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02/06/2022 | FRANCE | N°21NC02020

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 02 juin 2022, 21NC02020


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 10 juin 2020 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2004658 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette première demande.

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêt

é du 18 janvier 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 10 juin 2020 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2004658 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette première demande.

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence et la décision du 10 juin 2020 par lequel la préfète du Bas-Rhin a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2100499 du 11 février 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette seconde demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 21NC02020, le 13 juillet 2021, Mme D..., représentée par Me Ichim-Muller, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 janvier 2021 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 10 juin 2020 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation sans délai et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur l'arrêté dans son ensemble :

- il est entaché d'un défaut de motivation ;

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

- la décision porte atteinte de manière disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 11 et 17 de la convention relative aux droits des personnes handicapées ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'illégalité par voie d'exception de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un courrier du 5 mai 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination par voie de conséquence de l'annulation du refus de délivrance d'un titre de séjour temporaire dans l'hypothèse où la formation de jugement considérerait cette dernière décision illégale.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 21NC02026, le 13 juillet 2021, Mme D..., représentée par Me Ichim-Muller, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 février 2021 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 18 janvier 2021 portant assignation à résidence ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur l'arrêté dans son ensemble :

- il est entaché d'un défaut de motivation ;

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

- la décision porte atteinte de manière disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 11 et 17 de la convention relative aux droits des personnes handicapées.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur l'assignation à résidence :

- l'assignation à résidence méconnait l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un courrier du 5 mai 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'annulation de la décision portant assignation à résidence par voie de conséquence de l'annulation portant refus de délivrance d'un titre de séjour temporaire dans l'hypothèse où la formation de jugement considérerait cette dernière décision illégale.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 14 juin 2021 au titre des deux instances.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention relative aux droits des personnes handicapées ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les observations de Me Carl, se substituant à Me Ichim-Muller, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née en 1971 et de nationalité géorgienne, serait entrée régulièrement en France le 28 décembre 2017 selon ses déclarations, munie d'un passeport biométrique. Elle a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 octobre 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 10 décembre 2019. Le 24 avril 2019, Mme C... a déposé une demande de titre de séjour pour raisons de santé. Par un arrêté du 10 juin 2020, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un arrêté du 18 janvier 2021, une mesure d'assignation à résidence a été prise à son encontre. Par les deux requêtes susvisées qu'il y a lieu de joindre, Mme C... relève appel des jugements des 29 janvier et 11 février 2021 par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés des 10 juin 2020 et 18 juin 2021.

Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'un accident sur la voie publique, survenu le 8 septembre 2016 en Géorgie et ayant occasionné une fracture de vertèbres cervicales, Mme C... est atteinte de tétraplégie complète et définitive. Le compte-rendu d'hospitalisation du 25 janvier 2019 et le certificat médical du 4 août 2020 de l'institut universitaire de réadaptation de Strasbourg précisent que la requérante est dépendante d'un tiers dans ses déplacements, ses transferts, sa toilette, son habillage et son alimentation. Si l'hospitalisation dans ce centre de réadaptation durant deux mois en décembre 2018 et janvier 2019 lui a permis de gagner en autonomie pour la prise de ses repas, Mme C... demeure dépendante pour la toilette et l'habillage, ainsi que pour des déplacements sur des distances prolongées en fauteuil. Elle a également besoin de soins au quotidien pour sa vessie et son intestin neurologique. Sa fille A... se charge de l'assistance au quotidien de sa mère, hébergée dans une chambre d'hôtel avec un lit médicalisé. Cette dernière, qui réside dans un hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile, a obtenu la protection subsidiaire le 27 novembre 2020. Par ailleurs, si Mme C... ne démontre effectivement pas qu'elle ne pourrait pas bénéficier, en Géorgie, de l'assistance d'un tiers dans ses actes essentiels du quotidien, même en dehors de sa famille, elle justifie qu'elle serait isolée en cas de retour dans son pays d'origine, son fils étant bénéficiaire d'un titre de séjour ukrainien depuis 2019, sa sœur ayant une fille atteinte du syndrome de Down, ses parents étant âgés et la requérante n'ayant plus de contact avec son frère. Dans ces conditions, dès lors que sa fille a vocation à demeurer en France et qu'il est établi que cette dernière se charge des soins nécessités par l'état de santé de sa mère, la délivrance d'un titre de séjour à la requérante répond à des considérations humanitaires. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce et alors même que l'état de santé de Mme C... pourrait être pris en charge en Géorgie, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges, en refusant de délivrer un titre de séjour à l'intéressée, la préfète a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette illégalité entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français, désignation du pays de destination et assignation à résidence.

4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à Mme C... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

6. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Ichim-Muller, avocate de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Ichim-Muller de la somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Les jugements des 29 janvier et 11 février 2011 du tribunal administratif de Strasbourg, ainsi que les arrêtés des 10 juin 2020 et 18 janvier 2021 de la préfète du Bas-Rhin sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de délivrer à Mme C... une carte de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Ichim-Muller, avocate de Mme C..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Samson-Dye, présidente,

Mme Mosser, première conseillère,

Mme Lambing, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2022.

La rapporteure,

Signé : S. B...

La présidente,

Signé : A. SAMSON-DYE

La greffière,

Signé : S. BLAISE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

2

N°s 21NC02020, 21NC02026


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02020
Date de la décision : 02/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : IDEA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-02;21nc02020 ?
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