Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 15 juin 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a refusé de l'admettre sur le territoire français au titre de l'asile et a décidé de la réacheminer vers le territoire de la Turquie ou, le cas échéant, vers celui de tout pays où elle sera légalement admissible.
Par un jugement n° 2104258 du 21 juin 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg l'a admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juin 2021, et un mémoire complémentaire, enregistré le 13 décembre 2021, Mme A... C..., représentée par Me Malekian, doit être regardée comme demandant à la cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 2104258 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 21 juin 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 juin 2021 ;
3°) d'annuler les arrêtés du 28 juin 2021 par lesquels le préfet du Haut-Rhin, d'une part, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département du Haut-Rhin jusqu'à son départ du territoire français ;
4°) d'indiquer sans délai aux autorités françaises compétentes, au titre des mesures provisoires prévues à l'article 39 de son règlement intérieur, de s'abstenir de prendre à son encontre une mesure d'éloignement avant qu'il ne soit statué sur sa requête ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- la décision portant refus d'admission sur le territoire français au titre de l'asile est entachée d'un vice de procédure au regard des conditions matérielles de son entretien avec l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
- l'utilisation de la visioconférence sans son consentement préalable a porté atteinte à aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur de droit, dès lors que l'examen de sa demande d'asile par le ministre de l'intérieur a dépassé le cadre de son caractère " manifestement infondé " ;
- en considérant que sa demande d'asile était manifestement infondée, le ministre de l'intérieur, qui n'a pas tenu compte de sa vulnérabilité, a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant fixation du pays de réacheminement méconnaît l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 13 combiné avec l'article 3 de cette même convention et la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- en l'absence d'examen au fond de sa demande d'asile, la décision en litige a été prise en violation du principe de non-refoulement, garanti par la convention de Genève du 28 juillet 1951, la convention des nations unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, ainsi que du droit constitutionnel de l'asile ;
- en l'empêchant de déposer une demande d'asile en Allemagne, où elle dispose d'attaches familiales prêtes à l'accueillir et à la prendre en charge, la décision en litige méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2021, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Moreau, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Par des courriers du 4 mars 2022, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office l'irrecevabilité, d'une part, des conclusions à fin d'annulation dirigées contre les arrêtés du préfet du Haut-Rhin du 28 juin 2021 au motif qu'un tel litige, qui n'a pas été soumis au juge de première instance, ne ressortit pas à sa compétence de premier et dernier ressort définie aux articles R. 311-3 et R. 311-5 du code de justice administrative, d'autre part, des conclusions tendant à ce qu'elle indique sans délai aux autorités françaises compétentes de s'abstenir provisoirement de prendre à l'encontre de la requérante une mesure d'éloignement avant qu'il ne soit statué sur sa requête, dès lors qu'il ne lui appartient pas de prendre de telles mesures.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention internationale du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... C... est une ressortissante iranienne, née le 16 janvier 1989. Arrivée à l'aéroport de Bâle-Mulhouse en provenance d'Istanbul et placée en zone d'attente, elle a présenté, le 12 juin 2021, une demande d'entrée en France au titre de l'asile. Toutefois, à la suite de son entretien avec l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 15 juin 2021, le ministre de l'intérieur, par un arrêté du même jour, a refusé de faire droit à sa demande et a décidé son réacheminement vers la Turquie, pays d'embarquement, ou vers tout autre pays où elle serait légalement admissible. La requérante a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Elle relève appel du jugement n° 2104258 du 21 juin 2021, en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre l'arrêté du 28 juin 2021 et aux fins d'injonction :
2. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que les arrêtés du 28 juin 2021, par lesquels le préfet du Haut-Rhin, d'une part, a fait obligation à Mme C... de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département du Haut-Rhin jusqu'à son départ du territoire français, ont été contestés devant le tribunal administratif territorialement compétent. Par suite, une telle contestation ne ressortissant pas à la compétence de premier et dernier ressort de la cour, telle que définie aux articles R. 311-3 et R. 311-5 du code de justice administrative, les conclusions de la requête tendant à l'annulation de ces arrêtés, présentées au surplus postérieurement à l'expiration du délai d'appel, sont irrecevables et doivent, en conséquence, être rejetées.
