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02/06/2022 | FRANCE | N°22NC00165

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 02 juin 2022, 22NC00165


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... et Mme D... A... ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 18 janvier 2021 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2100401, 2100402 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté les demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces

complémentaires, enregistrées les 23 et 31 janvier et 7 avril 2022, M. C... A... et Mme D... A...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... et Mme D... A... ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 18 janvier 2021 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2100401, 2100402 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté les demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées les 23 et 31 janvier et 7 avril 2022, M. C... A... et Mme D... A..., représentés par Me Caglar, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 juin 2021 ;

2°) d'annuler ces arrêtés du 18 janvier 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de leur délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, dans le même délai, de procéder au réexamen de leur situation et de leur délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à leur conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

Sur les décisions de refus de séjour :

- le préfet s'est senti à tort lié par l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

- la décision concernant M. A... méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur sa situation personnelle ;

Sur les décisions portant obligation de quitter le territoire :

- elles sont illégales par voie de conséquence de l'illégalité entachant les décisions de refus de séjour ;

Sur les décisions fixant le pays de renvoi :

- elles sont illégales par voie de conséquence de l'illégalité entachant les décisions portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2022, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme A... ne sont pas fondés.

M. et Mme A... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 17 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A..., nés respectivement en 1975 et 1977, tous deux de nationalité kosovare, seraient entrés irrégulièrement en France le 18 février 2015 selon leurs déclarations. Ils ont sollicité leur admission au séjour au titre de l'asile. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 29 juin 2015, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 8 février 2016. Le 19 septembre 2015, M. et Mme A... ont déposé une demande de titre de séjour en se prévalant de leur état de santé. A la suite de l'annulation de l'arrêté du 14 juin 2016 refusant les demandes de M. et Mme A... par un jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 février 2017, leur situation a été réexaminée. Des autorisations provisoires de séjour leur ont été délivrées du 17 mai au 16 novembre 2018. Les requérants se sont ensuite maintenus irrégulièrement sur le territoire français. Le 15 novembre 2019, M. A... a sollicité à nouveau un titre de séjour pour raisons de santé. Quant à Mme A..., elle a demandé, le même jour, un titre de séjour " vie privée et familiale ". Par des arrêtés du 18 janvier 2021, le préfet du Doubs a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 17 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés du 18 janvier 2021.

Sur la légalité des refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais codifié à l'article L. 425-9 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".

3. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect du secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et d'établir l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et de la possibilité pour l'intéressé d'y accéder effectivement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Par un avis du 4 janvier 2021, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais que l'intéressé peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de ce pays, et que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine.

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux produits, que M. A... a été opéré des deux yeux pour un kératocône, en mars 2016 et septembre 2017 et a bénéficié d'une kératoplastie transfixiante (greffe de cornée). Ses acuités visuelles sont remontées à 5/10ème à chaque œil. Il bénéficie d'un traitement anti-rejet par corticoïde en collyre et d'un suivi régulier. Ce traitement a entraîné l'apparition prématurée d'une cataracte bilatérale et d'une hypertonie oculaire bilatérale. Une chirurgie de la cataracte bilatérale a été réalisée en janvier et juin 2020. Si les requérants se bornaient en première instance à se référer à des documents peu précis quant à l'indisponibilité de son traitement au Kosovo, M. et Mme A... produisent pour la première fois en appel un rapport médical de trois médecins de la clinique ophtalmologique d'un centre hospitalier universitaire du Kosovo du 24 mars 2021. Ces praticiens indiquent, après avoir examiné la documentation produite par M. A..., que le traitement postopératoire ne peut pas être effectué dans leur centre. Les requérants produisent également, pour la première fois en appel, une attestation d'un médecin généraliste du 26 février 2021 qui précise que le traitement de suivi dont bénéficie M. A... ne peut être réalisé dans son pays d'origine. Dans ces conditions, alors que le préfet n'a pas contesté ces pièces, les requérants sont fondés à soutenir que la décision refusant le séjour pour raisons de santé à M. A... a été prise en méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En second lieu, eu égard à ce qui vient d'être dit, M. A... ayant vocation, en l'état de l'instruction, à demeurer en France afin d'y poursuivre ses soins, la décision refusant le séjour à son épouse est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, de celles portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination prises à leur encontre.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

8. Le présent arrêt implique seulement que le préfet du Doubs procède au réexamen de la situation de M. et Mme A.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer aux intéressés une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

9. Il y a lieu, en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 1 500 euros à verser à Me Caglar, avocat de M. et Mme A..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 17 juin 2021 et les arrêtés du préfet du Doubs du 18 janvier 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de procéder au réexamen de la situation de M. et Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer aux intéressés une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen.

Article 3 : L'Etat versera à Me Caglar une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Mme D... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Samson-Dye, présidente,

Mme Mosser, première conseillère,

Mme Lambing, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2022.

La rapporteure,

Signé : S. B... La présidente,

Signé : A. SAMSON-DYE

La greffière,

Signé : S. BLAISE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

2

N° 22NC00165


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC00165
Date de la décision : 02/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : CAGLAR

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-02;22nc00165 ?
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