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29/06/2022 | FRANCE | N°19NC02738

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 29 juin 2022, 19NC02738


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. La société Bouygues Travaux Publics Régions France (Bouygues TPRF), venant aux droits de la société DTP, par une demande enregistrée sous le n° 1601809, a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la communauté d'agglomération du grand Troyes à lui verser une somme de 1 563 655 euros hors taxe (HT), assortie des intérêts moratoires capitalisés à compter de sa réclamation du 24 février 2016, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du grand Troyes le

versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du cod...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

I. La société Bouygues Travaux Publics Régions France (Bouygues TPRF), venant aux droits de la société DTP, par une demande enregistrée sous le n° 1601809, a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la communauté d'agglomération du grand Troyes à lui verser une somme de 1 563 655 euros hors taxe (HT), assortie des intérêts moratoires capitalisés à compter de sa réclamation du 24 février 2016, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du grand Troyes le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux dépens correspondant aux frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 52 593,13 euros.

II. La communauté d'agglomération du grand Troyes, par une demande enregistrée sous le n° 1602395, a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, dans le dernier état de ses écritures, premièrement, de condamner la société DTP à faire les travaux, d'un montant estimé de 811 200 euros TTC, permettant la levée de réserves, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, en assortissant cette condamnation d'une injonction et d'une astreinte de 2 000 euros par jour de retard, deuxièmement, de condamner la société DTP à l'indemniser des frais et coûts de maîtrise d'œuvre nécessités par ces travaux, évalués à 78 000 euros TTC, troisièmement, de condamner la société DTP au paiement des pénalités de retard définies à l'article 20.1-c du cahier des clauses administratives particulières, quatrièmement, d'assortir les pénalités des intérêts au taux légal avec capitalisation à compter du 5 novembre 2015 et, cinquièmement, d'appeler la société Safège en déclaration de jugement commun.

Par un jugement nos 1601809, 1602395 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après les avoir jointes, a rejeté l'ensemble de ces demandes, a mis les frais et honoraires de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 52 593,12 euros à la charge définitive, pour moitié, de la société Bouygues TPRF, venue aux droits de la société DTP, et, pour moitié, de Troyes Champagne Métropole et, enfin, a mis à la charge de la société Bouygues TPRF et Troyes Champagne Métropole la somme de 1 000 euros, chacune, à verser à la société Safège.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 2 septembre 2019, 23 septembre 2021, 4 mai 2022 et 27 mai 2022, sous le n° 19NC02738, la société Bouygues TPRF, représentée par la SELARL Cabinet Cabanes, Cabanes Neveu et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 2 juillet 2019, en tant qu'il rejette sa demande enregistrée sous le n° 1601809 ;

2°) de condamner la communauté d'agglomération du grand Troyes à lui verser une somme de 1 563 655 euros HT, assortie des intérêts moratoires capitalisés à compter de sa réclamation du 24 février 2016 ;

3°) de condamner la communauté d'agglomération du grand Troyes aux dépens correspondant aux frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 52 593,13 euros ;

4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du grand Troyes le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, elle a droit à l'indemnisation des difficultés rencontrées dans l'exécution du marché dès lors que celles-ci sont imputables à des fautes du maître de l'ouvrage ;

- l'inexactitude du dossier de consultation des entreprises est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la communauté d'agglomération du grand Troyes ; le maître de l'ouvrage n'a pas respecté l'indication selon laquelle les travaux seraient réalisés en période favorable avec très peu d'eau ; le refus d'ajourner les travaux et de prolonger les délais d'exécution ont aggravé la faute du maître de l'ouvrage ; la modification des conditions d'exécution des travaux est la conséquence directe de ce qu'ils n'ont pas été réalisés en période de basses eaux contrairement à ce qui était prévu dans le dossier de consultation des entreprises ;

- la réalisation d'un nouvel ouvrage à la suite de la destruction d'un premier ouvrage réalisé dans le cadre de l'exécution du contrat résulte d'une décision du maître de l'ouvrage à la suite d'un différend technique entre celui-ci, le maître d'œuvre et les services de l'Etat ; le défaut de maîtrise, par le maître de l'ouvrage, des informations transmises à l'entreprise est aussi constitutif d'une faute ;

- le dossier de consultation des entreprises ne prévoyait pas qu'elle aurait à sa charge l'identification et la déviation des réseaux existants et la libération des emprises ; l'inexactitude du dossier de consultation des entreprises sur ce point est, là encore, fautive ; elle est donc fondée à demander au maître de l'ouvrage l'indemnisation des préjudices financiers résultant de l'allongement de délai imputable à la prise en compte tardive de la nécessité de dévier ces réseaux ;

- à titre subsidiaire, elle a droit à l'indemnisation des préjudices résultant de la perméabilité des terrains dès lors que celles-ci est constitutive d'une sujétion imprévue ;

- il appartiendra à la cour de tirer les conséquences juridiques de la production par Troyes Champagne Métropole de son premier mémoire en défense après l'expiration du délai qui lui était imparti dans la mise en demeure.

