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30/06/2022 | FRANCE | N°19NC01465

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 30 juin 2022, 19NC01465


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'une part, d'annuler la décision du 16 février 2017 par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle a rejeté sa demande préalable d'indemnisation du 22 décembre 2016, d'autre part, de condamner le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle à lui verser la somme totale de 27 901 euros au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaire

s auxquelles il estime avoir droit pour les années 2012 et 2013 ou, subsid...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'une part, d'annuler la décision du 16 février 2017 par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle a rejeté sa demande préalable d'indemnisation du 22 décembre 2016, d'autre part, de condamner le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle à lui verser la somme totale de 27 901 euros au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaires auxquelles il estime avoir droit pour les années 2012 et 2013 ou, subsidiairement, au titre du paiement des heures supplémentaires effectuées en 2012 et 2013, ainsi que la somme totale de 5 579 euros en réparation des préjudices personnels et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis du fait de l'accomplissement d'un nombre d'heures de travail supérieur au maximum prévu par la réglementation en vigueur, enfin, d'assortir ces différentes condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable d'indemnisation et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1701065 du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Nancy a condamné le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle à verser à M. C... la somme de 300 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa réclamation préalable, a mis à la charge du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle une somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 mai 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 23 mars 2022 et non communiqué, M. D... C..., représenté par Me Duffaud, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1701065 du tribunal administratif de Nancy du 19 mars 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 16 février 2017 par laquelle le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle a rejeté sa demande préalable d'indemnisation du 22 décembre 2016 ;

3°) de condamner le service départemental d'incendie et de secours de

Meurthe-et-Moselle à lui verser la somme totale de 27 901 euros au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaires auxquelles il a droit pour les années 2012 et 2013 ou, subsidiairement, au titre du paiement des heures supplémentaires effectuées en 2012 et 2013 ;

4°) de condamner le service départemental d'incendie et de secours de

Meurthe-et-Moselle à lui verser la somme totale de 5 579 euros en réparation des préjudices personnels et des troubles dans les conditions d'existence subis du fait de l'accomplissement d'un nombre d'heures de travail supérieur au maximum prévu par la réglementation en vigueur ;

5°) d'assortir ces différentes condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable d'indemnisation et de leur capitalisation ;

6°) de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ses conclusions à fin d'indemnisation sont recevables dans leur ensemble ;

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté, pour défaut de liaison du contentieux, sa demande tendant à la réparation des troubles dans les conditions d'existence dès lors que sa réclamation indemnitaire avait lié le contentieux et qu'une demande préalable n'est pas nécessaire pour obtenir réparation d'un préjudice résultant de la violation d'une directive ;

- le jugement de première instance est également entaché d'irrégularité dès lors que le caractère contradictoire de l'instruction n'a pas été respecté ;

- le jugement de première instance est encore entaché d'irrégularité en ce que les premiers juges, d'une part, ont omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, relatives au travail de nuit, aux repos compensateurs, aux repos hebdomadaires et aux temps de pause, d'autre part, se sont contentés d'accorder une indemnité sollicitée à titre subsidiaire, sans se prononcer sur la demande formulée à titre principal ;

- la délibération du 17 décembre 2003 du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle, fixant, à compter du 1er janvier 2004, le temps de travail en service de garde des sapeurs-pompiers professionnels du corps départemental de Meurthe-et-Moselle, est illégale en ce qu'elle conduit à un dépassement du maximum autorisé par la réglementation européenne et nationale en matière de durée du travail effectif, n'instaure pas de période de référence de quatre ou de six mois, met en place un régime d'équivalence irrégulier et méconnaît les règles applicables en matière de rémunération des heures supplémentaires ;

- cette délibération méconnaît également les stipulations de l'article 8, de l'article 1er du premier protocole, ainsi que celles de l'article 14, combiné avec les articles 8 et 1er du premier protocole, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ces illégalités sont fautives et engagent la responsabilité du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle ;

- il est fondé à réclamer le paiement des heures de garde effectuées en 2012 et 2013 en sus du maximum autorisé de 1 607 heures ou, subsidiairement, de 2 068 heures de travail par an, ainsi que le versement d'une somme totale de 5 579 euros en réparation des préjudices personnels et des troubles dans les conditions d'existence subis du fait de l'accomplissement d'un nombre d'heures de travail supérieur au plafond institué par la réglementation en vigueur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2020, le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle, représenté par Me Jean-Pierre, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant d'une somme de 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les conclusions à fin d'indemnisation, en tant qu'elles tendent à la réparation des préjudices personnels et des troubles dans les conditions d'existence, sont irrecevables pour défaut de liaison du contentieux et que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 ;

