Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation des préjudices qu'il soutient avoir subis à la suite de fautes qu'il impute aux services fiscaux.
Par un jugement n° 1801604 du 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 septembre 2020 et un mémoire enregistré le 9 février 2021, M. B..., représenté par Me Millot-Logier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en établissant des impositions à une identité erronée, ayant pour conséquence la révélation à lui-même ainsi qu'aux tiers de son adoption plénière, et en persistant dans cette erreur après en avoir été avisée, l'administration fiscale a commis deux fautes de nature à engager sa responsabilité ;
- ces fautes sont en lien direct avec les préjudices qu'il subit, l'ayant conduit à obtenir la copie de l'acte de naissance révélant ce secret, à l'origine des troubles dans ses conditions d'existence.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Millot-Logier, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ayant reçu à compter de l'année 2000 des avis d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties comportant des éléments d'identification erronés, a saisi l'administration afin d'en obtenir la rectification. Estimant que l'administration avait engagé sa responsabilité pour faute, par lettre du 14 mars 2018, M. B... a adressé à la direction départementale des finances publiques des Vosges une demande indemnitaire préalable, explicitement rejetée le 8 juin 2018. M. B... relève appel du jugement du 15 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser des dommages et intérêts.
Sur la responsabilité :
2. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
3. Il résulte de l'instruction qu'à compter de l'année 2000 les avis d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties reçus par M. B... ont été établis au nom de " B... Patrick A... " assortie d'une indication relative à un divorce. Au cours de l'année 2004, M. B... a saisi l'administration d'une demande de rectification de ces avis en précisant que son unique prénom était Patrick, qu'il ne connaissait pas ce prénom de A... et que l'indication relative à son état de divorcé était erronée. L'administration a aussitôt rectifié l'erreur relative à l'état de divorcé mais n'a toutefois rien entrepris pour réparer l'erreur relative à l'état civil, ce qui a conduit M. B... à obtenir des services d'état civil de Nancy un extrait d'acte de naissance faisant apparaître qu'il était né sous le nom de A... A. le 17 avril 1954 et qu'il avait fait l'objet d'une adoption plénière par jugement du 17 novembre 1958. Il ressort de ce jugement que l'intéressé devait désormais porter les seuls noms de Patrick B... lesquels devraient seuls figurer sur tous ses actes d'état civil. M. B... a persisté à demander aux services fiscaux des Vosges la rectification de ses avis d'imposition ce qu'il n'a obtenu de manière définitive qu'en 2017, l'avis d'imposition de 2017 comportant encore l'indication d'état civil erronée dans la case " débiteur légal ". M. B... soutient que l'administration a commis une faute en lui révélant ses origines d'enfant adopté et en ayant persisté à utiliser une indication d'état civil erronée.
4. Il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce que soutient M. B..., que l'administration fiscale serait à l'origine des indications erronées de son état civil. L'administration fiscale, s'agissant des taxes foncières, utilise les indications d'état civil qui lui sont fournies, aux côtés des indications données par les contribuables eux-mêmes, notamment, par l'Insee qui lui-même utilise les données provenant des services d'état civil. Dès lors, l'origine des indications erronées de son état civil n'est pas imputable à l'administration fiscale, laquelle n'avait aucune connaissance de l'adoption de M. B... et s'est bornée à utiliser les données qui lui ont été fournies en définitive par les services de l'état civil. De même, la révélation de son origine n'est pas le fait de l'administration fiscale mais résulte de l'erreur commise par les services de l'état civil de Nancy, ainsi qu'il ressort de la lettre du procureur de la République d'Epinal du 21 novembre 2017, qui n'auraient jamais dû lui délivrer un acte faisant apparaître son origine et son identité de naissance. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'administration fiscale aurait commis une erreur fautive dans le libellé de ses avis d'imposition à la taxe foncière et qu'elle lui aurait révélé de manière fautive l'origine de sa naissance.
5. Il résulte, cependant, de l'instruction que les services fiscaux ont été avisés dès l'année 2004 que les avis d'imposition comportaient des erreurs d'état civil et qu'ils en ont eu la preuve certaine au moins à compter du mois de décembre 2013 par la production de l'acte de naissance de M. B.... Or, il résulte de l'instruction que les services fiscaux se sont refusés à rectifier ces actes, l'avis d'imposition de 2017 comportant encore l'indication erronée du prénom A... à l'emplacement désignant le débiteur légal de l'imposition. Le ministre soutient que l'administration serait tenue d'utiliser les données communiquées par l'Insee et que d'ailleurs cet établissement a été saisi par les services fiscaux des Vosges au cours de l'année 2017. Mais, si l'administration fiscale est bien autorisée à utiliser les données d'état civil provenant de l'Insee en vertu de l'arrêté du 7 août 1985 puis du 17 janvier 2008, les indications issues de ces applications ne sauraient l'emporter sur les actes d'état civil eux-mêmes lesquels sont opposables à tous les tiers lorsqu'ils sont régulièrement établis et publiés. Dès lors que la preuve de l'état civil exact de l'intéressé avait été rapportée, l'administration, en se retranchant derrière les indications de l'Insee, alors au demeurant qu'en tant qu'utilisatrice de ses données elle en était responsable, pour refuser de rectifier les actes d'imposition de M. B... pendant de nombreuses années, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur le préjudice :
6. Si M. B... soutient que la résistance fautive de l'administration l'a contraint à demander aux services de l'état civil de Nancy son acte de naissance, communication ayant occasionné la révélation préjudiciable de ses origines, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la révélation faite par ces services n'est pas en lien direct avec le refus fautif de l'administration fiscale de faire droit à sa demande de rectification.
7. En revanche, le refus persistant durant plusieurs années, dont il a été dit ci-dessus qu'il était fautif, de l'administration fiscale de faire disparaître de ces avis d'imposition l'indication erronée du prénom A..., dans un contexte devenu traumatique pour l'intéressé à compter de la révélation de son adoption, a été de nature à causer à M. B... des désagréments allant au-delà de ceux habituellement provoqués par ce type de démarches administratives dont il sera fait une juste appréciation, compte tenu de la satisfaction résultant de la présente déclaration de responsabilité de l'administration, en évaluant à 1 500 euros le montant des dommages et intérêts que l'Etat sera condamné à lui payer en réparation, outre les intérêts au taux légal à compter de la demande préalable du 14 mars 2018.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 15 juillet 2020 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts outre les intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2018.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la M. C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
N° 20NC02582
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