Par des mémoires enregistrés les 5 novembre 2021, 5 et 23 mai 2022, la société Safège, représentée par Me Berbari, dans le dernier état de ses écritures, conclut, à titre principal, au rejet de l'appel en cause de Troyes Champagne Métropole comme irrecevable et à la confirmation du jugement en tant qu'il a fait droit à ses demandes principales, à titre subsidiaire, à sa mise hors de cause, à titre plus subsidiaire, au rejet de l'appel en cause de Troyes Champagne Métropole comme infondé, à ce que les conclusions et moyens qu'elle avait soulevés à titre subsidiaire devant le tribunal soient accueillis, à ce que le jugement soit infirmé en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire, à ce que Troyes Champagne Métropole soit condamnée à lui réparer les préjudices qu'elle a subis sur la digue " Labourat Rive Gauche " en lui versant la somme de 220 343,24 euros HT et à ce que la compensation des comptes entre les parties soit ordonnée et, enfin, en toutes hypothèses, à ce que la cour ordonne la capitalisation de l'ensemble des intérêts dus, condamne Troyes Champagne Métropole à lui verser la somme de 17 531,04 euros au titre des dépens de première instance, confirme l'imputation à la société Bouygues TPRF de la somme de 8 765,52 euros au titre de ces dépens, ce montant ayant été acquitté dans le cadre du dossier EXE n° 19NC02738 - 19NC02748, condamne Troyes Champagne Métropole à lui verser la somme de 1 000 euros allouée par le jugement attaqué, condamne Troyes Champagne Métropole à lui payer les intérêts au taux légal frappant le quantum dû, d'un montant de 9 765,52 euros, les intérêts au taux majoré de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier frappant le quantum dû, d'un montant de 9 765,52 euros, ces intérêts étant dus du fait de l'inexécution du jugement attaqué, condamne la société Bouygues TPRF à lui verser, les intérêts au taux légal frappant le quantum dû d'un montant de 9 765,52 euros, les intérêts au taux majoré de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier frappant le quantum dû d'un montant de 9 765,52 euros, ces intérêts étant dus du fait de l'exécution tardive du jugement attaqué, mette à la charge de Troyes Champagne Métropole la somme de 4 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, enfin, mettre à la charge de Bouygues TPRF la somme de 2 500 euros à lui verser sur le même fondement.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué n'a pas été exécuté en ce qui la concerne ;

- la requête d'appel ne contient aucune mise en cause, aucune conclusion et aucun moyen à son égard ;

- l'appel en garantie formé à son encontre par Troyes Champagne Métropole devant les premiers juges était irrecevable à défaut de fondement juridique;

- Troyes Champagne Métropole est irrecevable à déterminer pour la première fois en appel le fondement juridique de son appel en garantie ;

- l'appel en cause de Troyes Champagne Métropole n'est pas motivé ;

- elle doit être mise hors de cause ;

- la requête d'appel est infondée en ce qui la concerne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2022, Troyes Champagne Métropole, représentée par Me Hourcabie, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la condamnation de la société Safège à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, et, dans tous les cas, à ce que soit mis à la charge de la société Bouygues TPRF le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier ;

- les prétentions indemnitaires de la société requérante ne sont ni fondées, dès lors qu'aucune faute ne peut lui être reprochées, ni justifiées ;

- à titre subsidiaire, la société Safège sera condamnée à la garantir des indemnités mises à sa charge dès lors que le maître d'œuvre a une part de responsabilité importante concernant les différents chefs de préjudices dont la société requérante demande à être indemnisée.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la société Bouygues TPRF, dans la requête n° 19NC02738, tendant à l'indemnisation de l'allongement de la durée d'exécution des travaux en tant qu'elles sont fondées sur la responsabilité contractuelle sans faute du maître de l'ouvrage du fait de sujétions imprévues dès lors que cette cause juridique, qui n'est pas d'ordre public, est invoquée pour la première fois en appel.

Par un mémoire enregistré le 1er juin 2022, la société Bouygues TPRF a présenté ses observations sur le moyen relevé d'office.

Elle soutient qu'elle n'invoque que la responsabilité contractuelle pour faute du maître de l'ouvrage.

II. Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 septembre 2019 et 9 mai 2022, sous le n° 19NC02748, Troyes Champagne Métropole, représentée par Me Hourcabie, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 2 juillet 2019, en tant qu'il rejette sa demande enregistrée sous le n° 1602395 ;

2°) de condamner la société DTP à faire les travaux, d'un montant de 811 200 euros TTC, permettant la levée de réserves dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement ;

3°) d'assortir cette condamnation d'une injonction et d'une astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;

4°) de condamner la société DTP à l'indemniser des frais et coûts de maîtrise d'œuvre nécessités par les travaux de levée des réserves, évalués à 78 000 euros TTC ;

5°) de condamner la société DTP au paiement des pénalités de retard définies à l'article 20.1-c du cahier des clauses administratives particulières, et dont le montant sera fixé au jour du constat contradictoire de levées des réserves ;

6°) d'assortir l'ensemble des condamnations pécuniaires des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, à compter du 5 novembre 2015 ;

7°) de mettre à la charge de la société DTP le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'est pas suffisamment motivé en ce qui concerne le rejet de sa demande tendant à la condamnation de la société DTP à faire les travaux permettant la levée de réserves pour irrecevabilité ;

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que cette demande était irrecevable ; dès lors que sa demande s'inscrivait dans un cadre contractuel, il lui était loisible d'utiliser ses pouvoirs de contrainte ou de saisir le juge du contrat ; la jurisprudence " Préfet de l'Eure " ne lui était pas opposable ;

- le jugement est également irrégulier en ce qui concerne le rejet de sa demande tendant à la condamnation de la société DTP à l'indemniser des frais et coûts de maîtrise d'œuvre nécessités par ces travaux, évalués à 78 000 euros TTC ; dès lors que le décompte général était assorti d'une réserve sur ce point, les premiers juges ne pouvaient lui opposer son caractère définitif ;

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société DTP au paiement de pénalités de retard ; le jugement n'est pas suffisamment motivé sur ce point ; aucun principe ne s'oppose à ce que le juge puisse, au lieu et place du maître de l'ouvrage, appliquer les pénalités de retard qu'il appartient au titulaire de supporter en cas de manquement ;

- elle renvoie à ses écritures de première instance en ce qui concerne les conditions d'engagement de la responsabilité contractuelle pour faute de la société Bouygues TPRF et ses préjudices.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 octobre 2021 et 4 et 27 mai 2022, la société Bouygues TPRF, venant aux droits de la société DTP, représentée par la SELARL Cabinet Cabanes, Cabanes Neveu et associés, conclut au rejet de la requête de Troyes Champagne Métropole et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à sa charge sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par Troyes Champagne Métropole à l'appui de la contestation de l'irrecevabilité de ses conclusions de première instance ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, il résulte de la décision de réception avec et sous réserve du 14 août 2015 qu'il ne peut plus y avoir de réserves à lever en ce qui concerne les gabions, pour lesquels Troyes Champagne Métropole a accepté une réfaction le 31 août 2015, et que le litige concernant la levée des réserves est strictement limité à celles évoquées dans la liste jointe à la décision de réception ;

