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27/09/2022 | FRANCE | N°21NC02148

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 27 septembre 2022, 21NC02148


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du président du conseil départemental du Bas-Rhin de mise en œuvre d'une évaluation sociale ou médico-sociale des enfants mineurs présents à son domicile, révélée par le courrier qui lui a été adressé le 9 décembre 2020 ainsi que la décision portant qualification d'information préoccupante.

Par un jugement n° 2008308 du 25 mai 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande comme porté

e devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du président du conseil départemental du Bas-Rhin de mise en œuvre d'une évaluation sociale ou médico-sociale des enfants mineurs présents à son domicile, révélée par le courrier qui lui a été adressé le 9 décembre 2020 ainsi que la décision portant qualification d'information préoccupante.

Par un jugement n° 2008308 du 25 mai 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 juillet 2021, M. B..., représenté par Me Houver, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision demandant la réalisation d'une évaluation sociale ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité européenne d'Alsace une somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire enregistré le 7 juillet 2022, M. B..., représenté par Me Houver, conclut aux mêmes fins que précédemment et conclut en outre à l'annulation de la qualification du signalement en information préoccupante par le président du conseil départemental du Bas-Rhin.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé, en le privant de tout recours effectif, que le litige relevait de la compétence de la juridiction judiciaire, s'agissant d'investigations décidées par le département dans le cadre d'un signalement préventif, alors que le parquet ne pouvait pas légalement ordonner d'évaluation sociale ; il y aurait lieu de saisir le tribunal des conflits en application de l'article 35 du décret du 27 février 2015 ou de poser une question préjudicielle à la juridiction judiciaire ;

- le litige n'a pas perdu son objet ;

- la mesure litigieuse constitue un acte faisant grief, et non une mesure préparatoire ;

- elle est dépourvue de motivation ;

- les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration sont méconnues ;

- la décision contestée porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés, à l'intérêt supérieur des enfants ;

- le fait que le parquet ait sollicité une évaluation sociale caractérise un détournement de procédure et une erreur de droit ; la décision ordonnant la réalisation de cette évaluation est entachée de détournement de pouvoir et méconnait l'article L. 225-1-2 du code de l'action sociale et des familles ;

- la qualification d'information préoccupante est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré le 8 mars 2022, la collectivité européenne d'Alsace, venant aux droits du département du Bas-Rhin, représentée par Me Marcantoni, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que le litige ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative ;

- subsidiairement, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête, l'évaluation ayant été réalisée et l'information préoccupante classée sans suite ; l'acte litigieux constitue une mesure préparatoire, insusceptible de faire l'objet d'un recours en annulation ;

- à titre infiniment subsidiaire, les moyens invoqués dans la requête ne sont pas fondés ; le président du conseil département était en situation de compétence liée pour procéder à une évaluation du mineur concerné dès lors que la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) du Bas-Rhin avait qualifié les faits d'information préoccupante, le requérant n'ayant pas contesté cette décision.

Par ordonnance du 11 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Marcantoni, pour la collectivité européenne d'Alsace.

Considérant ce qui suit :

1. Les services de l'éducation nationale ont effectué, le 18 novembre 2020, un signalement portant sur la situation du fils de M. B..., né le 6 janvier 2016, au parquet des mineurs du tribunal de grande instance de Strasbourg. Par un soit-transmis reçu le 23 novembre 2020, le procureur de la République a demandé à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes du Bas-Rhin de procéder à une évaluation sociale ou médico-sociale des enfants mineurs présents au domicile de M. B.... Le président du conseil départemental du Bas-Rhin, à la suite de cette transmission, a estimé qu'elle révélait une information préoccupante et décidé de réaliser une évaluation sociale ou médico-sociale des enfants mineurs présents au domicile de M. B.... Ce dernier a été informé de cette mesure par un courrier du 9 décembre 2020. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision du 9 décembre 2020 comme portées devant un ordre juridictionnel incompétent pour en connaître.

