Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 26 février 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.
Par un jugement n° 2101505 du 14 septembre 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2021 sous le n° 21NC03340, M. C... A..., représenté par Me Chaib, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2101505 du tribunal administratif de Nancy du 14 septembre 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai d'un moins à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande au motif qu'à la date de l'arrêté contesté, il n'était plus dans sa dix-huitième année, alors que la date à prendre en compte, pour l'application des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est celle du dépôt de la demande de titre de séjour ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il a présenté sa demande le 10 décembre 2019, et non le 23 novembre 2020, date à laquelle il a seulement complété cette demande en déposant un certificat de nationalité ;
- le tribunal a procédé d'office à une substitution de motifs que le préfet n'avait pas sollicitée, et a méconnu le principe du contradictoire en ne le mettant pas à même de présenter des observations à ce sujet.
En ce qui concerne la légalité du refus de séjour :
- le refus de séjour n'est pas motivé ;
- contrairement à ce qu'a estimé le préfet, les documents d'état civil qu'il a présentés à l'appui de sa demande permettent de justifier qu'il remplit la condition d'âge prévue par l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
II. Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2021 sous le n° 21NC03341, M. C... A..., représenté par Me Chaib, demande à la cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2101505 du tribunal administratif de Nancy du 14 septembre 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables, compte tenu de l'imminence de l'exécution de l'arrêté contesté, qui mettra fin à ses études en cours, et soulève pour le reste les mêmes moyens que ceux soulevés à l'appui de sa requête n° 21NC03340.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 31 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vidal, présidente,
- et les observations de Me Chaib, pour M. A....
Une note en délibéré présentée par M. A... a été enregistrée le 14 février 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes susvisées, nos 21NC03340 et 21NC03341, sont relatives à un même litige, concernant le droit au séjour de M. A... en France. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Pour rejeter les conclusions à fin d'annulation du refus de séjour, le tribunal, après avoir écarté le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision, s'est fondé sur le motif tiré de ce que M. A... n'était plus dans sa dix-huitième année lorsqu'elle est intervenue. Or, la décision contestée n'a pas été prise pour ce motif, que le préfet n'a pas demandé au tribunal de substituer au motif sur lequel il s'est fondé, et qui n'est pas d'ordre public. En se fondant ainsi sur un moyen qu'il a relevé d'office alors qu'il n'est pas d'ordre public, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité. Dès lors que l'illégalité du refus de séjour était invoquée par voie d'exception par M. A... à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, et l'illégalité de cette dernière, à l'encontre de la décision fixant le pays de destination, cette irrégularité affecte l'ensemble du jugement attaqué, et justifie, par suite, sa complète annulation.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 311-2-2 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte des dispositions de l'article 47 du code civil que, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles. Si l'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En revanche, l'autorité administrative n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
6. A l'appui de sa demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 précité, M. A... a produit un extrait d'acte de naissance n° 41 établi le 14 juillet 2017 par le centre secondaire de BKO Coura Bolibana Ex Base, un certificat de nationalité n° 6095 établi le 16 mars 2020 par le tribunal de grande instance de la commune IV du district de Bamako et une carte consulaire n° 002295/CG/19 délivrée le 1er mars 2019 par l'Ambassade B..., mentionnant qu'il est né le 28 décembre 2001 et est de nationalité malienne.
7. Le préfet a rejeté la demande de M. A... au motif qu'il ne remplissait pas l'ensemble des conditions requises pour se voir délivrer le titre de séjour sollicité, après avoir estimé que, les documents présentés par l'intéressé pour établir son état civil étant dépourvus de valeur probante, il ne justifiait ni de son état civil, ni de sa nationalité. Le préfet s'est fondé sur un rapport d'examen technique documentaire établi le 14 janvier 2021 par un agent de la police aux frontières et sur les irrégularités relevées par ce dernier. S'agissant de l'extrait d'acte de naissance, le préfet s'est ainsi fondé sur les circonstances, d'une part, que sa rubrique 16, où seule figure la mention " 2001 ", n'est pas conforme aux dispositions de l'article 126 du code des personnes et de la famille B..., et d'autre part, qu'au regard des articles 93 et 94 du même code, la mention " officier d'état civil " à la rubrique 15 ne permet pas d'apprécier la qualité exacte de l'autorité ayant rédigé ce document. Toutefois, les dispositions de l'article 126 du code des personnes et de la famille B... sont relatives aux mentions des actes d'état civil, et il n'est ni démontré, ni même allégué que les extraits de ces actes doivent comporter les mêmes mentions. Par ailleurs, les articles 93 et 94 de ce code, qui désignent les officiers de l'état civil, respectivement, des centres principaux et des centres secondaires de déclaration de l'état civil prévus par ses articles 84 à 90, ne sont nullement relatifs aux mentions devant obligatoirement figurer dans des extraits d'actes d'état civil. S'agissant du certificat de nationalité, le préfet s'est fondé sur l'existence d'une surcharge sur la voyelle " o " du nom du père du requérant, M. M'Poly, constitutive selon lui d'une irrégularité au regard des dispositions de l'article 118 du même code, prévoyant que " les mentions erronées ne doivent être ni grattées, ni surchargées ". Toutefois, ces dispositions figurent dans la section I du chapitre II du titre IV du code, relative à la déclaration des faits d'état civil, alors que les certificats de nationalité sont régis par les articles 263 à 265 figurant dans la section II du chapitre V du titre V de ce code. En tout état de cause, à supposer que les dispositions de l'article 118 soient applicables à ce document, la surcharge alléguée, consistant en une simple et légère accentuation de la voyelle " o ", ne les méconnaîtrait pas puisqu'elle ne porte pas sur une mention erronée.
8. Le caractère irrégulier de l'extrait d'acte de naissance et du certificat de nationalité présentés par M. A... à l'appui de sa demande n'étant ainsi pas démontré, ces actes bénéficient de la présomption d'authenticité prévue par l'article 47 du code civil. Leurs mentions sont, du reste, corroborées par la carte consulaire n° 002295/CG/19 délivrée à l'intéressé par l'Ambassade B... le 1er mars 2013. Il ressort de ces éléments que M. A..., de nationalité malienne, était âgé de seize ans à la date du jugement en assistance éducative du 21 mars 2018 par lequel le tribunal pour enfants l'a confié aux services de l'aide sociale à l'enfance de Meurthe-et-Moselle. Dès lors, le préfet n'a pas pu légalement estimer que, faute de justifier de son état civil et de sa nationalité, M. A... ne remplissait pas l'ensemble des conditions requises pour se voir délivrer le titre de séjour sollicité.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'il soulève, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision de refus de séjour et par voie de conséquence de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard au motif d'annulation mentionné au point 8, le présent arrêt implique seulement que le préfet procède au réexamen de la demande de M. A.... Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Sur le sursis à exécution du jugement attaqué :
11. Le présent arrêt se prononçant sur le fond du litige, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du requérant tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué.
Sur les frais de l'instance :
12. M. A... est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chaib de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21NC03341 tendant à ce que soit ordonné le sursis à exécution du jugement n° 2101505 du tribunal administratif de Nancy du 14 septembre 2021.
Article 2 : Le jugement n° 2101505 du tribunal administratif de Nancy du 14 septembre 2021 et l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 26 février 2021 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la demande de titre de séjour de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Chaib, avocate de M. A..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Chaib renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
N° 21NC03340-21NC03341 2
2