- l'expertise judiciaire conduit à écarter chacun des griefs de la requérante en ce qui concerne les plantes invasives, les nids de poule, les terriers et les gabions ;

- Troyes Champagne Métropole a fait le choix de ne pas surseoir à la notification du décompte, de sorte que le décompte général est devenu définitif pour les créances non inscrites au débit du décompte, ni réservées par lui ; elle ne peut dès lors plus en réclamer le paiement ;

- la société Safège bénéficie d'une voie de recours, prévue par l'article L. 911-9 du code de justice administrative, pour recouvrer les sommes qui lui sont dues en exécution du jugement ;

Par des mémoires enregistrés les 5 novembre 2021, 27 avril, 5 et 20 mai 2022, la société Safège, représentée par Me Berbari, dans le dernier état de ses écritures, conclut, à titre principal, au rejet de la requête de Troyes Champagne Métropole comme irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre elle et à la confirmation du jugement en tant qu'il a fait droit à ses demandes principales, et, en toutes hypothèses, à ce que la cour ordonne la capitalisation de l'ensemble des intérêts dus, condamne Troyes Champagne Métropole à lui verser la somme de 17 531,04 euros au titre des dépens de première instance, la somme de 1 000 euros allouée par le jugement attaqué ainsi qu'à lui payer les intérêts au taux légal frappant le quantum dû, d'un montant de 9 765,52 euros, les intérêts au taux majoré de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier frappant le quantum dû, d'un montant de 9 765,52 euros, ces intérêts étant dus du fait de l'inexécution du jugement attaqué, condamne la société Bouygues TPRF à lui verser, les intérêts au taux légal frappant le quantum dû d'un montant de 9 765,52 euros, les intérêts au taux majoré de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier frappant le quantum dû d'un montant de 9 765,52 euros, ces intérêts étant dus du fait de l'exécution tardive du jugement attaqué, et, enfin, mette à la charge de Troyes Champagne Métropole la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- l'ordonnance du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 25 février 2019 liquidant et taxant les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. A... à la somme totale de 52 593,13 euros et mis à la charge, pour un tiers, de la société Bouygues TPRF, pour un tiers, de Troyes Champagne Métropole et, pour un tiers, de la société Safège ;

- les autres pièces des dossiers.

Vu

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picque, première conseillère,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- les observations de Me Hourcabie, représentant Troyes Champagne Métropole ;

- les observations de Me Cabanes, représentant la société Bouygues TPRF,

- et les observations de Me Berbari, représentant la société Safège.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 24 juin 2013, la communauté d'agglomération du grand Troyes, devenue Troyes Champagne Métropole, a confié à la société DTP Terrassement, le lot " Labourat Rive Gauche " du marché public de travaux, à prix unitaire, ayant pour objet la " rénovation des digues de protection contre les inondations dans l'agglomération troyenne programme 2013 à 2015 ". La maîtrise d'œuvre de l'opération revenait à la société Safège. L'acte d'engagement prévoyait un délai d'exécution du chantier d'une durée maximale de quatre mois dont quatre semaines de préparation. Les travaux ont commencé au mois d'août 2013. Le 24 mars 2014, la société DTP Terrassement a demandé au maître d'œuvre de constater l'achèvement des travaux à la date du 4 avril 2014, ce qui a été refusé au motif que des compléments de justification sur la stabilité des gabions devaient être produits. La communauté d'agglomération a néanmoins pris possession de l'ouvrage au mois d'avril 2014. Les opérations préalables à la réception ont eu lieu le 30 juillet 2015. A cette occasion, le maître d'œuvre, en l'absence du représentant du pouvoir adjudicateur mais en présence du titulaire du marché public de travaux, a, dans un premier temps, constaté que les travaux de la " digue, y compris le déversoir avant reconfiguration, sauf reconfiguration du déversoir " étaient achevés depuis le 4 avril 2014 tandis que les travaux de reconfiguration du déversoir étaient terminés depuis le 7 juillet 2015, avant de proposer au maître de l'ouvrage de fixer le 7 juillet 2015 comme date d'achèvement des travaux. Suivant les propositions de la société Safège, le maître de l'ouvrage a, le 10 août 2015, d'une part, fixé le 7 juillet 2015 comme date d'achèvement des travaux et, d'autre part, prononcé la réception des travaux sous réserve de l'exécution de seize travaux et prestations énumérés en annexe 1, avant le 1er septembre 2015, et avec une réserve portant sur des imperfections et malfaçons indiquées en annexe 2. Il était demandé au titulaire soit de remédier à la réserve indiquée à l'annexe 2, relative aux vides et l'absence d'alignement vertical et horizontal des gabions du bas de la digue, avant le 1er septembre 2015, soit d'accepter une réfaction de 6 615 euros hors taxes (HT). Dans une lettre du 31 août 2015, la société DTP Terrassement a contesté la date d'achèvement des travaux retenue par le maître de l'ouvrage et la décision de celui-ci de prononcer une réception sous réserve, tout en acceptant la réfaction proposée en contrepartie de la levée de la réserve indiquée à l'annexe 2. Alors qu'aucune réponse explicite n'avait été apportée à ce courrier, la société DTP Terrassement a transmis le décompte final du marché au maître d'œuvre le 23 octobre 2015, en y intégrant des demandes complémentaires de nature indemnitaire pour un montant total de 1 563 655 euros HT, détaillées dans un " dossier de demandes complémentaires " annexé. Le 15 janvier 2016, Troyes Champagne Métropole a transmis à la société DTP Terrassement le décompte général du marché, rejetant toutes les demandes indemnitaires du titulaire et arrêtant le solde à 75 701,94 euros tout en réservant certains postes dans une " annexe 2 ". Le 24 février 2016, la société titulaire du marché public de travaux a formé un mémoire en réclamation contre le décompte général, en demandant que le total des sommes à porter à son crédit soit fixé à la somme de 3 121 937,86 euros HT (3 741 953,65 euros toutes taxes comprises (TTC)) comprenant les indemnités réclamées dans son dossier de demandes complémentaires. Par un courrier du 4 avril 2016, la communauté d'agglomération a rejeté cette réclamation et rappelé à l'entreprise qu'elle devait lever les réserves émises lors de la réception. Le 14 avril 2016, le maître de l'ouvrage a mis en demeure son cocontractant d'exécuter les travaux relatifs aux réserves nos 1 à 6 de l'annexe 2 du décompte général dans un délai de quinze jours, sous peine de voir leur exécution se faire à ses frais et risques ou que le marché soit résilié pour faute.

