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01/02/2022 | FRANCE | N°21NC00481

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 01 février 2022, 21NC00481


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 12 février 2018 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg a opéré une retenue de 4/30ème de sa rémunération mensuelle à raison de l'absence de service fait entre les 25 janvier et 28 janvier 2018, d'autre part, d'enjoindre à l'Etat de rétablir rétroactivement les sommes retenues à hauteur de 207,73 euros et enfin de condamner l'Etat à lui verser une somme de

500 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1805203 d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 12 février 2018 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg a opéré une retenue de 4/30ème de sa rémunération mensuelle à raison de l'absence de service fait entre les 25 janvier et 28 janvier 2018, d'autre part, d'enjoindre à l'Etat de rétablir rétroactivement les sommes retenues à hauteur de 207,73 euros et enfin de condamner l'Etat à lui verser une somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1805203 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 février 2021, M. A..., représenté par Me Hocquet-Berg, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1805203 du 17 décembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler la décision du 12 février 2018 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg a appliqué sur son traitement une retenue de 4/30ème pour service non fait du 25 au 28 janvier 2018 inclus ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2018, date de réception par l'administration de sa demande indemnitaire préalable ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée méconnaît les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : elle est entachée d'une insuffisance de motivation en droit et en fait ;

- elle est entachée d'erreur de droit au regard de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 n° 84-16 car son absence étant justifiée par un certificat médical, il avait droit au maintien de son traitement ;

- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article 25 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 car il appartenait à l'administration de procéder à une contre-visite médicale ;

- l'arrêt de travail du 25 janvier 2018 précisait sa pathologie de sorte que l'administration ne pouvait pas lui opposer son bien-fondé : il n'avait pas à apporter davantage d'éléments sur sa pathologie, sous peine de méconnaissance du secret médical et du droit au respect de sa vie privée, au sens de l'article 9 du code civil et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve de ce qu'il a bénéficié d'un certificat médical de pure complaisance ;

- l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation en fractionnant son arrêt de travail : elle a considéré qu'entre le 25 et 28 janvier 2018, l'arrêt de travail n'était pas justifié mais n'a pas remis en cause cet arrêt de travail pour la période entre le 29 janvier et le 31 janvier 2018 ;

- cette décision de sanction a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire car il n'a pas été en mesure de présenter ses observations préalables ;

- il a subi un préjudice moral qui doit être indemnisé à hauteur de 1 000 euros.

Un mémoire du garde des sceaux, ministre de la justice, a été enregistré le 8 janvier 2022 au greffe de la cour, soit après la clôture d'instruction, et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;

- la loi n°61-825 du 29 juillet 1961 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., surveillant de l'administration pénitentiaire affecté au centre pénitentiaire de Metz, a adressé à son administration un avis d'arrêt de travail établi par un médecin généraliste pour la période du 25 au 31 janvier 2018 inclus. Par une décision du 12 février 2018, la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg, considérant qu'entre le 25 et le 28 janvier 2018, 1'agent était en situation d'absence non justifiée dans le cadre d'une cessation concertée du service faisant suite à un mouvement social, a décidé d'appliquer une retenue de 4/30ème pour service non fait sur son traitement mensuel. Le 8 mars 2018, M. A... a présenté un recours gracieux, réceptionné le 26 avril 2018 par l'administration, que la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg a implicitement rejeté. M. A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg l'annulation de cette décision du 12 février 2018, d'enjoindre à l'administration de lui rembourser les sommes dues et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité au titre de son préjudice moral, d'un montant de 500 euros. M. A... relève appel du jugement du 17 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 12 février 2018 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " (...) doivent être motivées les décisions qui : (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. "

3. Les décisions par lesquelles l'autorité administrative procède à une retenue de salaire à l'encontre d'un agent qui a présenté un avis d'interruption de travail en cas de maladie qu'il estime dûment constatée, sont au nombre des décisions qui refusent un avantage dont 1'attribution constitue un droit et doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration citées ci-dessus. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 12 février 2018 attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle mentionne notamment qu'" au regard du refus de prise de service concerté suite à un mouvement social ", l'absence de service fait donne lieu à une retenue sur traitement. La seule circonstance que l'administration ne mentionne pas qu'elle a considéré son arrêt de travail comme non-fondé n'entache pas la décision d'un défaut de motivation. Elle n'a dès lors pas méconnu les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Selon l'article L. 121-2 de ce code : " (...) Les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents ". Le moyen tiré de ce que la décision litigieuse aurait dû être prise après une procédure contradictoire est par suite inopérant.

5. En troisième lieu, aux termes de 1'article 20 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (...) ". Selon l'article 4 de la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative pour 1961 : " (...) L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. / Il n'y a pas service fait : 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; 2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements (...) ".

6. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit. Ces faits, lorsqu'ils sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public, pourront être sanctionnés en dehors des garanties disciplinaires ". Aux termes de l'article 34 de loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...). L'article 25 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires prévoit que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ".

7. Si en vertu des dispositions citées au point précédent, l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie est adressé à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.

8. En l'espèce, et il n'est pas sérieusement contesté, qu'à la suite de l'appel au blocage des établissements pénitentiaires fin janvier 2018 par les organisations syndicales, le nombre moyen d'arrêts maladie par jour a progressé de 85,9 jours sur la période du 1er janvier au 20 janvier 2018, à 126 jours entre le 22 janvier et le 31 janvier 2018 dans le ressort de la direction interrégionale de Strasbourg, dont dépend le centre pénitencier où est affecté le requérant. L'absence d'un grand nombre de surveillants durant cette période a nécessité le recours à des agents extérieurs, en particulier des forces de sécurité intérieure et des élèves de 1'administration pénitentiaire. Ces circonstances très particulières de 1'espèce sont de nature à révéler que des certificats médicaux ont été délivrés dans le cadre d'une cessation concertée du service et non pour des motifs médicaux. Dans ces conditions, il appartenait à M. A... d'établir que le certificat médical qui lui a été délivré était justifié par des considérations médicales sans que ne puissent être utilement opposées la violation du secret médical qui n'est pas nécessairement requise et qui ne lui est, en tout état de cause, pas opposable et l'atteinte à sa vie privée et familiale au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article 9 du code civil.

9. Il ressort des éléments produits par M. A... que celui-ci s'est borné à présenter un arrêt de travail qui fait mention d'une " dépression " pour la période du 25 au 31 janvier 2018. ll n'apporte toutefois aucun élément circonstancié permettant de corroborer la réalité de ce motif, au surplus caractérisé, dans la littérature médicale, par une longue période de traitement. Par ailleurs, la circonstance que l'administration n'a pas contesté l'arrêt de travail du requérant pour la période postérieure courant du 29 janvier au 31 janvier 2018 n'est pas de nature, à elle-seule, à remettre en cause l'appréciation par l'administration de la réalité du motif de l'arrêt. Dès lors, l'administration pénitentiaire a pu, sans commettre d'erreur de fait ou de droit, considérer que l'absence de M. A... pour la période allant du 25 janvier au 28 janvier 2018 n'était pas justifiée et devait donner lieu à retenue de salaire.

Sur les conclusions indemnitaires :

10. M. A... ne conteste pas en appel le motif d'irrecevabilité de sa demande indemnitaire retenue par les premiers juges dont le juge d'appel ne peut se saisir d'office. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions indemnitaires.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante à l'instance, verse à M. A... la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

2

N° 21NC00481


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00481
Date de la décision : 01/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-05-04-01 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Congés. - Congés de maladie.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : HOCQUET-BERG

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-02-01;21nc00481 ?
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