Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 23 février 2021 par lequel la préfète de la Haute-Saône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ainsi que, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 23 février 2021 par lequel le préfet du Doubs l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours.
Par un jugement n° 2100306 du 2 mars 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés le 31 mars 2021, le 16 juin 2021 et le 3 mars 2022, M. E... A..., représenté par Me Doucerain, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 2 mars 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 février 2021 par lequel la préfète de la Haute-Saône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
3°) d'annuler l'arrêté du 23 février 2021 par lequel le préfet du Doubs l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours ;
4°) d'enjoindre à la préfète de la Haute-Saône de régulariser sa situation et de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier, dès lors qu'il est entaché d'erreurs de fait ;
- le jugement est irrégulier, car les premiers juges n'ont pas pris en compte sa situation personnelle et notamment sa relation avec sa concubine ;
- le jugement est irrégulier, car les premiers juges ont méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le jugement est irrégulier, dès lors que les premiers juges ont subordonné l'analyse de la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence à celle de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français.
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision est entachée d'incompétence ;
- la décision est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle méconnaît les stipulations du 2) de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;
- elle méconnaît les stipulations du 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation.
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation.
S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- il n'a pas été informé de manière suffisante quant à son enregistrement dans le système d'information Schengen ;
- elle méconnaît les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il dispose de liens forts en France et qu'il ne s'est pas soustrait à une précédente mesure d'éloignement ;
- l'annulation de la décision doit entraîner l'effacement de son signalement dans le système d'information Schengen.
S'agissant de la décision portant assignation à résidence :
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation et porte une atteinte grave à sa liberté d'aller et venir, ainsi qu'à son droit à mener une vie privée et familiale normale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2021, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 11 mai 2021 et le 10 août 2021, la préfète de la Haute-Saône conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marchal,
- et les observations de Me Doucerain assistant M. E... A....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... E... A..., ressortissant algérien, né le 20 octobre 1988, est entré sur le territoire français le 6 septembre 2016 sous couvert d'un visa touristique. Le 22 février 2021, il a été interpellé par les services de police en raison d'un excès de vitesse. Par un arrêté du 23 février 2021, la préfète de la Haute-Saône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un arrêté du même jour, le préfet du Doubs l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours. M. E... A... fait appel du jugement du 2 mars 2021, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, M. E... A... soutient que le jugement de première instance serait entaché d'erreurs de fait et d'appréciation quant à sa situation personnelle en France et à l'intensité des liens qu'il a tissés dans ce pays. Toutefois, ces moyens relèvent du bien-fondé du jugement et sont sans incidence sur sa régularité. Le moyen tiré de ce que le premier juge aurait méconnu les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relève également du bien-fondé du jugement et est ainsi sans incidence sur sa régularité.
3. En second lieu, si le requérant soutient que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a, à tort, subordonné l'analyse de la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence à celle de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français, M. E... A... a, devant le premier juge, contesté la légalité de la décision portant assignation à résidence en soulevant un unique moyen tiré de ce que cette décision était illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, à considérer que le requérant ait entendu se prévaloir d'une insuffisante motivation du jugement du premier juge, le jugement attaqué répond de manière suffisante aux moyens invoqués par M. E... A... et notamment au moyen soulevé pour solliciter l'annulation de la décision l'assignant à résidence.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de la préfète de la Haute-Saône :
En ce qui concerne les moyens communs aux différentes décisions :
4. En premier lieu, l'arrêté a été signé par M. Imed Bentaleb, secrétaire général de la préfecture de la Haute-Saône. M. D... bénéficiait d'une délégation de signature de la préfète de la Haute-Saône, consentie par un arrêté du 26 novembre 2019, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, lui donnant notamment compétence pour signer les décisions portant obligation de quitter le territoire français, celles désignant le pays de destination et enfin celles portant interdiction de retour sur le territoire français. Cette délégation, contrairement à ce que soutient le requérant, ne revêt pas un caractère trop général. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté.
