Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin lui a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an à compter de l'exécution de cet arrêté et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.
Par un jugement n° 1909499 du 11 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 juillet 2020, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 11 février 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 28 novembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour, sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision litigieuse n'est pas motivée ;
- le préfet n'a pas examiné sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
s'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
s'agissant de la décision lui interdisant le retour sur le territoire français :
- la décision litigieuse n'est pas motivée ;
- elle sera annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur de droit ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet du Bas-Rhin qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme D..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant géorgien, né le 24 octobre 1995, est entré régulièrement en France le 19 mars 2019, accompagné de ses parents, afin de solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 18 avril 2019. Par un arrêté du 28 novembre 2019, le préfet du Bas-Rhin lui a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le 13 décembre 2019, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a rejeté son recours dirigé contre la décision de l'OFPRA comme irrecevable. M. C... fait appel du jugement du 11 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français litigieuse, qui vise le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, rappelle les conditions d'entrée en France du requérant et que sa demande d'asile a été rejetée. Elle précise qu'il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire malgré le dépôt d'un recours devant la CNDA, dès lors que sa demande d'asile avait été instruite en procédure accélérée. Elle relève également qu'il n'est pas porté atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il est célibataire et sans charge de famille. La décision contestée comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, alors même qu'elle ne précise pas que le père du requérant dispose d'un droit provisoire au séjour compte tenu de son état de santé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, M. C... reprend en appel, sans apporter d'élément nouveau ni critiquer utilement les motifs de rejet qui lui ont été opposés par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg, le moyen tiré du défaut d'examen de sa situation. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le premier juge.
4. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. M. C... soutient que sa présence est nécessaire auprès de son père, qui est titulaire d'une autorisation provisoire de séjour, du fait de son hospitalisation pour de graves problèmes cardiaques qui ont conduit à une transplantation le 18 janvier 2020. Toutefois, le requérant, célibataire sans enfant, ne résidait en France que depuis huit mois, à la date de la décision litigieuse, et n'était pas dépourvu d'attaches familiales en Géorgie où réside sa sœur et où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-trois ans. En outre, il n'est pas démontré que sa mère serait dans l'impossibilité d'assister son époux pour sa convalescence et que la présence du requérant serait indispensable aux côtés de ce dernier. Par suite, eu égard à la durée et aux conditions de séjour de l'intéressé en France, le préfet du Bas-Rhin n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels la décision l'obligeant à quitter le territoire français a été prise. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté. Pour les mêmes motifs, la décision litigieuse n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peine ou traitements inhumains ou dégradants ". L'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
7. M. C... soutient qu'il craint pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine en raison des menaces proférées à l'encontre de lui et de sa famille des anciens clients du commerce de son père. Toutefois, la seule production de son récit ne permet pas d'établir la réalité et l'actualité des craintes alléguées, alors qu'au demeurant tant l'OFPRA que la CNDA ont rejeté sa demande d'asile. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être écartés.
8. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point n°5, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
9. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
10. Il n'est pas contesté que, à la date de la décision en litige, M. C... ne s'est pas soustrait à une précédente mesure d'éloignement et que sa présence en France ne représente pas une menace pour l'ordre public. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que l'intéressé justifie d'attaches familiales fortes sur le territoire français dès lors que ses parents y ont été admis en raison de l'état de santé de son père. Dans ces conditions, alors même que l'arrivée en France du requérant est récente, le préfet du Bas-Rhin, en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'un an, a commis une erreur d'appréciation. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. C... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet du Bas-Rhin du 28 novembre 2019 lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
12. Le présent arrêt, qui annule seulement l'interdiction de retour sur le territoire français, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. C... doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme que demande M. C..., qui est la partie perdante, pour l'essentiel, dans la présente instance, au titre des frais d'instance qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1909499 du 11 février 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de la décision du préfet du Bas-Rhin lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Article 2 : L'arrêté du 28 novembre 2019 du préfet du Bas-Rhin est annulé en tant qu'il a interdit le retour sur le territoire français de M. C... pendant une durée d'un an.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 20NC02173