2. Si la communauté européenne d'Alsace soutient que le litige était dépourvu d'objet devant les premiers juges, une telle circonstance, qui comme il va être dit au point 6 du présent arrêt est inexacte, ne prive en tout état de cause pas d'objet la requête d'appel dirigée contre le jugement du 9 décembre 2020.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 226-2-1 du code de l'action sociale et des familles : " Sans préjudice des dispositions du II de l'article L. 226-4, les personnes qui mettent en œuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent sans délai au président du conseil départemental ou au responsable désigné par lui, conformément à l'article L. 226-3, toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l'être, au sens de l'article 375 du code civil. (...) Cette transmission a pour but de permettre d'évaluer la situation du mineur et de déterminer les actions de protection et d'aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier. Sauf intérêt contraire de l'enfant, le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale ou le tuteur sont préalablement informés de cette transmission, selon des modalités adaptées ". L'article L. 226-3 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose : " Le président du conseil départemental est chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être. Le représentant de l'Etat et l'autorité judiciaire lui apportent leur concours./ Des protocoles sont établis à cette fin entre le président du conseil départemental, le représentant de l'Etat dans le département, les partenaires institutionnels concernés et l'autorité judiciaire en vue de centraliser le recueil des informations préoccupantes au sein d'une cellule de recueil, de traitement et d'évaluation de ces informations./ L'évaluation de la situation d'un mineur à partir d'une information préoccupante est réalisée par une équipe pluridisciplinaire de professionnels identifiés et formés à cet effet. A cette occasion, la situation des autres mineurs présents au domicile est également évaluée. (...) ". L'article D. 226-2-4 du même code précise que : " I.- Dès lors qu'une première analyse d'une information reçue à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation mentionnée à l'article L. 226-3 fait apparaître qu'il s'agit d'une information préoccupante au sens de l'article R. 226-2-2, le président du conseil départemental : 1° Confie l'évaluation de la situation du mineur à l'équipe pluridisciplinaire mentionnée à l'article L. 226-3 ; 2° Le cas échéant, saisit l'autorité judiciaire des situations de danger grave et immédiat, notamment dans les situations de maltraitance, conformément aux dispositions de l'article L. 226-4. II.- L'évaluation est réalisée sous l'autorité du président du conseil départemental dans un délai de trois mois à compter de la réception de l'information préoccupante. Ce délai est réduit en fonction de la nature et de la caractérisation du danger ou risque de danger et de l'âge du mineur, notamment s'il a moins de deux ans./ Lorsque l'évaluation en cours fait apparaître une situation visée à l'article L. 226-4, le président du conseil départemental saisit l'autorité judiciaire ".

4. Si le juge judicaire est compétent pour apprécier la suite à donner à un rapport d'évaluation qui lui serait transmis par un département, au titre de la protection de l'enfance, après l'évaluation diligentée par ses soins consécutive à une information préoccupante qu'il aurait reçu concernant la situation d'un enfant en danger ou risquant de l'être, les diligences mises en œuvre par le président du conseil départemental au titre de la procédure administrative d'évaluation sur le fondement des dispositions précitées, relèvent de la compétence de la juridiction administrative. Il en va ainsi, alors même que, comme c'est le cas en l'espèce, le président du conseil départemental a été saisi d'une information préoccupante par le biais du parquet, qui a sollicité, en dehors de toute procédure judiciaire, des éléments complémentaires et la réalisation d'une évaluation.

5. Il suit de là que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande, dirigée contre la décision du président du conseil départemental du Bas-Rhin analysant le signalement qui lui a été fait comme une information préoccupante, au sens de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles et décidant, en conséquence, de faire procéder à l'évaluation de la situation du fils de l'intéressé et de celle des autres mineurs vivant à son domicile, comme présentée devant un ordre juridictionnel incompétent pour en connaître. Le jugement attaqué étant irrégulier, M. B... est fondé à en demander l'annulation. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur les conclusions d'annulation :

En ce qui concerne l'exception de non-lieu :

6. La collectivité européenne d'Alsace fait valoir que l'évaluation est achevée et que le président du conseil départemental du Bas-Rhin a procédé au classement du dossier, estimant qu'aucun accompagnement particulier n'était nécessaire, tel qu'indiqué par des courriers du 30 avril 2021 adressés au parquet, ainsi qu'à M. B... et son épouse. Toutefois, cette circonstance n'a pas pour effet de priver d'objet la demande de M. B..., les actes contestés n'ayant pas été rapportés. La collectivité européenne d'Alsace n'est donc pas fondée à soutenir qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'annulation de M. B....

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la collectivité européenne d'Alsace :

7. Il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 9 décembre 2020, le président du conseil départemental du Bas-Rhin, estimant avoir été destinataire d'une information préoccupante concernant le fils de M. et Mme B..., a informé ces derniers qu'il demandait la réalisation d'une évaluation sociale et/ou médico-sociale de leurs enfants mineurs présents à leur domicile. Cette évaluation ne constitue que le premier acte de la procédure pouvant conduire à son issue à l'édiction d'une décision du président du conseil départemental, telle que la saisine du juge des enfants, la mise en œuvre de mesures éducatives ou l'abandon de la procédure. Les diligences révélées par le courrier du 9 décembre 2020 ne constituent donc pas des décisions mais ont le caractère de mesures préparatoires insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, quand bien même ce document précise que l'autorité judiciaire sera saisie en cas d'impossibilité d'évaluer la situation de l'enfant ou de refus des parents de rencontrer le professionnel désigné. Les conclusions de M. B... aux fins d'annulation sont, dès lors, ainsi que le fait valoir la collectivité venant aux droits du département, irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la collectivité européenne d'Alsace, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. B... la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la collectivité européenne d'Alsace sur le même fondement.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement n° 2008308 du tribunal administratif de Strasbourg du 25 mai 2021 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par la collectivité européenne d'Alsace au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et à la collectivité européenne d'Alsace.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2022.

La rapporteure,

Signé : A. C...La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 21NC02148


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02148
Date de la décision : 27/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : HOUVER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-09-27;21nc02148 ?
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