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21/07/2022 | FRANCE | N°19NC03568

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 21 juillet 2022, 19NC03568


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 29 janvier 2018, révélé par la lettre de notification du même jour, portant mutation de la direction départementale des finances publiques (DDFIP) de la Meuse à la DDFIP de Meurthe-et-Moselle et d'autre part, d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1821477- 1823158 du 8 octobre 2019, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du

29 janvier 2018 affectant d'office M. B... à la direction départementale des fina...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 29 janvier 2018, révélé par la lettre de notification du même jour, portant mutation de la direction départementale des finances publiques (DDFIP) de la Meuse à la DDFIP de Meurthe-et-Moselle et d'autre part, d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1821477- 1823158 du 8 octobre 2019, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du 29 janvier 2018 affectant d'office M. B... à la direction départementale des finances publiques de la Meurthe-et-Moselle à compter du 1er février 2018 et rejeté le surplus.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 1903568 le 9 décembre 2019, complétée par un mémoire enregistré le 9 décembre 2020, M. B... représenté par Me Bellanger, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement portant sur sa requête n° 1823158 du tribunal administratif de Nancy du 8 octobre 2019 en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation du refus implicite de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'action et des comptes publics, à titre principal, de lui octroyer la protection fonctionnelle, à titre subsidiaire, de réexaminer sa décision, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'est pas suffisamment motivé en n'ayant pas repris les multiples circonstances de fait laissant présumer un harcèlement moral ;

- la participation du rapporteur public en raison de ses liens professionnels avec le directeur départemental et les acteurs de l'affaire a eu une influence sur le sens du jugement et est dès lors irrégulière ;

- le jugement est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;

- les éléments présentés liés à la mise à l'écart des organes de direction et de participation, la privation croissante des informations utiles à ses fonctions, le retrait des tâches d'évaluation des membres du service, du positionnement croissant de la responsable pilotage et ressources dans sa sphère de compétence, des difficultés liées à une relation extraprofessionnelle au sein du service et d'une mesure de mutation d'office dans l'intérêt du service laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre et justifient le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

- les premiers juges se sont fondés sur des éléments parcellaires et discutables sans rechercher s'il y avait manquement de la hiérarchie notamment à son obligation de protection de la santé

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grossrieder, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Bellanger, pour M. B..., ainsi que celles de M. D... et Mme E..., pour le ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., nommé le 1er septembre 2011, administrateur des finances publiques adjoint (AFIPA) et affecté au sein de la direction départementale des finances publiques (DDFIP) de la Meuse depuis le 1er septembre 2012, a occupé un des quatre postes de responsable départemental, directement sous l'autorité du directeur départemental des finances publiques de la Meuse, au pôle " risque et audit ". M. B... a par courrier du 19 janvier 2018 saisi le directeur général des finances publiques d'une demande de protection fonctionnelle. Il relève appel du jugement du 9 octobre 2018 en tant que le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande d'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes du IV de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ".

3. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. Si cette protection n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

5. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. En premier lieu, M. B... fait valoir qu'il a été mis à l'écart des organes de direction et de participation de la DDFIP. Il ressort des pièces du dossier que ces organes se sont réunis moins souvent notamment à partir de 2016 dès lors qu'il n'est pas contesté que le directeur départemental prenait ses décisions après des réunions bilatérales avec la nouvelle responsable du pôle " pilotage et ressources " excluant ses autres adjoints de toute concertation. De même, M. B... et ses deux autres collègues n'ont plus été conviés qu'aux commissions paritaires ou comités techniques concernant spécifiquement le pôle dont ils avaient la direction, encore une fois seule la responsable du pôle " pilotage et ressources " était présente à toutes les instances de concertation ou de participation. En somme si M. B... et ses deux collègues ne se sont pas vus retirer de prérogatives et ont continué à participer aux seules instances participatives qui concernent leurs propres pôles, ils ont été délibérément exclus de toute concertation au sein de la direction et conduits à exercer leurs missions sans aucune transparence. A cet égard, il est constant que l'accès aux logiciels métier a été strictement limité pour les trois adjoints à charge pour la responsable du pôle " pilotage et ressources " de les informer, les privant ainsi concrètement de toute information utile à l'exercice de leurs fonctions.