- le décret n° 90-850 du 25 septembre 1990 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;

- le décret n° 2002-60 du 14 janvier 2002 ;

- le décret n° 2013-1186 du 18 décembre 2013 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,

- et les observations de Me Ponseele, substituant Me Duffaud, pour le requérant et de Mme A..., représentante du service départemental d'incendie et de secours de

Meurthe-et-Moselle.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... C... est sapeur-pompier titulaire non logé. Il exerce ses fonctions au sein du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle. Par un courrier du 23 décembre 2016, il a sollicité, auprès du président du conseil d'administration de cet établissement, le paiement des heures supplémentaires qu'il estime avoir effectuées au cours des années 2012 et 2013. Cette demande préalable ayant été rejetée le 16 février 2017, le requérant a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à la condamnation du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle à lui verser la somme de 27 901 euros au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaires ou, subsidiairement, une somme d'un même montant correspondant au paiement des heures supplémentaires effectuées en 2012 et 2013, ainsi que la somme de 5 579 euros en réparation des préjudices personnels et des troubles dans les conditions d'existence subis du fait de l'accomplissement d'un nombre d'heures de travail supérieur au maximum prévu par la réglementation en vigueur. Il relève appel du jugement n° 1701065 du 19 mars 2019 du tribunal administratif de Nancy en tant qu'il limite le montant de son indemnisation à la somme de 300 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa réclamation préalable, et rejette le surplus de ses conclusions indemnitaires. Si le requérant reprend également, devant la cour, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision ayant rejeté sa réclamation indemnitaire préalable, il ne relève pas de l'office du juge de plein contentieux indemnitaire de connaître de telles conclusions, cette décision ayant eu pour seul effet de lier le contentieux.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le mémoire en défense du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle, reçu au greffe du tribunal administratif de Nancy le 11 juillet 2018, a été communiqué au requérant le 13 juillet suivant et que la clôture de l'instruction, initialement fixée au 16 juillet 2018, a été reportée au 17 septembre 2018 par une ordonnance du 24 août 2018, afin de permettre à M. C... de répliquer par un mémoire complémentaire reçu le 14 septembre 2018. Par suite, alors même que le litige concernait, en première instance, quarante-six demandeurs et que le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle a disposé de presque quinze mois pour produire ses écritures, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le caractère contradictoire de l'instruction n'a pas été respecté et que cette circonstance a affecté la régularité du jugement contesté.

4. En deuxième lieu, contrairement aux allégations de M. C..., les premiers juges, après avoir visé le moyen tiré de ce que le système d'équivalence instauré par la délibération du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle du 17 décembre 2003 méconnaîtrait les dispositions de la directive n° 2003/CE/88 du 4 novembre 2003 relatives au travail de nuit, aux repos compensateurs, aux temps de pause et aux repos hebdomadaires, y ont répondu au point 13 de leur jugement en l'écartant comme inopérant. De même, il résulte également des motifs du jugement du tribunal qu'ils n'ont partiellement accordé au requérant l'indemnité sollicitée à titre subsidiaire qu'après avoir pris soin de rejeter, au point 15, les prétentions indemnitaires formulées par l'intéressé à titre principal. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le tribunal a méconnu la portée de ses écritures.

5. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

6. S'il est vrai que M. C... a limité ses prétentions, dans sa réclamation préalable adressée en décembre 2016 au service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle, à l'indemnisation du préjudice financier résultant du non-paiement de ses heures de garde, il est recevable à solliciter l'indemnisation de ses préjudices personnels et des troubles dans les conditions d'existence dès lors que de tels chefs de préjudice trouvent leur origine dans le même fait générateur que celui invoqué dans cette réclamation, résultant de l'illégalité de la délibération du 17 décembre 2003 du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle. Dans ces conditions, le jugement de première instance, en tant qu'il rejette comme irrecevables, pour défaut de liaison du contentieux, les conclusions de l'intéressé à fin d'indemnisation de ses préjudices personnels et des troubles subis dans ses conditions d'existence, est entaché d'irrégularité et doit être annulé dans cette seule mesure. Par suite, il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur ces conclusions et, par la voie de l'effet dévolutif, sur les autres conclusions de la requête.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation du préjudice financier résultant du non-paiement des heures de garde supplémentaires :

En ce qui concerne la responsabilité du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle :

7. Tout d'abord, aux termes de l'article 1er de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d'aménagement du temps de travail. / 2. La présente directive s'applique : a) (...) à la durée maximale hebdomadaire de travail (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même directive : " Aux fins de la présente directive, on entend par : 1. "temps de travail" : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ; (...) ". Aux termes de l'article 6 de cette même directive : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, (...) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires. ". Aux termes de l'article 16 de cette même directive : " Les États membres peuvent prévoir : (...) b) pour l'application de l'article 6, une période de référence ne dépassant pas quatre mois. / Les périodes de congé annuel payé, accordé conformément à l'article 7, et les périodes de congé de maladie ne sont pas prises en compte ou sont neutres pour le calcul de la moyenne ; (...) ". Aux termes du paragraphe 3 de l'article 17 de cette même directive : " Conformément au paragraphe 2 du présent article, il peut être dérogé aux articles 3, 4, 5, 8 et 16 : (...) c) pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit : (...) iii) (...) des services d'ambulance, de sapeurs-pompiers ou de protection civile ; ". Aux termes de l'article 19 de cette même directive : " La faculté de déroger à l'article 16, point b), prévue à l'article 17, paragraphe 3, et à l'article 18 ne peut avoir pour effet l'établissement d'une période de référence dépassant six mois. / (...) ".

8. Ensuite, aux termes du premier alinéa de l'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction alors applicable : " Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales et des établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 sont fixées par la collectivité ou l'établissement, dans les limites applicables aux agents de l'Etat, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités ou établissements. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 12 juillet 2001, pris pour l'application de cet article et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail applicables aux agents des collectivités territoriales et des établissements publics en relevant sont déterminées dans les conditions prévues par le décret du 25 août 2000 susvisé sous réserve des dispositions suivantes. ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 1er du décret du 25 août 2000, relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature : " Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 du même décret : " L'organisation du travail doit respecter les garanties minimales ci-après définies. / La durée hebdomadaire du travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut excéder ni quarante-huit heures au cours d'une même semaine, ni quarante-quatre heures en moyenne sur une période quelconque de douze semaines consécutives et le repos hebdomadaire, comprenant en principe le dimanche, ne peut être inférieur à trente-cinq heures. / (...) ".

9. Enfin, aux termes de l'article 1er du décret du 31 décembre 2001, relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels : " La durée de travail effectif des sapeurs-pompiers professionnels (...) comprend : 1. Le temps passé en intervention ; 2. Les périodes de garde consacrées au rassemblement qui intègre les temps d'habillage et déshabillage, à la tenue des registres, à l'entraînement physique, au maintien des acquis professionnels, à des manœuvres de la garde, à l'entretien des locaux, des matériels et des agrès ainsi qu'à des tâches administratives et techniques, aux pauses destinées à la prise de repas ; 3. Le service hors rang, les périodes consacrées aux actions de formation (...), et les services de sécurité ou de représentation ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " La durée de travail effectif journalier définie à l'article 1er ne peut pas excéder 12 heures consécutives. Lorsque cette période atteint une durée de 12 heures, elle est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale ". Aux termes de l'article 3 du même décret, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur, au 1er janvier 2014, du décret du 18 décembre 2013, relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels : " Compte tenu des missions des services d'incendie et de secours et des nécessités de service, un temps de présence supérieur à l'amplitude journalière prévue à l'article 2 peut être fixé à 24 heures consécutives par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours après avis du comité technique. / Ce temps de présence est suivi obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale. / Lorsque la durée du travail effectif s'inscrit dans un cycle de présence supérieur à 12 heures, la période définie à l'article 1er ne doit pas excéder 8 heures. Au-delà de cette durée, les agents ne sont tenus qu'à effectuer les interventions ". Aux termes de l'article 4 du même décret, dont les dispositions ont été abrogées au 1er janvier 2014 par le décret du 18 décembre 2013 : " Lorsqu'il est fait application de l'article 3 ci-dessus, une délibération du conseil d'administration après avis du comité technique paritaire fixe un temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail. / La durée équivalente ne peut être inférieure à 2 280 heures ni excéder 2 520 heures. / A compter du 1er janvier 2005, elle ne peut être inférieure à 2 160 heures ni excéder 2 400 heures. ". Aux termes de l'article 5 du même décret, dont les dispositions ont été abrogées au 1er janvier 2014 par le décret du 18 décembre 2013 : " Par dérogation à l'article 4 ci-dessus, le temps d'équivalence peut être majoré pour les sapeurs-pompiers professionnels logés (...). Il est fixé par délibération du conseil d'administration après avis du comité technique. ".