2. Le 15 septembre 2016, la société Bouygues Travaux Publics région France (TPRF), venant au droit de la société DTP Terrassement, a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la communauté d'agglomération du grand Troyes à lui verser, sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute, une somme de 1 563 655 euros, correspondant à la totalité des demandes indemnitaires présentées dans son " dossier de demandes complémentaires " annexé à son décompte final et dans son mémoire en réclamation contre le décompte général, assorties des intérêts moratoires calculés au 23 octobre 2015.

3. Parallèlement, le 25 novembre 2016, Troyes Champagne Métropole a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la société DTP à faire les travaux permettant la levée de réserves émises lors de la réception des travaux de rénovation des digues du Labourat Rive Gauche, à l'indemniser des frais de maîtrise d'œuvre nécessités par ces travaux et à lui payer les pénalités de retard définies à l'article 20.1-c du cahier des clauses administratives particulières, en assortissant ces condamnations des intérêts au taux légal avec capitalisation à compter du 5 novembre 2015.

4. Le 27 décembre 2018, M. A..., expert désigné par le tribunal, à la demande de la société DTP Terrassement, ayant pour mission de donner son avis sur les difficultés rencontrées lors de l'exécution du marché, la date d'achèvement des travaux et les réserves émises lors de la réception, a rendu son rapport. Les frais et honoraires de l'expertise ont été liquidés et taxés à la somme totale de 52 593,13 euros et mis à la charge, pour un tiers, de la société Bouygues TPRF, pour un tiers, de Troyes Champagne Métropole et, pour un tiers, de la société Safège, par une ordonnance du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 25 février 2019.

5. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, par un jugement nos 1601809, 1602395 du 2 juillet 2019, a, après les avoir jointes, rejeté les demandes de la société Bouygues TPRF et de Troyes Champagne Métropole (article 1er), mis la charge définitive des frais de l'expertise, pour moitié à la société Bouygues TPRF et pour moitié de Troyes Champagne Métropole (article 2) et, enfin, a mis à la charge de la société Bouygues TPRF et de Troyes Champagne Métropole la somme de 1 000 euros chacune à verser à la société Safège en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3). Par deux requêtes enregistrées sous les nos 19NC02738 et 19NC02748, qu'il y a lieu de joindre, celles-ci font appel de ce jugement, chacune en ce qu'il leur est défavorable. Par la voie de l'appel incident dans chacune des requêtes, la société Safège demande à la cour d'ordonner la capitalisation de l'ensemble des intérêts dus du fait des condamnations prononcées par le tribunal à son bénéfice.

Sur la régularité du jugement :

En ce qui concerne les conclusions de Troyes Champagne Métropole tendant à la condamnation de la société Bouygues TPRF à faire des travaux et à l'indemniser des frais de maîtrise d'œuvre :

6. En premier lieu, d'une part, si une personne publique est, en principe, irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont elle dispose ne fait pas obstacle, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, à ce qu'elle saisisse le juge d'administratif d'une demande tendant à son recouvrement. D'autre part, lorsque le juge du contrat est saisi d'action tendant à l'engagement de la responsabilité contractuelle pour faute d'une société titulaire d'un marché public de travaux, aucun principe ne s'oppose à ce que, saisi de conclusions en ce sens, il condamne cette dernière à une obligation de faire elle-même les travaux permettant de réparer le préjudice subi.

7. Il s'en suit que Troyes Champagne Métropole est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à la condamnation, sous astreinte, de la société Bouygues TPRF à faire les travaux nécessaires à la levée des réserves.

8. En second lieu, l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. Toutes les conséquences financières de l'exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. Lorsque des réserves ont été émises lors de la réception et n'ont pas été levées, il appartient au maître d'ouvrage d'en faire état au sein de ce décompte. À défaut, le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation des sommes correspondant à ces réserves. Les réserves ainsi mentionnées dans le décompte peuvent être chiffrées ou non. Lorsque les réserves sont mentionnées dans le décompte sans être chiffrées, celui-ci ne devient définitif que sur les éléments n'ayant pas fait l'objet de réserves. Après la transmission au titulaire du marché du décompte général qu'il a établi et signé, le maître d'ouvrage ne peut lui réclamer, au titre de leurs relations contractuelles, des sommes dont il n'a pas fait état dans ce décompte, nonobstant l'engagement antérieur d'une procédure juridictionnelle ou l'existence d'une contestation par le titulaire d'une partie des sommes inscrites au décompte général. Il ne peut en aller autrement, dans ce dernier cas, que s'il existe un lien entre les sommes réclamées par le maître d'ouvrage et celles à l'égard desquelles le titulaire a émis des réserves.

