Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a assigné à résidence.
Par un jugement n° 2100162 du 24 mars 2021, le tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 avril 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 24 mars 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que :
- il a, contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, produit différents documents en première instance ;
- ainsi qu'en atteste le procès-verbal d'audition par les services de police, M. D... a été invité à présenter ses observations sur la mesure d'assignation à résidence à venir et les premiers juges ne donc pouvaient annuler son arrêté sur le fondement de la méconnaissance du droit d'être entendu de M. D..., qui n'a d'ailleurs nullement sollicité des entretiens auprès de ses services ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. D... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er novembre 2021, M. D..., représenté par la SELARL Guitton, Grosset et Blandin, conclut :
1°) à titre principal, au non-lieu à statuer sur la requête ;
2°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête est sans objet, dès lors que le délai d'assignation est expiré et qu'une seconde mesure d'assignation a été adoptée avant d'être retirée pour un problème de compétence de l'auteur de l'acte ;
- son droit à être entendu a été méconnu, dès lors que le préfet ne l'a pas informé de la possibilité d'être assigné à résidence et que le procès-verbal de notification est en français alors que le requérant ne parle, ni ne lit le français ;
- l'arrêté est entaché d'incompétence, est insuffisamment motivé, est entaché d'un défaut d'examen sérieux et particulier de sa situation, ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
1. M. D..., ressortissant arménien, né le 18 mai 1989, faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours édictée par un arrêté du 7 juillet 2020 du préfet du Bas-Rhin, été contrôlé en gare de Nancy le 18 janvier 2021. Par un arrêté adopté le même jour, le préfet de Meurthe-et-Moselle a assigné M. D... à résidence. Le préfet de
Meurthe-et-Moselle fait appel du jugement n° 2100162 du 24 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 18 janvier 2021.
Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par M. D... :
2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du recours dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution.
3. Si l'arrêté du 18 janvier 2021 assignant M. D... à résidence pour une durée de six mois a épuisé ses effets à la date à laquelle la cour statue, il est constant que cet arrêté a reçu un début d'exécution et n'a ni été ni annulé, ni retiré, que ce soit par l'arrêté postérieur ayant renouvelé l'assignation à résidence de M. D... ou par un autre acte. Par suite, contrairement à ce que fait valoir M. D..., les conclusions du préfet de Meurthe-et-Moselle ne sont pas dépourvues d'objet.
Sur le moyen retenu par le tribunal administratif de Nancy :
4. Le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Ce droit ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter son point de vue sur la décision en cause.
5. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal produit en première instance par le préfet qu'au cours de son audition par le service de la police aux frontières, le 18 janvier 2021, M. D..., qui avait sollicité la reconnaissance du statut de réfugié et avait ainsi au demeurant déjà été conduit à préciser à l'administration les motifs de sa demande d'admission au séjour et à produire tous les éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande, a été expressément invité à détailler sa situation privée et familiale en France ainsi qu'à présenter des observations sur la possibilité d'être assigné à résidence ou d'être placé dans un centre de rétention administratif. M. D... a bénéficié jusqu'à la signature du procès-verbal de l'assistance d'une interprète en langue arménienne et ne peut donc faire valoir qu'il n'aurait pas compris les informations présentées à lui et cela quand bien même le procès-verbal a finalement été rédigé en langue française. L'intéressé a, à cette occasion, mentionné qu'il souhait de préférence être assigné à résidence sur Nancy jusqu'à la fin de l'hospitalisation de sa mère, avant d'être assigné à Strasbourg une fois que cette dernière sera opérée. Le requérant, qui a donc, contrairement à ce qu'il soutient, pu faire valoir la situation de sa mère préalablement à l'adoption de la mesure litigieuse, n'apporte aucun élément témoignant de ce qu'il aurait vainement sollicité plusieurs entretiens auprès des services préfectoraux pour exposer sa situation. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe général du droit d'être entendu doit être écarté. II s'ensuit que le préfet de
Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a retenu ce moyen afin d'annuler son arrêté du 18 janvier 2021.
6. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés par M. D... :
7. En premier lieu, par un arrêté du 8 décembre 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 106 du 11 décembre 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle a donné délégation de signature à M. C... A..., directeur de la citoyenneté et de l'action locale, à l'effet de signer notamment les décisions portant assignation à résidence. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté doit être écarté comme manquant en fait.
8. En deuxième lieu, l'arrêté litigieux comporte un énoncé des considérations de droit et de fait, propres à la situation personnelle de M. D..., sur lesquelles le préfet s'est fondé. Il est d'ailleurs expressément précisé que les liaisons aériennes avec l'Arménie ne reprenant que progressivement, il ne peut être exécuté immédiatement la mesure d'éloignement et qu'il rentre donc dans la situation décrite par l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soit celle d'un éloignement, qui n'est possible immédiatement, mais qui reste une perspective raisonnable. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation doit être écarté.
9. En troisième lieu, la motivation de l'arrêté permet de vérifier que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ".
11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de sa violation par le préfet de Meurthe-et-Moselle est inopérant et doit être écarté.
12. En cinquième lieu, M. D... ne se prévaut d'aucun élément de nature à démontrer que la mesure d'assignation à résidence prise à son encontre et les modalités de contrôle du respect de cette assignation ne seraient pas nécessaires et proportionnées à sa situation. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont elle serait entachée ne peut, par conséquent, qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement contesté, le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 18 janvier 2021.
Sur les conclusions de M. D... tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du préfet de Meurthe-et-Moselle, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. D... demande à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2100162 du 24 mars 2021 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Nancy sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. D... devant la cour sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juin 2022.
Le rapporteur,
Signé : S. B...La présidente,
Signé : A. SAMSON-DYELe greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
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N° 21NC01012