3. D'autre part, il n'appartient pas à la cour d'indiquer sans délai aux autorités françaises compétentes de s'abstenir provisoirement de prendre à l'encontre de la requérante une mesure d'éloignement avant qu'il ne soit statué sur sa requête. Par suite, les conclusions tendant à ce que la cour prenne une telle mesure sont irrecevables et doivent, en conséquence, être rejetées.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise que dans les cas suivants : (...) 3° La demande d'asile est manifestement infondée. / Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves. ". Aux termes de l'article L. 352-2 du même code : " Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, la décision de refus d'entrée ne peut être prise qu'après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui rend son avis dans un délai fixé par voie réglementaire et dans le respect des garanties procédurales prévues au titre III du livre V. L'office tient compte de la vulnérabilité du demandeur d'asile. / (...) / Sauf si l'accès de l'étranger au territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public, l'avis de l'office, s'il est favorable à l'entrée en France de l'intéressé au titre de l'asile, lie le ministre chargé de l'immigration. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 351-3 du même code : " Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, l'étranger est entendu par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides selon les modalités prévues par les articles R. 531-11 à R. 531-16. ". Aux termes de l'article R. 351-4 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides transmet l'avis mentionné à l'article R. 351-3 au ministre chargé de l'immigration dans le délai de deux jours ouvrés à compter de la demande à bénéficier de l'asile consignée par procès-verbal. ".
5. Le droit constitutionnel de l'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. Ce droit implique que l'étranger, qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié, soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Toutefois, en application du 3° du premier alinéa de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le ministre chargé de l'immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations et les documents qu'il produit à leur appui, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées par l'intéressé au titre de l'article 1er A. (2) de la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., qui se présente comme journaliste de profession et musulmane de confession, a déclaré, lors de son entretien du 15 juin 2021 avec un officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, avoir fait l'objet de menaces, de persécutions et de mauvais traitements de la part de la police iranienne, qui sont à l'origine de la perte de son enfant, en raison de la publication, sur les réseaux sociaux, d'articles critiquant les institutions, le sort réservé aux femmes et la situation économique dans son pays. Elle a également indiqué avoir été contrainte de fuir l'Iran à la suite de la découverte, par les services secrets, de sa présence à une réunion chrétienne clandestine. Pour justifier son refus d'admettre l'intéressée sur le territoire français au titre de l'asile, le ministre de l'intérieur, à la suite de l'avis défavorable de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 juin 2021, a retenu que la requérante s'est montrée particulièrement évasive et lacunaire sur son activisme sur les réseaux sociaux et sur la teneur de ses articles et que sa dénonciation publique du régime concorde mal avec son travail pendant plus de trois ans comme journaliste indépendante au sein d'un journal ultraconservateur. Il a, en outre, considéré que les allégations de l'intéressée concernant sa participation à des réunions chrétiennes clandestines, sur les conseils d'une amie vivant en Allemagne et afin de lui permettre, dans une optique thérapeutique, de surmonter la perte de son enfant, s'avèrent peu convaincantes. Toutefois, Mme C... produit, à hauteur d'appel, un certificat médical, daté du 24 mai 2021 et signé par le directeur général de l'administration iranienne de la médecine légiste, attestant qu'elle a fait une hémorragie interne et une fausse couche à la suite de coups donnés au niveau du ventre, ainsi qu'un mandat mobile d'arrestation délivré le 13 juin 2021 à son encontre par le ministère de la justice. Dans ces conditions, eu égard à la teneur des documents versés aux débats, dont l'authenticité n'est pas contestée en défense, le ministre de l'intérieur a commis une erreur d'appréciation en considérant que les déclarations de la requérante, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, étaient manifestement dépourvues de crédibilité et faisaient apparaître sa demande d'asile comme manifestement infondée. Par suite, sans qu'il besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler pour ce motif la décision du 15 juin 2021 portant refus d'admission sur le territoire français au titre de l'asile. Par voie de conséquence, la décision du même jour portant fixation du pays de réacheminement, qui se trouve dépourvue de base légale, doit également être annulée.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 juin 2021 et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les frais de justice :
8. Mme C... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2021, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Malekian, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2104258 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 21 juin 2021 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du ministre de l'intérieur du 15 juin 2021 est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à Me Malekian, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2022.
Le rapporteur,
Signé : E. B...
La présidente,
Signé : A. SAMSON-DYE
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 21NC01866 2