9. Il résulte de l'instruction que la communauté d'agglomération du grand Troyes a notifié le 15 janvier 2016 à la société DTP le décompte général du marché de travaux publics de rénovation de la digue du Labourat Rive Gauche. Dans ce décompte général, le maître de l'ouvrage a fait état, dans une " annexe 2 " de " réserves relatives aux travaux et prestations restant à effectuer, aux pénalités et à la responsabilité contractuelle du titulaire susceptible d'être engagée au titre des réserves émises lors de la réception et non levées " avant d'énumérer ces dernières : " 1. Présence de végétation non entretenue et non maîtrisée à retirer en crête de digue et sur le talus val, et enherbement à reprendre sur la totalité des talus val. / 2. Nombreux nids de poule, notamment sur la portion " rue Paul Bacquet " restant à reprendre. / 3. Deux plaques signalétiques endommagées, mal fixées à remplacer au PK 400 et PK 700. / 4. Une plaque signalétique noircie à nettoyer ou à remplacer au PK 1 500. / 5. Les terriers affectant l'ensemble de l'ouvrage sont à traiter, notamment ceux d'ores et déjà constatés aux PK 910, 870, 862, 852, 676, 662, 618, 595, 544, 518 et 176. / 6. En l'absence d'acceptation des conditions de la réfaction, cages gabions non conformes notamment entre les PK 1460 et 1520 ". L'annexe 2 du décompte général mentionne enfin une dernière réserve concernant " l'ensemble des pénalités de retard dues au titre du contrat ".

10. Ces réserves mentionnées dans le décompte général, que le maître de l'ouvrage n'était pas tenu de chiffrer, sont suffisamment précises et explicites. Par suite, contrairement à ce que soutient la société Bouygues TPRF, le décompte général n'était pas devenu définitif en ce qui concerne les travaux et prestations relatifs aux réserves émises lors de la réception et non levées.

11. Il s'en suit que Troyes Champagne Métropole est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté comme irrecevable, en raison du caractère définitif du décompte général, sa demande tendant à la condamnation de la société Bouygues TPRF à l'indemniser des frais supplémentaires de prestations de maîtrise d'œuvre occasionnés par les travaux de levée des réserves.

12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen d'irrégularité, que le jugement nos 1601809, 1602395 du 2 juillet 2019 est irrégulier en tant qu'il a rejeté les demandes de Troyes Champagne Métropole, présentées dans l'instance n° 1602395, tendant, d'une part, à la condamnation, sous astreinte, de la société Bouygues TPRF à faire des travaux de levée des réserves conformément à ses obligations contractuelles et, d'autre part, à l'indemniser des frais supplémentaires de maîtrise d'œuvre occasionnés par les travaux de levée des réserves, avec intérêts de retard au taux légal et capitalisation à compter du 5 novembre 2015. Le jugement attaqué doit donc, dans cette mesure, être annulé.

En ce qui concerne les conclusions de Troyes Champagne Métropole tendant à la condamnation de la société Bouygues TPRF à payer des pénalités :

13. Contrairement à ce qui est soutenu, les premiers juges, ont suffisamment motivé leur jugement, au point 18, portant rejet des demandes de Troyes Champagne Métropole tendant à ce que les pénalités de retard prévues par le contrat soient mises à la charge de la société Bouygues TPRF.

14. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par Troyes Champagne Métropole devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne dans le cadre de l'instance n° 1602395 tendant, d'une part, à la condamnation, sous astreinte, de la société Bouygues TPRF à faire des travaux de levée des réserves et, d'autre part, à l'indemniser des frais supplémentaires de maîtrise d'œuvre et, par la voie de l'effet dévolutif, sur les autres conclusions présentées par la collectivité publique, tant en première instance qu'en appel.

Sur les demandes de Troyes Champagne Métropole :

S'agissant des travaux de levée des réserves émises lors de la réception :

15. Il résulte de l'article 1.3 du cahier des clauses techniques particulières du marché (CCTP) que les travaux de rénovation de la digue du Labourat Rive Gauche portaient essentiellement sur des opérations de terrassement et des travaux spéciaux, ainsi que des travaux de déboisement, de défrichement et de génie végétal limités. En application de l'article 4.1 du même document contractuel, les travaux de terrassement comportaient la modification des hauteurs de la digue conformément au nouveau dimensionnement hydraulique, la réalisation d'un déversoir, la reprise d'une dalle en bitume, le colmatage de cavités et la reprise de la canalisation d'assainissement.

Quant à la présence de végétation non entretenue et non maitrisée en crête de digue et sur les talus aval et l'enherbement à reprendre sur les talus aval :

16. En application de l'article 4.3 du CCTP, la société DTP était en charge de décaper l'emprise complète de la partie déblayée sur une hauteur de 20 centimètres. Selon cette même stipulation : " Le décapage consiste en l'enlèvement de tout matériau compris dans cette épaisseur de 20 cm : - terre végétale : mise en dépôt provisoire en vue d'une réutilisation sur la digue actuelle et / ou pour autre digue à proximité, - sol en place : évacuation en décharge pour matériaux impropres ou réutilisation pour digue actuelle pour autre digue à proximité, - racines, souches, matière organique en général : enlèvement y compris au-delà de l'horizon des 50 cm et mise en décharge, - blocs : enlèvement y compris en dessous de l'horizon des 20 cm et mise en décharge et / ou réutilisation des blocs conformes aux spécifications du CCTP. / La terre végétale devra être exempte de plantes ou de parties de plantes appartenant aux espèces suivantes (...). Dans le cas de terres contaminées par ces plantes, le décapage sera aussi profond que nécessaire pour ne laisser aucune racine. Les terres contaminées par ces espèces pourront soit être enterrées profondément sur site, sous géotextile et sur des parcelles désignées par le Maître d'Ouvrage, soit mises en décharge ". En application de l'article 4.9.2.1.3, la terre végétale de la géo grille de protection du talus aval du déversoir devait en principe provenir du chantier et être expurgée des racines et végétaux, ainsi que des granulats supérieurs à 40 mm tandis que le semis herbacé utilisé pour les travaux d'hydro ensemencement devait être réalisé selon une densité d'environ 40g par m2.

