Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy, par deux requêtes distinctes, d'une part, d'annuler l'arrêté du 29 octobre 2020 du préfet de Meurthe-et-Moselle en tant qu'il lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et d'autre part, d'annuler l'arrêté du 3 novembre 2020 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a assigné à résidence pour une durée de six mois.
Par un jugement n° 2002803 et 2002804 du 2 février 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 2 mars et le 14 octobre 2021, M. A... B..., représenté par Me Dosé, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les arrêtés du 29 octobre et du 3 novembre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de renouveler son titre de séjour " vie privée et familiale " ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'arrêté du 29 octobre 2020 :
- le préfet a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en édictant l'arrêté portant refus de renouvellement de son titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français alors qu'il faisait l'objet d'un placement sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire français jusqu'à son jugement, ordonné par le juge d'instruction ;
- la décision portant refus de renouvellement du titre de séjour attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; cet acte, en l'empêchant de travailler, ne lui permet pas de subvenir aux besoins de sa famille ; son contrat de travail avec la société Challancin a été suspendu et il continue à travailler au sein de la société Les Mazes malgré sa situation irrégulière uniquement parce que cette dernière ne lui a pas demandé son titre de séjour ; ce refus l'oblige à ne pas respecter la loi et à travailler de manière illégale pour subvenir aux besoins de sa famille ; il ne peut retourner en Serbie avec sa famille sans crainte pour sa sécurité ainsi que celle de sa femme et de ses enfants en raison de ses origines rom ;
- le préfet n'a pas juridiquement qualifié la menace à l'ordre public que son comportement constituerait et qu'il a pourtant retenue pour opposer le refus de renouvellement de titre de séjour en litige, sur le fondement duquel a été édictée la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- il reste présumé innocent des faits pour lesquels il n'est que mis en examen ; le juge d'instruction a considéré qu'il ne présentait pas un comportement de nature à troubler l'ordre public justifiant un maintien en détention provisoire ;
- cet arrêté viole son droit à la dignité protégé par le préambule et l'article 1er de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 et consacré par la jurisprudence du conseil constitutionnel ;
- il porte également atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants, protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne l'arrêté du 3 novembre 2020 :
- l'assignation à résidence méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle l'empêche de mener une vie privée et familiale digne.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 septembre 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Stenger, première conseillère,
- et les observations de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant serbe né le 16 mars 1994, serait entré en France le 13 septembre 2010, selon ses déclarations, accompagné de ses parents. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à deux reprises le 19 juin 2012 et le 12 avril 2013, rejets confirmés par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 18 juillet 2012 et le 3 mai 2013. Il a fait l'objet de deux mesures d'éloignement prises par le préfet de Meurthe-et-Moselle le 25 février 2013 et le 3 mars 2014, dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Nancy, qu'il n'a pas exécutées. Une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 24 août 2016 au 23 août 2017, lui a été délivrée et il en a sollicité le renouvellement le 29 janvier 2019. Par un arrêté du 29 octobre 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui renouveler son titre de séjour au motif que son comportement constitue une menace grave pour l'ordre public, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un arrêté du 3 novembre 2020, le préfet l'a assigné à résidence pour une durée de six mois. M. B... relève appel du jugement n° 2002803 et 2002804 du 2 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté, par un jugement commun, ses demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'arrêté du 29 octobre 2020 :
2. En premier lieu, M. B... soutient que son éloignement du territoire français, alors qu'il est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire français est irrégulier. Toutefois, et comme l'avaient indiqué les premiers juges, la circonstance que le requérant est placé sous contrôle judiciaire fait seulement obstacle à l'exécution de la décision d'éloignement avant la levée par le juge judiciaire de la mesure de surveillance mais demeure sans incidence sur sa légalité. Par suite, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit ni d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation du requérant.