5. En second lieu, l'arrêté mentionne de manière suffisante et non stéréotypée les motifs de droit et de fait sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée afin de prendre à l'encontre de M. E... A... les décisions qu'il comporte. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
7. M. E... A... est entré en France sous couvert d'un visa touristique en décembre 2016 à l'âge de 27 ans et s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire à l'expiration de ce visa. Le requérant établit par les éléments produits qu'il entretient une relation avec Mme B..., ressortissante française et qu'il a quitté la région parisienne à compter du mois d'août 2020 pour se rapprocher de Vesoul, où réside Mme B.... Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté litigieux, il avait aménagé avec Mme B.... En effet, M. E... A... a notamment déclaré lors son audition par la gendarmerie de la Haute-Saône, le 22 février 2021, qu'il habitait à Besançon. Si M. E... A... fait valoir qu'il est désormais marié à Mme B... et que cette dernière a donné naissance à leur enfant, ces circonstances sont toutefois postérieures à la décision litigieuse. De plus, il ressort également des pièces du dossier que M. E... A..., qui travaille illégalement en France, a été interpellé, le 22 février 2021, pour excès de vitesse et qu'il n'est pas contesté qu'il ne disposait pas d'un permis l'autorisant à conduire en France. La décision litigieuse, qui a uniquement pour objet d'ordonner l'éloignement temporaire de M. E... A... du territoire français, ne s'oppose pas, par elle-même, à ce qu'il présente une demande de visa de long séjour en qualité de conjoint de français et parent d'enfant français voire à ce que Mme B... l'accompagne en Algérie. Dès lors, elle ne porte pas, en dépit de la présence en France de plusieurs proches de M. E... A..., une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit ainsi être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur la situation de M. E... A... doit également être écarté.
8. La décision litigieuse n'ayant pas pour objet de refuser la délivrance d'un titre de séjour à M. E... A..., les moyens tirés de la méconnaissance du 2) de l'article 6 de l'accord franco-algérien et du 4) de l'article 6 de ce même accord ne peuvent qu'être écartés. En tout état de cause, M. E... A... n'était, à la date de l'arrêté litigieux, ni père d'un enfant français, ni marié à une ressortissante française.
En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de destination :
9. Il résulte de ce qui précède que M. E... A... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
10. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour.
11. Il ressort des pièces du dossier que pour interdire tout retour à M. E... A... sur le territoire français pendant une durée de deux années, la préfète de la Haute-Saône a pris en compte non seulement la durée de sa présence en France, mais aussi l'absence d'attaches stables et anciennes du requérant en France, ainsi que le fait qu'il constituerait une menace à l'ordre public. Pour autant, ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, M. E... A... justifie entretenir, depuis les premiers mois de son arrivée en France en décembre 2016, une relation avec Mme B..., ressortissante française. Il établit d'ailleurs avoir déménagé pour se rapprocher de cette dernière. De plus, M. E... A... produit de très nombreuses attestations de membres de sa famille résidant régulièrement en France, dont ses trois sœurs, qui témoignent de l'intensité des liens, dont ils disposent avec le requérant. M. E... A... verse également au dossier des attestations d'amis et de collèges justifiant de ses efforts d'intégration. Enfin, le seul fait d'avoir commis un excès de vitesse, de ne pas avoir pu présenter un permis de conduire valable en France et de travailler sans autorisation ne saurait permettre de considérer que la présence de M. E... A... en France constitue une menace pour l'ordre public. Par suite, M. E... A... est fondé à soutenir que le préfet a entaché sa décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicables.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet du Doubs :
12. Si M. E... A... fait valoir qu'il vit habituellement à Vesoul avec sa concubine et que l'arrêté litigieux lui impose de demeurer à Besançon, de sorte que l'arrêté méconnaîtrait son droit au respect de sa vie privée et familiale, ainsi que sa liberté d'aller et venir, il ressort des pièces du dossier que M. E... A... a déclaré, le 22 février 2021, lors son audition par la gendarmerie de la Haute-Saône qu'il habitait à Besançon. Le requérant n'apporte, de plus, aucun élément justifiant de l'existence d'une cohabitation à Vesoul avec Mme B... à la date de l'arrêté litigieux. Par suite, le moyen doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit également être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête soulevés au soutien des conclusions à fin d'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, que M. E... A... est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande à fin d'annulation de l'arrêté du 23 février 2021 de la préfète de la Haute-Saône en tant qu'il portait interdiction de retour sur le territoire français.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le présent arrêt, qui annule uniquement la décision interdisant à M. E... A... le retour sur le territoire français pendant un délai de deux ans, n'implique pas qu'il soit délivré un titre de séjour à M. E... A..., ni que soit réexaminée sa demande de titre de séjour. Les conclusions à fin d'injonction de M. A... doivent ainsi être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. L'Etat n'étant pas la partie perdante à titre principal dans la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. E... A... présentées à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté de la préfète de la Haute-Saône du 23 février 2021 est annulé en tant qu'il interdit à M. E... A... de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Article 2 : Le jugement n° 2100306 du 2 mars 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Saône et au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Agnel, président,
- M. Goujon-Fischer, premier conseiller
- M. Marchal, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2022.
Le rapporteur,
Signé : S. MARCHALLe président,
Signé : M. AGNEL
La greffière,
Signé : C. SCHRAMM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. SCHRAMM
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N° 21NC00974