17. Lors des opérations préalables à la réception qui se sont déroulées le 30 juillet 2015, le maître d'œuvre a constaté une végétation non entretenue et non maîtrisée en crête de digue et sur les talus, de manière généralisée. En conséquence, le maître de l'ouvrage a conditionné la réception au retrait de cette végétation et à la reprise de l'enherbement (réserve n° 1 de l'annexe 1). Troyes Champagne Métropole soutient que la présence d'une végétation incontrôlée et de plantes invasives est la conséquence de la méconnaissance, par le titulaire du marché, de son obligation, résultant des stipulations citées au point précédent, de mettre en place une terre exempte de végétaux. Il résulte toutefois de l'instruction, et en particulier des " chroniques photographiques du chantier Labourat RG " produites par le maître de l'ouvrage que le titulaire du marché a procédé au décapage des talus et au stockage de la terre végétale des talus entre le 5 et le 18 août 2013, avant d'effectuer les travaux de profilage des talus et de la digue entre le 19 août 2013 et le 1er septembre 2013 puis de poursuivre les travaux de terrassement par la mise en place des enrochements et des gabions. La société Bouygues TPRF produit également deux bons de décharge de terre et de plantes datés des 3 et 4 septembre 2013 ainsi que des pièces permettant d'établir que son sous-traitant a procédé à la végétalisation semi hydraulique des talus au mois de mars 2014 en utilisant un semi validé par le maître d'œuvre. Dans ces conditions, en se bornant à produire des photographies datées du 18 septembre 2014, soit plus d'un an après les travaux de décapage et de talutage, Troyes Champagne Métropole n'établit pas que la présence de végétation non contrôlée et de plantes invasives en crête de digue et sur les talus constatée lors des opérations de réception, qui, elles, ont eu lieu près de deux ans après les travaux en cause, résulterait d'une inexécution de ses obligations contractuelles par le titulaire du marché. Par suite, la réserve émise à la réception concernant ces désordres n'est pas fondée et Troyes Champagne Métropole ne saurait rechercher la responsabilité contractuelle de la société Bouygues TPRF au titre de ces chefs de préjudice.

Quant aux nids de poule en crête de digue sur la portion " Paul Bacquet " :

18. Aux termes de l'article 4.6 du CCTP : " Une couche de roulement de crête de 20 cm sera mise en place en crête de digue sur tous les tronçons exceptés les Th 9 à 12 (enrobé en crête). / Les matériaux constituants cette couche seront une grave concassée calcaire 0/31,5 mm. / Ils seront soumis à l' agrément du maître d'œuvre. / La mise en œuvre de la couche de roulement en crête sera réalisée par un engin léger circulant sur la plate-forme de la digue après réalisation des confortements. Le compactage devra être adapté aux conditions climatiques pour éviter tout orniérage ". Il n'est pas contesté que par un ordre de service n° 5 du 24 février 2014, il a été demandé à la société DTP de procéder à ces travaux sur les tronçons Th 9 à 12.

19. Il résulte de l'instruction que, lors de opérations préalables à la réception, le maître d'œuvre a constaté, sans plus de précision, la présence de " nombreux nids de poule " sur la portion " Paul Bacquet " de la piste de la crête de digue. En conséquence, le maître de l'ouvrage a conditionné la réception au colmatage de ces ornières. Toutefois, alors que l'expert judiciaire a relevé que la piste était composée d'un " stabilisé non revêtu incapable de supporter sans dommage une circulation même légère et faible ", Troyes Champagne Métropole ne conteste pas que le titulaire a effectué les travaux prévus par les stipulations précitées de l'article 4. 6 du CCTP, qui ne préconisaient que la pose d'une couche de grave concassée sans revêtement. Par suite, l'apparition de nids de poules ne résulte pas de la méconnaissance, par la société DTP, de ses obligations contractuelles. Dès lors, la réserve émise à la réception concernant ces désordres n'est pas fondée et Troyes Champagne Métropole ne saurait rechercher la responsabilité contractuelle de la société Bouygues TPRF, y compris sur le fondement de la garde de l'ouvrage non réceptionné, au titre de ce chef de préjudice.

Quant aux deux plaques signalétiques endommagées et à la plaque signalétique noircie :

20. Il résulte de l'instruction que, lors des opérations préalables à la réception, le maître d'œuvre a constaté que deux plaques signalétiques étaient endommagées et mal fixées et qu'une plaque était noircie. En conséquence, le maître de l'ouvrage a conditionné la réception au remplacement de ces plaques. Toutefois, d'une part, Troyes Champagne Métropole n'établit pas que la fixation des plaques endommagées n'aurait pas été faite conformément aux règles de l'art. Dans ces conditions, la réserve émise à la réception concernant ces désordres n'est pas fondée et Troyes Champagne Métropole ne saurait rechercher la responsabilité contractuelle de la société Bouygues TPRF, y compris sur le fondement de la garde de l'ouvrage non réceptionné, au titre de ce chef de préjudice.

Quant aux terriers à combler sur l'ensemble de l'ouvrage :

21. Il est constant que, bien que l'article 4.7 du CCTP prévoyait la pose d'une géogrille anti-fouisseur, les pièces du marché, conclu à prix unitaires, ne fixaient pas de quantité à mettre œuvre. Si l'expert a constaté la présence de " quelques terriers ", impossibles à dater, sur le talus coté terre, il n'en a pas observé coté lit du canal et a observé que si leur profondeur n'était pas connue ils ne provenaient pas de gros rongeurs aquatiques. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'au jour des opérations d'expertise et, au surplus, du présent arrêt, la digue remplit sa fonction. Dans ces conditions, et alors au demeurant que l'obligation de conseil envers le maître de l'ouvrage est un des éléments de la mission contractuelle de l'architecte, il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qu'affirme la collectivité publique, que, compte tenu des caractéristiques de l'ouvrage et de son expérience, l'entrepreneur de travaux aurait commis une faute en s'abstenant d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage, ou celle du maître d'œuvre, quant à la nécessité de poser de manière plus étendue une géogrille anti fouisseur afin de prévenir la création de brèches de circulation d'eau susceptible de porter atteinte à la solidité du talus. Par suite, la réserve émise à la réception concernant ces désordres n'est pas fondée et Troyes Champagne Métropole n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la société Bouygues TPRF au titre de ce chef de préjudice.