3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été interpellé le 13 juin 2017 à la suite de son implication dans la commission d'une infraction qualifiée de " terrorisme participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime d'atteinte aux personnes ". Ces faits, qui ont donné lieu à sa détention provisoire du 16 juin 2017 au 27 novembre 2018, sont expressément évoqués par le préfet dans l'arrêté contesté. Dès lors, en l'absence de tout élément permettant de douter de la vraisemblance de ces faits, que l'intéressé ne nie d'ailleurs pas, et compte tenu de leur gravité et de leur caractère récent à la date de l'arrêté contesté, le préfet a pu, sans remettre en cause la présomption d'innocence, les retenir pour constater que la présence de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public, alors que sa sortie de détention a été suivie de la mise en place d'un contrôle judiciaire. Par ailleurs, le préfet n'a pas omis de qualifier juridiquement les faits qu'il avait retenus pour considérer que son comportement constituait une menace à l'ordre public. Par suite, ce moyen doit être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il est constant que M. B... est présent en France depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée et qu'il est en couple avec une compatriote avec laquelle il a eu trois enfants, dont l'aîné est scolarisé. M. B... se prévaut de ce qu'à sa sortie de détention provisoire, en novembre 2019, il a exercé plusieurs emplois en 2019 et en 2020 afin de subvenir aux besoins de sa famille et qu'en raison de l'arrêté attaqué, il se retrouve dans une situation de grande précarité et dans l'obligation de travailler de manière illégale. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que sa compagne est en situation irrégulière sur le territoire français et qu'elle n'a donc pas vocation à rester en France. Par ailleurs, les parents de l'intéressé séjournent en France sous couvert de simples récépissés de demandes de titres de séjour, et ses frères y font l'objet des mêmes poursuites que lui. En outre, M. B... ne peut utilement soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison des risques que sa famille encourt pour sa sécurité en cas de retour en Serbie, dès lors que cette mesure n'implique pas par elle-même un retour dans son pays d'origine. L'intéressé ne démontre pas être dépourvu d'attaches familiales en Serbie, pays dans lequel il a vécu jusqu'à l'âge de seize ans. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ait des attaches personnelles d'une particulière intensité en France ni que sa famille ne pourrait pas se reconstituer en Serbie où ses enfants pourront y poursuivre leur scolarité. Enfin, pour les mêmes raisons que celles indiquées au point 3 du présent arrêt, le préfet a pu légalement considérer que sa présence sur le territoire français constituait une menace à l'ordre public. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
7. L'arrêté en litige n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les trois enfants de leur père et de leur mère, également en situation irrégulière, alors qu'ils ont vocation à rester avec ces derniers. Les circonstances que les enfants du requérant, qui sont en bas-âge, sont nés en France et que l'aîné y soit scolarisé ne suffisent pas à considérer que le préfet a méconnu leur intérêt supérieur. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
8. En dernier lieu, la circonstance que la décision de refus de renouvellement de titre de séjour en litige mette fin à la possibilité pour M. B... d'exercer une activité professionnelle sur le territoire français qui était attachée au titre de séjour dont il était titulaire, alors que le requérant soutient qu'il pourvoit ainsi aux besoins de sa famille, qui vit désormais dans une grande précarité, ne permet pas, en tout état de cause, d'établir que cet arrêté porte atteinte à son droit à la dignité tel que protégé par le préambule et l'article 1er de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 et consacré par la jurisprudence du conseil constitutionnel.
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'arrêté du 3 novembre 2020 :
9. Si le requérant soutient que la mesure d'assignation, qui n'a ni pour objet ni pour effet de le séparer des membres de sa famille résidant en France, l'empêche de mener une vie privée et familiale digne, il n'assortit pas ce moyen des précisions suffisantes qui auraient permis d'en apprécier la portée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêtés du 29 octobre 2020 et du 3 novembre 2020 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai en fixant son pays de destination, lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et l'a assigné à résidence pour une durée de six mois.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation des arrêtés attaqués, n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions susvisées ne peuvent être accueillies.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
12. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
13. L'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, ne saurait être condamné à verser à l'avocate de M. B... une somme en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
N° 21NC00632 6