La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/02/2022 | FRANCE | N°20NC02358

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 03 février 2022, 20NC02358


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 19 septembre 2018 par laquelle la commune de Saulxures-sur-Moselotte a implicitement rejeté sa demande de " prendre un arrêté " à la suite de l'avis de la commission de réforme du 22 février 2018 qui reconnaît l'imputabilité au service du suicide de son frère et sa demande tendant à ce que lui soit versée une somme de 40 000 euros en réparation du préjudice moral subi par son frère du fait de la dégradation de son é

tat de santé psychologique avant son décès ainsi qu'une somme de 15 000 euros en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 19 septembre 2018 par laquelle la commune de Saulxures-sur-Moselotte a implicitement rejeté sa demande de " prendre un arrêté " à la suite de l'avis de la commission de réforme du 22 février 2018 qui reconnaît l'imputabilité au service du suicide de son frère et sa demande tendant à ce que lui soit versée une somme de 40 000 euros en réparation du préjudice moral subi par son frère du fait de la dégradation de son état de santé psychologique avant son décès ainsi qu'une somme de 15 000 euros en réparation de son propre préjudice moral.

Par un jugement n° 1802986 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 août 2020 et 19 mai 2021, M. A... C..., représenté par Me Picoche, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2020 ;

2°) d'annuler cette décision implicite de rejet du 19 septembre 2018 ;

3°) d'enjoindre à la commune de Saulxures-sur-Moselotte de prendre un arrêté à la suite de l'avis favorable rendu le 22 février 2018 par la commission de réforme à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident survenu à son frère, M. B... C..., le 3 mars 2016, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;

4°) de condamner la commune de Saulxures-sur-Moselotte à lui verser une somme de 40 000 euros en réparation du préjudice moral subi par son frère du fait de la dégradation de son état de santé psychologique depuis plusieurs années, jusqu'à son suicide le 3 mars 2016, ainsi qu'une somme de 15 000 euros en réparation de son propre préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saulxures-sur-Moselotte une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la commune était tenue de prendre un arrêté reconnaissant ou non l'imputabilité au service de l'accident du 3 mars 2016 à la suite de l'avis de la commission de réforme et de lui notifier ; le défaut de notification d'une décision le prive de tout recours en méconnaissance du principe général du droit au recours ;

- la commune a commis une faute dès lors que le suicide de son frère est dû à la souffrance éprouvée par ce dernier dans le cadre de ses fonctions de directeur des services techniques, consécutive à une surcharge de travail, à l'absence d'assistance administrative, à l'insuffisance de formation en informatique, à des instructions données par sa hiérarchie concernant l'un de ses subordonnés, ayant conduit à une dégradation de l'ambiance au sein du service technique et à l'absence de toutes mesures prises par sa hiérarchie pour palier à sa souffrance professionnelle et améliorer ses conditions de travail ;

- la responsabilité sans faute de la collectivité peut également être engagée en raison du lien direct entre le suicide de son frère et le service ;

- le préjudice moral subi par M. B... C... résultant de la dégradation de son état de santé psychologique jusqu'à son décès doit être évalué à la somme de 40 000 euros ;

- son propre préjudice moral, résultant de la souffrance causée par la perte de son frère, doit être évalué à la somme de 15 000 euros.

Par des mémoires en défense et une pièce complémentaire, enregistrés les 16 novembre 2020, 29 avril et 8 septembre 2021, la commune de Saulxures-sur-Moselotte conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n°87-602 du 30 juillet 1987 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lambing,

- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Jeandon représentant la commune de Saulxures-sur-Moselotte.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., technicien territorial, a été nommé directeur des services techniques municipaux de la commune de Saulxures-sur-Moselotte à compter du 1er janvier 1995. Il a mis fin à ses jours dans la nuit du 2 au 3 mars 2016. Son frère, M. A... C..., a, par un courrier du 6 février 2017, demandé au maire de la commune de Saulxures-sur-Moselotte de saisir pour avis la commission de réforme du centre de gestion du département des Vosges afin qu'il se prononce sur l'imputabilité au service de l'accident survenu à son frère le 3 mars 2016. La commission départementale de réforme des fonctionnaires territoriaux des Vosges a émis, lors de sa séance du 22 février 2018, un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service du suicide de M. B... C.... Par un courrier en date du 17 juillet 2018, M. C... a demandé au maire de " prendre un arrêté " à la suite de cet avis de la commission de réforme du 22 février 2018, de lui verser une somme de 40 000 euros en réparation du préjudice moral subi par son frère du fait de la dégradation de son état de santé psychologique avant son décès, ainsi qu'une somme de 15 000 euros en réparation de son propre préjudice moral. Le maire de la commune de Saulxures-sur-Moselotte a accusé réception de ces demandes par un courrier du 12 septembre 2018 et a indiqué au requérant qu'à défaut de réponse expresse de sa part, une décision implicite de rejet serait acquise à compter du 19 septembre 2018. M. C... relève appel du jugement du 7 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite de rejet du 19 septembre 2018 et à la condamnation de la commune à réparer les préjudices invoqués.

Sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction :

2. Aux termes de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. (...) ". Aux termes de l'article 16 du décret n°87-602 du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux : " Sous réserve du deuxième alinéa du présent article, la commission de réforme prévue par le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 modifié relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales est obligatoirement consultée dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice des dispositions de l'article 57 (2°, 2e alinéa) de la loi du 26 janvier 1984 susvisée. Le dossier qui lui est soumis doit comprendre un rapport écrit du médecin du service de médecine préventive compétent à l'égard du fonctionnaire concerné. / En outre, l'avis favorable à la reconnaissance de l'accident de service, émis par le comité médical départemental lors de sa séance du 17 janvier 2013, n'est pas de nature à démontrer le lien direct entre les faits allégués et le service. ".

3. Pour contester le rejet implicite de sa demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité du suicide au service, M. C... soutient que la maire de la commune de Saulxures-sur-Moselotte était tenue de prendre un arrêté se prononçant sur l'imputabilité au service du suicide de son frère survenu dans la nuit du 2 au 3 mars 2016. A défaut, la maire a selon le requérant, méconnu son droit au recours.

4. D'une part, il ne résulte ni des dispositions précitées ni d'aucune autre disposition ou principe que la collectivité, qui n'est au demeurant pas liée par l'avis de la commission de réforme, serait tenue de prendre un arrêté statuant sur l'imputabilité au service d'un accident ou d'une maladie après avoir saisi cette commission. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la maire de la commune de Saulxures-sur-Moselotte a accusé réception, par courrier du 12 septembre 2018, de la demande de M. C... tendant notamment à ce qu'un arrêté soit pris à la suite l'avis favorable de la commission départementale de réforme des fonctionnaires territoriaux des Vosges du 22 février 2018. La maire, qui n'était pas tenue de prendre une décision expresse, indiquait en outre, dans son courrier d'accusé réception, qu'en application des articles L. 231-4, L. 112-3 et R. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration, à défaut de réponse explicite, cette demande fera l'objet d'une décision implicite de rejet à compter du 19 septembre 2018. Les délais et voies de recours à l'encontre de cette décision implicite de rejet ont été par ailleurs mentionnés dans ce courrier du 12 septembre 2018. Dès lors, et en tout état de cause, M. C... était parfaitement informé de son droit au recours à l'encontre de la décision implicite qui pourrait naître faute de réponse de la commune à son injonction de prendre un arrêté sur la situation administrative de son frère décédé. Il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions à fin d'annulation et par suite celles à fin d'injonction.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

S'agissant de la responsabilité pour risque :

5. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, le II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Il en va de même s'agissant du préjudice moral subi par les ayants droits du fonctionnaire. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

6. En outre, un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. Il en va ainsi lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service. Il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel geste, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.

7. Il résulte de l'instruction que le certificat médical du 17 janvier 2017 d'un médecin généraliste, qui a examiné M. B... C... le 18 février 2016, soit quinze jours avant son suicide, atteste que ce dernier était " énervé, anxieux, et surtout épuisé ". Il lui a prescrit un anxiolytique et un médicament pour faciliter l'endormissement et la détente. Les nombreuses attestations de ses proches confirment l'état d'épuisement physique et mental de M. B... C.... Il ressort également d'un compte-rendu de consultation d'une unité de tabacologie du 10 décembre 2015 que M. C... a déclaré qu'il a repris sa consommation du tabac, en dépit d'un précédent sevrage, en raison de difficultés professionnelles. Enfin, M. C... avait rendez-vous avec un psychothérapeute le 21 mars 2016. L'ensemble de ces éléments démontrent le mal être profond de M. B... C... en fin d'année 2015 et en début d'année 2016.

8. En outre, les attestations des proches produites par le requérant relatent les plaintes de M. B... C... quant à ses difficultés professionnelles, notamment la surcharge de travail. Il est certes établi que le fonctionnaire bénéficiait de l'assistance des personnes chargées de l'accueil et du secrétariat de l'ensemble des services municipaux pour la mise en forme et l'envoi de ses courriers et que le directeur général des services se chargeait de la rédaction des courriers les plus importants. Cependant, lors de son entretien d'évaluation du 3 février 2016, M. C... a sollicité une formation pour une meilleure pratique des logiciels bureautiques. Cette compétence était d'ailleurs à développer selon le directeur général des services au terme du compte-rendu d'évaluation. Ces lacunes en matière bureautique ont nécessairement affecté ses capacités de travail, quand bien même ses demandes de formation ont toujours été acceptées par l'autorité administrative.

9. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment des appréciations de la maire portées sur le compte-rendu d'évaluation du responsable des services techniques municipaux, subordonné de M. B... C..., du 4 février 2016, que ce responsable devait " améliorer ses responsabilités d'encadrant ". Cet élément est confirmé par le rapport relatif au projet de réorganisation des services techniques, rédigé par M. C... le 2 février 2016, pointant les lacunes du responsable des services techniques municipaux qui n'assumait pas ses missions d'encadrement. Plusieurs courriers électroniques font également état des insuffisances de ce dernier dans l'exercice de ses fonctions qui occasionnaient nécessairement un surplus de travail pour M. C... et des tensions. De plus, s'agissant des relations entre M. C... et le directeur général des services, il ressort des attestations des proches de l'agent et des échanges de courriers électroniques entre les intéressés, que les rapports entre les deux hommes étaient tendus. Dans le compte-rendu d'évaluation pour l'année 2015 du 3 février 2016, les notations portées par le directeur général des services sont peu élogieuses nonobstant les compétences techniques et à la grande disponibilité dont M. C... faisait preuve dans son travail. Si la commune souligne d'autre part que la charge de travail de M. C... a diminué en 2015 en raison de la réduction de travaux engagés, elle ne produit aucun élément permettant d'en justifier.

10. Enfin, le projet de réorganisation des services techniques municipaux, que M. C... devait mener en 2016, a pu être considéré par l'intéressé comme une charge de travail supplémentaire à ses missions courantes déjà très polyvalentes. En outre, l'amie de M. B... C..., Mme D..., a adressé un courrier électronique au directeur général des services le 29 février 2016, quelques jours à peine avant le suicide, en vue de l'alerter de l'épuisement moral de son compagnon " qui va le conduire vers la dépression et peut être le suicide " selon elle. Son amie écrivait également que M. B... C... avait le sentiment " d'aller droit dans le mur " dans le cadre de son travail. Elle précisait enfin que ses proches lui conseillaient de se reposer mais qu'il craignait la surcharge de travail à son retour. Le directeur général des services a répondu à ce courrier électronique qu'il fallait lui redonner confiance et qu'il avait en effet observé un état de fragilité depuis plusieurs jours. Le directeur et la maire ont alors reçu M. B... C... les 1er et 2 mars 2016 et ont évoqué avec lui les projets communaux pour 2016, notamment la réorganisation des services techniques, ses souhaits de formation et ses problèmes personnels. L'ayant trouvé fatigué, la maire et son supérieur lui ont conseillé de prendre des congés en dehors de la commune où il résidait et travaillait. Le directeur et la maire ont eu l'impression que M. C... se portait mieux à l'issue de ces entretiens.

11. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble de ces éléments tendent à démontrer l'existence d'un contexte professionnel pathogène à l'origine du mal être profond de M. C... qui l'a conduit à l'autolyse.

12. La collectivité soutient que le geste de M. C... est imputable aux difficultés personnelles et familiales qui l'affectaient et que son état dépressif pourrait également résulter de la maladie de Lyme dont il souffrait. Mais ces autres causes alléguées, à les supposer même établies, ne peuvent être regardées comme des circonstances particulières détachant du service le suicide, dès lors que celui-ci trouve également et directement sa cause dans l'état de grande fatigue physique et mentale ressentie par M. C... dans son environnement de travail et dans la dégradation de son état psychologique qui s'en est suivie. Dans ces conditions, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service, M. C... est fondé à soutenir que le suicide de son frère présente un lien direct avec ce service et caractérise dès lors un accident de service. Par suite, le requérant est fondé à soutenir, pour la première fois en appel, que la responsabilité sans faute de la commune est engagée.

S'agissant de la responsabilité pour faute :

13. Pour déterminer si l'accident de service ayant causé un dommage à un fonctionnaire est imputable à une faute de nature à engager la responsabilité la collectivité, de sorte que ce fonctionnaire soit fondé à engager une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale par la collectivité de l'ensemble du dommage, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de rechercher si l'accident est imputable à une faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

14. Le requérant soutient que l'état de santé psychologique de son frère s'est dégradé progressivement jusqu'à son suicide en raison des conditions de travail. La collectivité a, selon lui, commis une faute à l'origine du décès de son frère du fait notamment de la surcharge de travail, de l'absence d'aide pour les tâches administratives, du manque de formation en matière d'informatique et de bureautique, des instructions données par la hiérarchie concernant l'éviction supposée de son responsable des services techniques, et de l'absence d'accompagnement adéquat à sa souffrance professionnelle au cours de l'entretien du 2 mars 2016.