7. En deuxième lieu, M. B... soutient qu'il s'est vu retirer les tâches d'évaluation des membres de son service qui lui étaient jusqu'alors dévolues. Il ressort des pièces du dossier que le directeur départemental a décidé de prendre en charge l'évaluation de tous les agents des pôles de M. B... et de ses deux collègues avec la collaboration de la responsable du pôle " pilotage et ressources ". Si une telle mission incombe au directeur lui-même qui peut dès lors choisir de ne pas la déléguer à ses adjoints, la pratique mise en œuvre par le directeur départemental a conduit à totalement exclure le chef de pôle M. B... de l'évaluation des agents composant le pôle qu'il dirige sans concertation ni information, le mettant dans l'ignorance de l'évaluation des membres de son équipe.

8. En troisième lieu, il ressort des comptes-rendus d'évaluations professionnelles de l'intéressé rédigés par le directeur départemental des finances publiques que si les qualités professionnelles de l'intéressé demeurent valorisées et ses aptitudes au grade supérieur soulignées, le compte-rendu au titre de l'année 2016 se révèle bien moins élogieux que ceux des années précédentes en mettant l'accent sur la nécessité pour l'intéressé de faire progresser l'organisation du service.

9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment d'un certificat médical établi le 30 mai 2017 par le médecin de prévention de la Meuse que les conditions de travail de l'intéressé généraient des risques psycho-sociaux impliquant un stress chronique et que la persistance de cette situation professionnelle pourrait aggraver son état de santé. Cette altération de son état de santé du fait des conditions de travail est confirmée par plusieurs certificats médicaux d'un médecin psychiatre ainsi que des arrêts maladie au cours de l'année 2018.

10. En dernier lieu, enfin, par un jugement du même jour le 8 octobre 2019, le tribunal administratif de Nancy a considéré qu'au regard tant de l'intention de l'administration que du contenu des missions attribuées à M. B..., la mutation d'office dans l'intérêt du service décidée par arrêté en date du 29 janvier 2018 constituait une sanction disciplinaire déguisée. Cette mesure a été prise sur demande et à la suite d'un rapport de l'autorité hiérarchique en raison de l'animosité de l'intéressé envers la directrice du pôle " pilotage et ressources " et de son manque de loyauté envers le directeur départemental.

11. Par suite, l'ensemble des faits mentionnés aux points 6 et suivants caractérise une dégradation des conditions de travail et de l'état de santé de M. B... de nature à faire naître une présomption de harcèlement moral exercé à son encontre par le directeur départemental des finances publiques de la Meuse.

12. En défense, si le ministre défendeur fait valoir que les griefs invoqués par M. B... sont relatifs à une nouvelle organisation du service depuis l'arrivée du nouveau directeur sans priver trois de ses adjoints sur quatre de leurs prérogatives et invoque des difficultés relationnelles entre les trois adjoints et l'autorité hiérarchique, lesquels auraient manqué de loyauté envers le directeur départemental et méconnu son autorité, il ne produit toutefois aucune argumentation précise de nature à justifier que les agissements dont fait état M. B..., en particulier sa mise à l'écart du service depuis l'arrivée du nouveau directeur départemental et la mutation d'office prononcée à son encontre et s'analysant en sanction disciplinaire déguisée seraient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

13. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme apportant un faisceau d'indices suffisamment probants pour permettre de considérer comme au moins plausible le harcèlement moral dont il s'est dit victime de la part de son supérieur hiérarchique. Par suite, c'est à tort que le directeur général des finances publiques a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle qu'il sollicitait.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

15. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".

16. En premier lieu, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait à la date du présent arrêt, l'exécution de ce dernier implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le directeur général des finances publiques fasse droit à la demande de protection fonctionnelle de M. B... concernant les faits mentionnés aux points 11 et suivants du présent arrêt. Il y a lieu d'enjoindre à cette autorité d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification de celui-ci. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

18. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens de la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1823158 du tribunal administratif de Nancy du 8 octobre 2019 et la décision implicite de rejet de la demande de protection fonctionnelle présentée par M. B... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au directeur général des finances publiques, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Grossrieder, présidente,

Mme Stenger, première conseillère.

Mme Sophie Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juillet 2022.

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : L. StengerLa présidente-rapporteure,

Signé : S. F...

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 19NC03568


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03568
Date de la décision : 21/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GROSSRIEDER
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : HMS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-07-21;19nc03568 ?
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