10. Le congé annuel des sapeurs-pompiers professionnels étant de cinq semaines par an, il résulte notamment des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d'aménagement du temps de travail, fixées par la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que le nombre maximal d'heures de travail pour chaque période de six mois, heures supplémentaires comprises, ne peut excéder 1 128 heures par semestre, soit 2 256 heures par an. Si cette directive, qui n'a pas vocation à s'appliquer aux questions de rémunération, ne fait pas obstacle, pour la rémunération des gardes de 24 heures effectuées par les sapeurs-pompiers professionnels, à l'instauration d'équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d'inaction que comportent ces périodes de garde, l'application d'un tel dispositif ne saurait conduire, en revanche, à une inobservation des seuils et plafonds prescrits par la directive pour 1'appréciation desquels les périodes de travail doivent être comptabilisées dans leur intégralité, sans possibilité de pondération.

11. Or, il résulte de l'instruction que, par une délibération du 17 décembre 2003, prise en application des articles 4 et 5 du décret du 31 décembre 2001, le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle a fixé, à compter du 1er janvier 2004, le temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail à 120 gardes de 24 heures pour les sapeurs-pompiers professionnels logés, soit 2 880 heures par an, et à 99 gardes de 24 heures pour les sapeurs-pompiers professionnels non logés, soit 2 376 heures par an. Ces périodes de garde, qui font obligation à l'agent concerné de demeurer à domicile ou, à tout le moins, dans l'enceinte du centre d'incendie et de secours, de manière à effectuer un départ immédiat après alerte, restreignent très significativement la possibilité pour l'intéressé de se consacrer, au cours de la période considérée, à ses intérêts personnels et sociaux. Il en résulte que ces périodes doivent, dans leur intégralité, être considérées comme du " temps de travail ", au sens des dispositions de l'article 2 de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003. Dans ces conditions, en fixant respectivement, à compter du 1er janvier 2004, les temps d'équivalence des sapeurs-pompiers professionnels logés et non logés à 2 880 et à 2 376 heures par an, la délibération du 17 décembre 2003 du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle méconnaît le plafond de 1 128 heures de travail par semestre, soit 2 256 heures par an, prescrit par la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003. Par suite, alors que, au surplus, cette délibération ne permet pas de garantir que, sur une période glissante de quatre ou de six mois, la durée hebdomadaire de travail de quarante-huit heures maximum sera respectée, cette illégalité fautive engage la responsabilité du service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle au titre des années en litige.

12. En revanche, eu égard à l'objet de la délibération du 17 décembre 2003, qui se borne à déterminer le temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail, sans préjuger des questions liées à la rémunération, à la santé ou à la sécurité des travailleurs concernés, M. C... ne saurait utilement soutenir que celle-ci serait illégale en ce qu'elle ne prévoit pas de différenciation des périodes de travail, en ce qu'elle méconnaîtrait les règles applicables en matière de rémunération des heures supplémentaires ou les dispositions de la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant le travail de nuit, les repos compensateurs, les repos hebdomadaires et les temps de pause et en ce qu'elle porterait atteinte au droit au respect des biens et au principe de non-discrimination dans la jouissance de ce droit garantis respectivement à l'article 1er du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 14 de cette même convention, combiné avec l'article 1er du premier protocole. De même, le requérant, qui ne démontre pas que l'intégralité des heures de garde accomplies constituerait des " heures de travail effectif " au sens de l'article 1er du décret du 31 décembre 2001, ne saurait utilement soutenir que cette délibération serait illégale en ce qu'elle entraîne un dépassement des plafonds de 1 607 heures ou de 2 068 heures, institué respectivement par le deuxième alinéa de l'article 1er et par le deuxième alinéa du premier paragraphe de l'article 3 du décret du 25 août 2000. Enfin, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la détermination d'un temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail, dont l'objet, ainsi qu'il a été dit, est de prendre en compte les périodes d'inaction que comporte le temps de garde, serait de nature, par elle-même, à limiter la possibilité pour les sapeurs-pompiers concernés de nouer et de développer des relations avec autrui. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la délibération du 17 décembre 2003 porterait atteinte, de façon disproportionnée, à son droit au respect de sa vie privée et familiale, ainsi qu'au principe de non-discrimination dans la jouissance de ce droit, garantis respectivement à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 14 de cette même convention, combiné avec l'article 8.

En ce qui concerne la réparation du préjudice financier allégué :

13. Aux termes de l'article 6-1 du décret du 25 septembre 1990, portant dispositions communes à l'ensemble des sapeurs-pompiers professionnels : " Le régime indemnitaire des sapeurs-pompiers professionnels est fixé par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours dans les limites déterminées aux articles suivants. ". Aux termes de l'article 6-7 du même décret : " En cas de dépassement d'horaire, les

sapeurs-pompiers professionnels peuvent percevoir, selon leur niveau indiciaire, les indemnités horaires pour travaux supplémentaires dans les conditions fixées par le décret n° 2002-60 du 14 janvier 2002 ou l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires dans les conditions fixées par le décret n° 2002-63 du 14 janvier 2002. (...) ".

