : La demande de première instance présentée par M. A... et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022

La rapporteure,

Signé : A. B...La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 20NC03570


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03570
Date de la décision : 11/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SABATAKAKIS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-10-11;20nc03570 ?
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