15. Cependant, il résulte de ce qui a été dit précédemment que si une surcharge de travail et des difficultés relationnelles avec son supérieur direct et son responsable des services techniques municipaux pouvaient effectivement être regardées comme étant à l'origine de l'épuisement physique et mental de M. B... C..., ces faits ne caractérisent pas une faute dans le fonctionnement du service. En outre, il n'est pas établi que M. B... C... n'aurait pu suivre des formations en bureautique dès lors que ses demandes ont toujours été acceptées par ses supérieurs et qu'il suivait régulièrement des formations dans d'autres domaines. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que des pressions auraient été exercées sur M. B... C... pour évincer son responsable des services techniques municipaux, les demandes de rendre compte des manquements de ce dernier relevaient de ce qui peut être normalement attendu d'un directeur de services. Enfin, eu égard au délai très court séparant la prise de conscience de l'état de santé de M. B... C... par son directeur général des services et la maire, de son suicide, il ne peut être raisonnablement reproché à la collectivité de ne pas avoir proposé un accompagnement à l'intéressé ou tenté de trouver avec lui des solutions à son mal être profond. Dans ces conditions, l'ensemble des faits invoqués par M. C..., s'ils témoignent des difficultés professionnelles ressenties par son frère, ne saurait revêtir le caractère d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement de la collectivité dont M. B... C... aurait été victime.

16. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité pour faute de la commune de Saulxures-sur-Moselotte ne saurait être engagée.

En ce qui concerne le préjudice moral subi par M. A... C... :

17. En vertu des principes énoncés ci-dessus et du lien direct entre le suicide de M. B... C... et le service, M. A... C... est fondé à demander la réparation de son préjudice moral subi à la suite du suicide de son frère. Contrairement à ce que soutient la commune, le requérant a la qualité d'ayant-droit dès lors qu'il n'est pas sérieusement contesté qu'il entretenait des liens étroits avec son frère, et qu'il a subi du fait de son décès un préjudice direct et certain, qu'il ait ou non la qualité d'héritier. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A... C... en lui accordant une somme de 4 000 euros en réparation de ce préjudice.

En ce qui concerne le préjudice moral de M. B... C... :

18. En premier lieu, il résulte des énonciations du point 5 que la responsabilité de l'administration peut être engagée à l'égard du fonctionnaire, même en l'absence de faute, dans l'hypothèse où celui-ci démontrerait avoir subi, du fait d'un accident ou d'une pathologie d'origine professionnelle, des préjudices personnels ou des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux qui sont réparés forfaitairement. S'il résulte de l'instruction que M. B... C... a souffert de son épuisement professionnel et de son état dépressif, il n'en demeure pas moins que ce préjudice est antérieur à son suicide, fait générateur de la responsabilité sans faute de la collectivité au regard de ce qui précède. Par suite, le requérant n'est pas fondé, sur ce fondement, à se prévaloir de l'existence d'un préjudice moral de son frère antérieur à son décès, dès lors qu'il n'est pas la conséquence directe de l'accident de service reconnu précédemment.

19. En second lieu, en l'absence de toute faute imputable à la commune, comme il a été dit aux points 12 à 15, les conclusions indemnitaires à hauteur de 40 000 euros au titre du préjudice moral invoqué de M. B... C..., présentées sur le fondement de la responsabilité pour faute, ne peuvent qu'être rejetées.

20. Il s'ensuit que les conclusions à fin d'indemnisation du préjudice subi par M. B... C... seront rejetées.

21. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a refusé de faire droit à ses conclusions indemnitaires à concurrence de la somme de 4 000 euros.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

22. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Il s'ensuit que les conclusions susvisées ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'instance :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Saulxures-sur-Moselotte au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu non plus de mettre à la charge de la commune de Saulxures-sur-Moselotte la somme demandée par M. C... sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La commune de Saulxures-sur-Moselotte est condamnée à verser à M.Bruno C... la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice moral personnel.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 7 juillet 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Saulxures-sur-Moselotte sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et la commune de Saulxures-sur-Moselotte.

Délibéré après l'audience du 13 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Lambing, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2022.

La rapporteure,

Signé : S. LAMBING Le président,

Signé : J. MARTINEZ

La greffière,

Signé : C. SCHRAMM

La République mande et ordonne au préfet des Vosges en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. SCHRAMM

2

N° 20NC02358


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02358
Date de la décision : 03/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Garanties et avantages divers - Protection en cas d'accident de service.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : AARPI GARTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-02-03;20nc02358 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award