Quant aux cages gabions non conformes :

22. Aux termes de l'article 41. 7 du CCAP : " Si certains ouvrages ou certaines partie d'ouvrages ne sont pas entièrement conformes aux spécifications du marché, sans que les imperfections constatées soient de nature à porter atteinte à la sécurité, au comportement ou à l'utilisation des ouvrages, le représentant du pouvoir adjudicateur peut, eu égard à la faible importance des imperfections et aux difficultés que présenterait la mise en conformité, renoncer à ordonner la réfection des ouvrages estimés défectueux et proposer au titulaire une réfaction sur les prix. / Si le titulaire accepte la réfaction, les imperfections qui l'ont motivée se trouvent couvertes de ce fait et la réception est prononcée sans réserve ".

23. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 1, il résulte de l'instruction, et en particulier du procès-verbal dressé sur le formulaire " EXE 4 " et du formulaire " EXE 5 " des propositions du maître d'œuvre, que, lors des opérations préalables à la réception en date du 30 juillet 2015, la société Safège, après avoir mentionné que des compléments de justifications sur la stabilité des gabions avaient été demandés au titulaire au mois d'avril 2014, a constaté que les gabions du bas sur environs 300 mètres entre les PK 1460 et 1520 près de l'usine " Cémoi " présentaient un défaut esthétique majeur, causé par des " vides " et une absence d'alignement non conformes aux spécifications du marché, qui ne mettaient toutefois pas en cause la pérennité ou la stabilité de l'ouvrage. Le maître d'œuvre a alors proposé à Troyes Champagne Métropole de réceptionner les travaux en contrepartie de l'acceptation, par le titulaire du marché, d'une réfaction de 6 615 euros HT sur le prix 1.5.11.1 concernant les gabions. Le maître de l'ouvrage, dans sa décision de réception, d'une part, a conditionné la réception de l'ouvrage à la levée d'une réserve n° 12 concernant la mise en place de bornes de suivi altimétrique entre les PK 1460 et 1520 et, d'autre part, a émis une réserve à la réception concernant le défaut esthétique des gabions sur cette portion de la digue. Si, dans le formulaire " EXE 5 ", la société Safège avait observé que lors d'une réunion du 27 mars 2015, il avait été convenu, en présence du maître de l'ouvrage et de l'entreprise, que cette réserve sur les gabions soit levée en contrepartie d'une réfaction sur le prix et de la mise en place, par le titulaire, de bornes permettant de faire un suivi topographique, il résulte de la décision de réception du 10 août 2015 que le maître de l'ouvrage a finalement proposé au titulaire du marché de lever la réserve concernant le défaut esthétique des gabions à la seule condition qu'il accepte la réfaction sur le prix. Or, dans un courrier du 31 août 2015, la société DTP a accepté cette réfaction et a indiqué n'avoir pas mis en place les bornes de suivi altimétrique dès lors que ces travaux supplémentaires n'avaient pas été confirmés.

24. Il résulte de ce qui précède qu'aucune réserve suffisamment claire et précise n'a été émise dans la décision de réception concernant des manquements contractuels relatifs à la stabilité des gabions et, par suite, à la solidité de l'ouvrage et à la sécurité des usagers. Dans ces conditions, lorsque Troyes Champagne Métropole s'est bornée, dans le décompte général, à faire état d'une réserve n° 6, relative aux cages cabions non-conformes entre les PK 1460 et 1520, " en l'absence d'acceptation des conditions de la réfaction ", la collectivité publique doit être regardée comme ayant entendu émettre une réserve en rapport avec la seule réserve formulée à la réception sur le défaut esthétique des gabions. Or, ainsi qu'il a été dit au point précédent cette réserve avait été levée du fait de l'acception de la réfaction du prix par le titulaire. Par suite, le caractère définitif du décompte fait obstacle à ce que Troyes Champagne Métropole puisse obtenir, sur le fondement de la responsabilité contractuel du titulaire, l'indemnisation d'un éventuel préjudice concernant la stabilité des gabions.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de Troyes Champagne Métropole tendant à la condamnation de la société Bouygues TPRF à effectuer des travaux de levée des réserves, en assortissant cette condamnation d'une astreinte, doit être rejetée.

S'agissant des frais de maitrise d'œuvre nécessaires à la levée des réserves :

26. Les réserves émises à la réception, non levées et reprises dans le décompte général n'étant pas fondées, la demande de Troyes Champagne Métropole tendant à la condamnation de la société Bouygues TPRF à l'indemniser des frais supplémentaires de maîtrise d'œuvre occasionnés par les travaux de levée des réserves, avec intérêts et capitalisation, doit, par conséquence être rejetée.

S'agissant des pénalités de retard pour la levée des réserves :

27. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, et sans qu'il soit besoin d'examiner le bien-fondé de la fin de non-recevoir contractuelle opposée par la société Bouygues TPRF tirée du caractère définitif du décompte général sur ce point, Troyes Champagne Métropole n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas fait droit à sa demande relative aux pénalités de retard.

Sur les conclusions de la société Bouygues TPRF :

28. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché dans la mesure où celle-ci justifie qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre.

S'agissant de la non libération des emprises par le maître de l'ouvrage et du déplacement du câble HDA :

29. Aux termes de l'article 10.1 du CCAP du marché en litige stipule : " Les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux, y compris les frais généraux (...). A l'exception des seules sujétions mentionnées dans le marché comme n'étant pas couvertes par les prix, ceux-ci sont réputés tenir compte de toutes les sujétions d'exécution des travaux qui sont normalement prévisibles dans les conditions de temps et de lieu ou s'exécutent ces travaux, que ces sujétions résultent notamment : (...) - de la présence de canalisations, conduites et câbles de toute nature, ainsi que des chantiers nécessaires au déplacement ou à la transformation de ces installations (...). Les prix sont réputés avoir été établis en prenant en considération qu'aucune prestation n'est à fournir par le maître d'ouvrage. / Le titulaire est réputé avoir pris connaissance des lieux et de tous les éléments afférents à l'exécution des travaux : il reconnait avoir notamment, avant la remise de son acte d'engagement : / pris connaissance complète et entière du terrain et de ses abords, ainsi que des conditions d'accès et des possibilités de desserte en voirie et réseaux divers (...) ".