14. Un agent ne peut utilement revendiquer aucun droit à rémunération ou à indemnité autre que ceux prévus par les textes légalement applicables. Or, il résulte des dispositions citées au point précédent que M. C... ne peut prétendre à l'indemnité horaire pour travaux supplémentaires, dès lors que les heures de garde dont le paiement est sollicité n'ont pas été effectuées au-delà du temps d'équivalence au décompte annuel du temps de travail fixé par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours. Le dépassement des durées maximales de travail, prévues tant par le droit de l'Union européenne que par le droit national, ne peut ouvrir droit, par lui-même, qu'à l'indemnisation des préjudices résultant de l'atteinte à la santé et à la sécurité, ainsi que des troubles subis dans les conditions d'existence. Dans ces conditions, M. C... ne peut prétendre au versement d'une somme de 27 901 euros au titre des indemnités horaires pour travaux supplémentaires, ni d'ailleurs, subsidiairement, au titre du paiement des heures supplémentaires effectuées en 2012 et 2013. Par suite, il n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, qui n'est pas contesté par la voie de l'appel incident, le tribunal administratif de Nancy ne lui a accordé que 300 euros à ce dernier titre.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation des préjudices personnels et des troubles dans les conditions d'existence :

15. D'une part, compte tenu de ce qui a été dit aux points 5 et 6 du présent arrêt, la fin de non-recevoir opposée en défense par le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle et tirée de l'irrecevabilité, pour défaut de liaison du contentieux, des conclusions de M. C... à fin d'indemnisation des troubles subis dans ses conditions d'existence ne peut qu'être écartée.

16. D'autre part, M. C... fait valoir que, du fait du dépassement de la durée maximale annuelle de travail autorisée, il a subi un surcroît de fatigue, ainsi qu'une diminution de son temps de récupération entre deux périodes de garde et de son temps disponible pour ses activités extraprofessionnelles. Il résulte de l'instruction, spécialement des plannings produits en première instance par l'intéressé, que le requérant a bénéficié, en 2012, de huit jours de congé de maladie et d'une garde de 24 heures de congé de fractionnement et, en 2013, d'une garde de douze heures de congé de fractionnement. Les congés de fractionnement, qui résultent du choix de l'agent de fractionner ses droits à congé annuel de manière à ne pas en bénéficier intégralement au cours de la période comprise entre le 1er mai et le 31 octobre, doivent être assimilés à des jours supplémentaires de congé annuel. Eu égard à ces congés et aux congés de maladie dont se prévaut M. C..., le seuil maximal de 2 256 heures de travail par an prescrit par la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, doit, par conséquent, être ramené à 2 194 heures en 2012 et à 2 252 heures en 2013. Il n'est pas contesté que les heures de garde accomplies par l'intéressé s'élèvent à 2 192 heures en 2012 et à 2 275 heures en 2013, soit un dépassement total de 23 heures. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ses préjudices en condamnant le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle à lui verser une somme de 300 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

17. M. C... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme mentionnée au point précédent à compter du 6 janvier 2017, date de réception de sa demande préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée le 14 septembre 2018. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.

Sur les frais de justice :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du défendeur le versement au requérant d'une somme de 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1701065 du tribunal administratif de Nancy du 19 mars 2019 est annulé en tant qu'il rejette pour irrecevabilité les conclusions de M. C... à fin d'indemnisation de ses préjudices personnels et des troubles subis dans ses conditions d'existence.

Article 2 : Le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle versera à M. C... la somme de 300 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2017, au titre des troubles dans les conditions d'existence. Les intérêts échus à la date du 14 septembre 2018, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle versera à M. C... la somme de 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de première instance et de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par le service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au service départemental d'incendie et de secours de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.

Le rapporteur,

Signé : E. B...

La présidente,

Signé : A. SAMSON-DYE

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au préfet de Meurthe-et-Moselle, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 19NC01465 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01465
Date de la décision : 30/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Services publics locaux - Dispositions particulières - Services d'incendie et secours.

Communautés européennes et Union européenne - Portée des règles du droit de l’Union européenne - Actes délégués.

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties.

Fonctionnaires et agents publics - Rémunération.


Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : SELARL JEAN-PIERRE et WALGENWITZ AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-30;19nc01465 ?
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