30. En premier lieu, il résulte de ces stipulations que la présence de réseaux enterrés et le risque de devoir les déplacer étaient des sujétions prévues par le contrat et dont le titulaire devait tenir compte pour l'établissement de son prix. Par suite, les préjudices résultant de la prise en compte tardive par le titulaire du marché de la nécessité de dévier les réseaux présents sur le chantier ne sauraient être regardés comme étant imputables à une quelconque faute du maître de l'ouvrage.

31. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise, que le nécessité de déplacer un câble HDA résulte d'une erreur de conception imputable au maître d'œuvre. Par suite, la société requérante, qui ne conteste pas cette analyse, ne saurait se prévaloir d'une quelconque faute du maître de l'ouvrage pour demander l'indemnisation des préjudices résultant de cette difficulté rencontrée lors de l'exécution du marché.

S'agissant de la modification de la conception du déversoir :

32. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que, sur le fondement des observations émises par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) à l'issue d'une visite de chantier, le maître de l'ouvrage a demandé au titulaire du marché de travaux d'effectuer des travaux de reconfiguration du déversoir en amont du pont des Triverts, à la suite d'une erreur de conception de sa dimension imputable au maître d'œuvre. Par suite, la société requérante ne saurait rechercher la responsabilité pour faute du maître de l'ouvrage pour demander l'indemnisation des préjudices résultant de cette difficulté rencontrée lors de l'exécution du marché.

S'agissant de l'allongement de la durée des travaux :

33. Il résulte de l'instruction que, selon les termes de l'acte d'engagement signé le 24 juin 2013, le délai d'exécution des travaux était de quatre mois, comprenant quatre semaines de préparation. Ainsi qu'il a été dit précédemment, les travaux ont démarré le 5 août 2013 mais ne se sont achevés qu'en avril 2014 pour une partie de l'ouvrage et en juillet 2015 concernant le déversoir à reprendre. La société Bouygues TPRF soutient que l'allongement de la durée du chantier a eu pour conséquence de la contraindre à travailler en période défavorable avec beaucoup d'eau. Toutefois, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne ressort pas des pièces contractuelles que le maître de l'ouvrage s'était engagé à ce que les travaux soient réalisés en période de basses eaux. En particulier, la préconisation d'une méthodologie envisageable qu'en période de basses eaux ne saurait valoir engagement du maître de l'ouvrage à ce que les travaux soient uniquement réalisés en présence de basses eaux. Par suite, la société requérante n'établit pas la réalité d'une quelconque faute du maître de l'ouvrage, tant dans la définition des besoins que dans la direction du marché, pour demander l'indemnisation des préjudices résultant de cette difficulté rencontrée lors de l'exécution du marché.

34. Il résulte de ce qui précède que la société Bouygues TPRF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses conclusions indemnitaires, uniquement fondée sur la responsabilité contractuelle pour faute du maître de l'ouvrage.

Sur les conclusions de la société Safège :

35. L'ordonnance du président du tribunal de Châlons-en-Champagne du 25 février 2019 a mis les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 52 593,12 euros à la charge de la société Bouygues Travaux Publics Régions France, de Troyes Champagne Métropole et de la société Safège à raison d'un tiers chacune. Par le jugement contesté, le tribunal a mis ces frais pour moitié à la charge la société Bouygues Travaux Publics Régions France et pour moitié à la charge de Troyes Champagne Métropole. Il a également mis à la charge de ces dernières la somme de 1 000 euros au bénéfice de la société Safège sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

36. Tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts du jour de son prononcé jusqu'à son exécution. La somme allouée au titre des frais non compris dans les dépens et au titre des frais d'expertise est productive d'intérêts dans les conditions fixées par l'article 1153-1 du code civil à compter de l'intervention de la décision juridictionnelle qui l'accorde.

En ce qui concerne les intérêts :

37. Si la société Safège demande la condamnation de la société Bouygues Travaux Publics Régions France et de Troyes Champagne Métropole à lui verser les intérêts des sommes dues au titre des dépens et de l'application de l'article L. 761-1 en application du jugement en litige, de telles conclusions relèvent de la procédure d'exécution du jugement et non du juge du fond. Elles ne peuvent par suite qu'être rejetées.

En ce qui concerne la capitalisation des intérêts dus en exécution du jugement attaqué :

38. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond.

39. La capitalisation des intérêts a été demandée le 5 mai 2022. A cette date, dans l'hypothèse où le jugement du 2 juillet 2019 en litige n'aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts sur les sommes dues à la société Safège en exécution du jugement attaqué. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.

Sur les frais d'instance :

40. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement nos 1601809, 1602395 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 2 juillet 2019 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Troyes Champagne Métropole, présentées dans l'instance n° 1602395, tendant, d'une part, à la condamnation, sous astreinte, de la société Bouygues TPRF à faire des travaux de levée des réserves conformément à ses obligations contractuelles et, d'autre part, à l'indemniser des frais supplémentaires de maîtrise d'œuvre occasionnés par les travaux de levée des réserves, avec intérêts de retard au taux légal et capitalisation à compter du 5 novembre 2015.

Article 2 : les demandes de Troyes Champagne Métropole mentionnées à l'article précédent sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 19NC02748 de Troyes Champagne Métropole est rejeté.

Article 4 : La requête n° 19NC02738 de la société Bouygues TPRF est rejetée.

Article 5 : Les intérêts sur les sommes dues par la société Bouygues Travaux Publics région France et Troyes Champagne Métropole à la société Safège en application des articles 2 et 3 du jugement du 2 juillet 2019 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ont commencé à courir à la date du 2 juillet 2019. En l'absence de versement de ces sommes, les intérêts échus à la date du 2 juillet 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bouygues Travaux Publics région France, à Troyes Champagne Métropole et à la société Safège.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Grossrieder, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2022

La rapporteure,

Signé : A.-S. PicqueLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet de l'Aube concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

Nos 19NC02738, 19NC02748


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02738
Date de la décision : 29/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SELARL HOURCABIE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-29;19nc02738 ?
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